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Monseigneur oublie donc les conventions du jeu? lui dit M. de la Vauguyon.

Mais, monsieur, répondit l'enfant, qui voulezvous que j'aime le plus ici, où je ne me vois aimé de personne? ›

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Le duc de Berry venait d'atteindre sa septième année ; son père voulut, selon l'usage, qu'on lui suppléât les cérémonies du baptême: il se fit apporter les registres de la paroisse, et lui montrant son nom entre deux noms obscurs, il lui dit : « Voyez, ils sont vos égaux sur cette page, vos inférieurs dans le monde; prenez garde qu'ils ne soient plus grands que vous devant Dieu! »>

Le dauphin avait déjà perdu le duc d'Aquitaine, qui ne vécut que cinq mois; son fils aîné, le duc de Bourgogne, allait disparaître aussi, prématurément et comme se hàter de faire place à celui qui devait s'appeler Louis XVI: il mourut le 22 mars 1764.

Profondément affligé de tant de pertes, M. le dauphin ne chercha de consolation que dans les soins voués aux fils qui lui restaient. Le comte de Provence et le comte d'Artois pouvaient alors prendre part aux travaux de leur frère, et devenaient l'objet de la même sollicitude. Ce prince voulut même consacrer sa douleur au profit des enfants que la Providence lui avait conservés : il vou

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lut que les exemples du duc de Bourgogne (glorieux et triste nom) devinssent le premier héritage du duc de Berry. Il recueillit, dans ce, but, et écrivit de sa main tous les souvenirs de cette généreuse enfance, les remit au marquis de Pompignan, et le consciencieux écrivain accepta la tàche difficile de montrer, dans l'éloge d'un prince de dix ans, les germes précieux dont la culture fait les grands rois.

A peine le duc de Berry avait-il reçu cette première leçon de la mort, que sa jeune âme allait être plus solennellement encore frappée d'un nouveau coup.

La santé du dauphin, depuis longtemps chancelante, s'affaiblissait de jour en jour. Quand il reconnut les approches de sa dernière heure, il appela le duc de la Vauguyon et lui renouvela ses recommandations en faveur de ses enfants. Mais bientôt, se tournant vers son confesseur: « Je ne puis continuer, lui dit-il, veuillez parler en mon nom. » L'abbé Soldini reprit alors:

«M. le dauphin recommande par-dessus tout aux jeunes princes la crainte du Seigneur et l'amour de la religion; il leur recommande de mettre à profit l'éducation que vous leur donnez; d'avoir toujours pour le roi la plus parfaite soumission, et de conserver pour madame la dauphine l'obéissance qu'ils doivent à une mère si respectable. »

Le duc de Berry accueillit ce dernier adieu par un torrent de larmes, et sentit toute l'amertume du nom d'orphelin. La première fois qu'il entendit les suisses crier devant lui, selon l'étiquette : « M. le dauphin! » il s'arrêta et, ce titre lui représentant tout ce qui venait d'échapper à sa tendresse, au lieu des droits nouveaux qui s'offraient à son ambition, il ne put contenir son désespoir. Plusieurs mois s'étaient écoulés, et il repoussait encore, avec une émotion visible, le nom qui le plaçait sur la première marche du trône.

C'en était fait aucun intermédiaire n'existait plus entre l'enfant de onze ans et le monarque sexagénaire. Quelle vigilance ne devait pas s'éveiller dans le cœur de madame la dauphine, si intimement unie à tous les sentiments de l'époux qu'elle pleurait ! L'ordre et les principes de l'éducation furent soigneusement conservés. Louis XV permit que le plan tracé par son fils fût maintenu dans tous ses détails, et restât confié aux mêmes mains. Le duc de la Vauguyon comprit le devoir de proportionner le zèle à la responsabilité. Il voulut consulter le père Berthier, que la récente proscription des jésuites avait éloigné de la maison de madame la dauphine, où il occupait le poste de bibliothécaire. Le gouverneur écrivit donc au religieux alors en Brabant :

« Vous ne pouvez certainement rendre un plus grand service aux enfants de France et à l'État, que de m'aider

dans les travaux immenses de ma place. Je connais votre zèle pour votre patrie, votre tendre attachement pour la personne du roi et pour les enfants que M. le dauphin nous a laissés. Du haut du ciel, il verra votre travail et l'affection de votre cœur pour ce qu'il a eu de plus cher. »

Le père Berthier obéit, et les préceptes qu'il inculqua dans l'esprit du jeune prince ont si manifestement imprimé leur cachet à son règne, qu'il semble impossible de n'en pas présenter quelques extraits.

§ I. DE LA NÉCESSITÉ POUR UN PRINCE D'APPRENDRE A

RÉFLÉCHIR.

Le prince qui ne saura pas se juger lui-même par la réflexion court risque de ne jamais connaître une foule de devoirs qu'il doit remplir, ni moins encore un nombre de défauts qu'il doit corriger. Il s'expose encore à confondre, dans les affaires du dehors, les caprices de sa volonté avec les règles de la justice, et, dans le for intérieur, le vœu secret de ses passions avec la loi de Dieu, qui est la règle des princes comme celle des particuliers.

§ II. DE L'AMOUR DU TRAVAIL NÉCESSAIRE AU PRINCE.

Une des plus dangereuses illusions qui pourraient s'emparer de l'esprit d'un prince, serait celle qui lui persuaderait qu'il n'est pas né pour le travail, comme le com

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de désordre qui traîne après

mun des hommes. Il n'est pas lui de plus déplorables suites que l'éloignement du travail dans ceux que le Ciel a favorisés de la naissance et des richesses.............. Un prince doit se pénétrer de cette grande vérité, qui était toujours présente à feu M. le dauphin, que personne n'a plus besoin de temps et n'en doit être plus avare que celui qui en doit tous les instants à tous.

§ IV. DE L'HUMANITÉ qui convient aux princes.

De tous les attributs de Dieu, il n'en est aucun dont l'homme soit plus touché que de son infinie bonté. Aussi ne dit-il pas, lorsqu'il a recours à lui, qu'il prie le Dieu puissant et saint, le Dieu juste et éternel; il prie le bon Dieu. Le titre aussi le plus flatteur auquel puisse aspirer un prince destiné au trône, c'est qu'un jour la famille entière de son peuple, en parlant de lui, l'appelle notre bon Roi.

Le pardon des injures est de précepte divin pour le prince comme pour les autres hommes.

§ VI. DE LA DÉVOTION EXTÉRIEURE QUI CONVIENT AUX

PRINCES.

Ce n'est que par le coeur et la piété intérieure que l'on plaît véritablement à Dieu; et la dévotion, ou, ce qui est la même chose, le dévouement à Dieu et aux choses

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