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sonnes qui les réclament; et comme, en outre, il faut bien le répéter, les articles 17 et 7 des traités de 1814 et 1815 ne portent nullement que l'individu qui profite de ces deux dernières dispositions pour se retirer en France et pour y rester est Français de droit; certes Marchal fils n'a point acquis la qualité de Français. Dans sa personne il n'y a eu jamais qu'un seul ou deux éléments français légaux: ce sont la réunion des territoires et la saisine de la personne de Marchal fils au moment de sa naissance. Par la nature des choses, l'un et l'autre n'étaient que conditionnels, c'est-à-dire dépendants de la condition de la durée de la réunion des territoires. Ces deux éléments conditionnels ayant manqué, les deux conditions ayant défailli, par l'effet des traités de 1814 et 1815, et Marchal fils n'ayant pas acquis ou recouvré la qualité de Français d'une autre manière, il ne reste plus, dans sa personne (qu'on me passe l'expression), la plus petite parcelle de cette qualité.

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On ne saurait soutenir que Marchal fils tenait la qualité de Français par transmission de son père, cette qualité étant purement personnelle de sa nature. Mais en admettant le principe de cette transmissibilité, il faut reconnaître également que l'adage d'après lequel on ne peut transmettre à un autre plus de droits qu'on n'en a soi-même conserve ses effets. Or Marchal père (comme tous les individus qui se sont trouvés dans la même position que lui) ne possédait la qualité de Français que sous la condition de la continuation de la réunion du Hainaut à la France: il ne tenait pas cette qualité à un autre titre pur et simple 3; donc il ne pouvait transmettre au fils qu'une qualité également conditionnelle. Or cette condition a manqué et défailli.

Le fils perdait la qualité de Français sans qu'il fùt question d'un effet rétroactif ladite qualité cessait de lui appartenir depuis le jour de la ratification du traité de 1815, ou depuis l'expiration des six ans dont il est parlé à l'article 7 du même traité; et, dans tous les cas, cette qualité avait cessé au moment où, en 1843,

1 Il est inutile de faire remarquer qu'on ne compte comme élément français, ni l'origine de la mère, ni la simple naissance de l'enfant sur le sol français; nous avons déjà indiqué que l'époque du décès du père est indifférente.

2 L. 54, ff. De Reg. jur.

3 Nous avons parlé de ces titres dans les n° 1 à 19 de ce travail.

s'est élevée la contestation sur laquelle la cour de cassation a prononcé.

C'est, il me semble, une pétition de principe que de soutenir (quatrième motif de l'arrêt) que, par la mort de Marchal père, « l'état que le fils tenait de la nationalité de ses parents et du lieu » de sa naissance est devenu définitif. » Nous avons déjà signalé l'erreur de cet argument. La loi du 14 octobre 1814 n'autorise nullement l'assertion émise dans l'arrêt. Cette loi ne déclare pas que l'individu né en France d'un père français, par suite de la réunion, et d'une mère française d'origine, est devenu définitivement Français par la mort de son père, arrivée avant le 30 mai 1814. Cette prétention est évidemment contraire aux articles 17 et 7 des traités, et à la loi du 14 octobre 1814.

On lit dans le même quatrième motif, que « cet état..... » constitue un droit propre et un titre personnel, non soumis à » l'éventualité résultant de la nationalité première de son père. » Mais si, comme il est dit quelques lignes plus haut, Marchal fils tenait sa qualité de Français de la nationalité de ses parents, comment était-il possible que cette qualité fùt un droit propre et un titre personnel?

Enfin on lit, toujours dans le même quatrième motif, que, « pour conserver ce droit et ce titre, Marchal fils n'était obligé » de remplir aucune condition à l'époque de sa majorité. » Cependant la loi du 14 octobre 1814 dispose certainement en sens contraire parmi les individus qu'embrassent les termes généraux de cette loi, sont évidemment compris ceux qui se trouvent dans la catégorie de Marchal fils.

Nous transcrirons, en terminant, un des motifs de l'arrêt de la cour de cassation du 16 juillet 1834' que nous avons cité plus haut. On y lit: « Qu'au contraire, tout ce qui, comme l'état des >> personnes et la nationalité, a un trait successif, et continue à » s'exercer dans le temps à venir, demeure toujours sous l'empire » des événements et des lois futures 2, et est surtout entièrement » soumis à la condition temporaire et résoluble de la cause qui

↑ Sirey—Devilleneuve, 1834, I, 502. Dalloz, 1834, I, 305.

Telle est aussi l'opinion professée par Merlin, au Répertoire de jurisprudence, vo Effet rétroactif, sect. 3, § 2.

» l'a produit, d'après le principe: etiam ea quæ rectè constite» runt, resolvi putant, cùm in eum casum reciderunt, à quo » non potuissent consistere (L. 98, ff. de V. O.). »

34. Il nous reste à dire quelques mots sur l'arrêt de la cour royale de Douai du 28 mars 1831. D'après les motifs de cet arrêt, « il suffit que le père, né en Belgique avant la réunion, ait » été, par suite de cette réunion, Français à l'époque de la nais» sance du fils, pour que cette circonstance ait imprimé à ce >> dernier la même qualité de Français que le fils né sur le ter>> ritoire actuel de la France, et ayant continué de l'habiter, n'a >> dû remplir aucune formalité pour conserver la qualité de Fran» çais........ qu'il n'a pu la perdre par le fait ou la faute de son » père. »

Il suffit, je pense, de renvoyer à ce qui a été dit plus haut, pour démontrer que cette argumentation est erronée 1.

