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C'est alors que M. Scialoja traite des institutions politiques, de l'esclavage, de l'éducation. Si, à propos de l'esclavage, on peut lui reprocher de s'être un peu trop laissé aller aux aberrations sentimentales de l'école philanthropique, on ne peut que recommander la lecture des pages où il analyse les influences de l'éducation physique et morale sur le bien-être et la prospérité des nations, et ses rapports étroits avec l'économie sociale.

La liberté industrielle, les prohibitions, le colbertisme et ses destinées diverses jusqu'à l'avénement de l'école physiocratique, les corporations, la concurrence, et enfin l'intervention du gouvernement dans les lois économiques de la production et de la répartition de la richesse, appellent tour à tour l'attention et les méditations de l'auteur.

Partisan de la liberté dans une sage limite, il s'élève contre les lois destinées à réprimer ce qu'on nomme l'usure, lois contraires à la véritable économie politique, et de plus mal raisonnées; car outre que l'argent est une marchandise qui, comme toutes les autres, a un prix variable suivant les lieux et les circonstances, il est positif que, si un homme achète de l'argent fort cher, c'est-à-dire à un intérêt que l'on appellerait usuraire, et qu'au moyen de cet argent il évite sa ruine, il fait, en restant à la tête de ses affaires, en ne causant autour de lui aucune perturbation commerciale ou industrielle, plus de bien à la société qu'il ne lui fait de mal en payant cher une marchandise dont il a en ce moment un extrême besoin.

Enfin, une dernière partie considère l'État dans ses besoins économiques vis-à-vis de la population. C'est là que vient se placer la théorie de l'impôt et la question du monopole.

Les derniers chapitres de l'ouvrage sont consacrés au crédit public, aux banques, à la bienfaisance publique, aux dépenses nécessaires de l'État, et enfin à l'examen du système colonial, dont l'auteur se déclare l'ardent adversaire. On peut être de son avis si on considère le système colonial comme il l'a fait, c'est-àdire d'une manière abstraite et pour ainsi dire théorique. De ce que le système colonial a des abus, s'ensuit-il qu'il faille complétement y renoncer avant même de savoir si ces abus sont ou non de nature à être réfo: més? La navigation, l'existence d'une force

maritime sont aujourd'hui pour les États des nécessités impérieuses. Autrefois on disait: Périssent les colonies plutôt qu'un principe. Aujourd'hui nous disons: Il est vrai, nos colonies nous coûtent cher; mais si les sacrifices que nous faisons pour elles peuvent contribuer à développer notre force maritime, qui sera en toute occasion la protectrice la plus certaine de notre com merce, et, en cas de conflit avec les puissances européennes, le gage le plus assuré de notre indépendance, ces sacrifices ne seront pas perdus pour le pays. On a exagéré le système colonial, il est vrai; les métropoles ont pesé sur les colonies, en imposant à leurs produits des droits exorbitants et iniques qui arrêtaient la production dans son essor; mais faut-il conclure de ce fait que les colonies doivent périr? En France surtout, nous avons été souverainement injustes pour nos colonies. L'ancienne colonie de SaintDomingue nous a prouvé qu'avec une bonne administration il pouvait y avoir prospérité pour la colonie et pour la métropole.

Un homme pratique, habitué depuis longtemps aux affaires et à parler la langue commerciale, M. Hipp. Devillers, s'est chargé de faire connaître à la France l'ouvrage de M. Scialoja, et il l'a fait avee un soin, nous dirons presque avec un amour qui prouve combien il s'est pénétré de son modèle : aussi lui a-t-il conservé toutes ses qualités et même ses défauts. Sous la plume de l'auteur napolitain, le langage scientifique devient presque mathématique, on pourrait dire algébrique; de temps en temps aussi, il se laisse aller au néologisme pour mieux exprimer sa pensée, pour la faire entrer en quelque sorte de force dans le cadre de ses idées et de ses déductions. Ne va-t-il pas ainsi contre le but qu'il poursuit, avec autant de talent du reste que de savoir? Aujourd'hui, l'économie politique est appréciée à sa juste valeur par tous les hommes sérieux; elle a conquis le rang et le titre d'une science véritable. Que lui manque-t-il souvent pour étendre encore son empire, et se vulgariser parmi les masses? Une langue claire, précise, toujours intelligible, qui ne se contente pas de faire apprécier ses services, mais qui puisse encore la rendre populaire.

P.-A. DE LA NOURAIS.

Loi sur les chemins de fer dans les États sardes, du 13 février 1845.

Par un Jurisconsulte sarde.

Depuis quelques années de nombreuses constructions de chemins de fer ont été faites dans différents États de la Péninsule italienne, savoir, de Naples à Castellamare et à Capoue, de Livourne à Pise, de Pise à Lucques et à Florence, enfin de Venise à Milan. Le gouvernement sarde ne pouvait rester étranger à ce mouvement général, surtout avec les ressources dont il peut disposer.

En effet, il était facile de comprendre que le port de Gênes, jadis si florissant par le commerce du Levant, déchu de sa puissance depuis que Marseille et Trieste ont si notablement prospéré, se voyait exposé à des pertes encore plus graves si, pour y arriver de l'intérieur, un chemin de fer ne lui assurait pas le transit vers la Lombardie et la Suisse.

Cependant la difficulté de passer l'Apennin, qui s'élève à Gênes d'une manière tout à fait abrupte, était un obstacle grave qu'on ne croyait pas pouvoir surmonter; et les précautions défensives de la place de Gênes, si importante pour le gouvernement sarde, étaient une autre difficulté qui semblait arrêter ce gouvernement, malgré son intention bien prononcée de sauver le port de Gênes de la décadence dont il était menacé.

Pendant que le gouvernement sarde faisait rechercher par ses ingénieurs si on pouvait ouvrir un canal du golfe de Gênes au Pô (auquel canal déjà le gouvernement français avait pensé lorsque le Piémont et Gênes étaient réunis à la France), une société de négociants génois demandait en 1837 l'autorisation de faire faire des études pour un chemin de fer à travers l'Apennin, de Gênes à la frontière lombarde, à certaines conditions de faveur et de privilége.

Le gouvernement nomma une commission composée de militaires et d'administrateurs, pour examiner les différentes questions très-graves sous le rapport politique, stratégique et éco

nomique, auxquelles cette demande semblait donner lieu.

Cette commission, dans un rapport lumineux, déclara que si le passage de l'Apennin à l'aide d'un railway était possible, ce qu'elle ne voulait pas préjuger, il en résulterait un grand avantage pour la prospérité commerciale du pays, sans que sa défense put être exposée à aucun danger, moyennant certaines précautions militaires qu'elle suggérait. Discutant ensuite les conditions de privilége que la société demandait, la commission proposait d'en accepter quelques-unes et de rejeter les autres.