Le conseil de révision a également considéré que le fils, né Français, n'a pu perdre cette qualité par le fait ou la faute de son père. Il y a lieu de penser que des considérations de fait, plus que des raisons de droit, ont amené la décision de ce conseil.

35. Les décisions formulées dans les arrêts des 28 mars 1831 et 13 janvier 1845 rappellent involontairement les arrêts des chambres de réunion instituées par Louis XIV à la suite des traités de paix de Westphalie, des Pyrénées et de Nimègue. Ces arrêts tendaient à des accroissements du territoire de la France, au mépris du droit public de l'Allemagne : l'arrêt du 13 janvier peut être regardé comme une entreprise contraire au droit public de l'Europe consacré par les traités des 20 mai 1814 et 30 novembre 1815, et tendant à changer la nationalité d'une personne non sujette du roi des Français.

Dans les départements qui avoisinent la frontière, il existe un grand nombre de fils d'étrangers se trouvant dans une position analogue à celle de Marchal fils, et qui, élevés conjointement avec les jeunes Français de la même contrée, échappent cependant à la loi du recrutement. Des décisions basées sur le principe des

1 Nous avons cité, au no 31, un arrêt de la même cour, du 16 novembre 1829, qui nous semble rendu dans le sens opposé.

* Scholl, Histoire des traités de paix, t. I, p. 379 et suiv.

les arrêts des 13 janvier 1845 et 28 mars 1831 pourraient modifier cet état de choses. Mais mieux vaudrait une loi qui déclarerait Français tout individu né en France ou y ayant résidé pendant un certain nombre d'années, et y exerçant un état, profession ou occupation lucrative quelconque. On rencontre des dispositions analogues dans les législations étrangères. Nous en parlerons dans un autre endroit.

FOELIX.

Le tuteur d'un interdit a-t-il qualité pour intenter, au nom de l'interdit, une action en désaveu de paternité?

Par M. P. PONT, avocat à la cour royale de Paris.

Une proposition très-généralement mise en avant, dans la doctrine, c'est que l'action en désaveu d'enfant découle d'un droit exclusivement personnel à l'époux. C'est le mari, dit-on, qui est le premier et l'unique juge du fait qui donne lieu à l'action en désaveu; personne n'a droit de se plaindre lorsqu'il se tait. La loi veut même qu'il puisse au besoin pardonner l'offense, puisqu'elle dit seulement qu'il pourra désavouer, et que, loin de lui en faire un devoir, elle limite, au contraire, à un bref délai l'exercice de la faculté qu'elle lui accorde. Telle est la doctrine qui a été à peu près unanimement reproduite par les auteurs.

De cette doctrine qui, pour être tout à fait exacte, devrait seulement être moins absolue, on pourrait et peut-être on devrait inférer la solution négative de notre question. Toutefois, ce ne serait encore qu'une induction.

Mais cette opinion, nous la trouvons formulée, sinon justifiée, dans le Cours de droit civil de M. Zachariæ, traduit et annoté par MM. Aubry et Rau. « Le désaveu, y lit-on, en effet, est pour le mari une question d'honneur dont il doit être le seul appréciateur. Ainsi le droit de désaveu ne peut être exercé en son nom par son tuteur dans le cas où il est interdit 1. »

V. t. III, p. 645, note 4.

D'un autre côté, deux jurisconsultes, examinant une question analogue, ont été amenés à parler de celle qui nous occupe ici. L'un, M. V. Dupret, professeur de droit civil à l'université de Liége, traitant dans cette Revue même 1, avec une netteté et une érudition remarquable, de la déclaration de bâtardise des enfants de l'épouse dans le cas d'absence du mari, s'est attaché à démontrer la proposition avancée par MM. Aubry et Rau, pour tirer ensuite de cette démonstration même un argument par identité de raison, à l'appui de sa thèse : que les envoyés en possession provisoire, et même les envoyés en possession définitive des biens d'un absent, ne doivent pas être admis à former l'action en désaveu au nom de celui-ci. L'autre, M. Merlin 2, par un procédé semblable mais employé en sens inverse, pose, au contraire, à l'occasion de la même question, comme un principe certain, que l'action en désaveu appartient au tuteur du mari interdit, pour arriver ensuite, par voie d'argument à fortiori, à dire que cette action ne peut être refusée à l'envoyé en possession provisoire. << Si, pendant qu'un mari interdit pour cause de fureur, dit Merlin, serait renfermé dans un hospice à une grande distance du lieu où réside sa femme, celle-ci concevait un enfant et le mettait au monde, le tuteur à l'interdiction du mari pourrait-il, en vertu de l'article 312 du Code civil, désavouer cet enfant? Oui certes; et cependant il ne serait pas physiquement le même individu que le mari; mais il le représenterait.... Eh bien ! l'envoyé en possession provisoire représente aussi l'absent. Bien plus..... Il y a donc de bien plus fortes raisons pour lui donner l'action en désaveu de paternité, qu'il ne peut y en avoir pour la donner au tuteur du mari interdit pour cause de fureur, à qui cependant il est évidemment impossible de la contester. » Telles sont, notre connaissance du moins, les seules données que fournit la doctrine des auteurs sur un point dont pourtant on ne peut guère se dissimuler la haute gravité.

à

Et cependant, on l'a vu, c'est seulement d'une manière tout à fait indirecte que la question a été envisagée. Disons-le même, car cela est remarquable, soit qu'on ait admis l'action en désa

1 V. année 1844, p. 725 et suiv..

2. V. Quest. de droit, vo Légitimité, § 8.

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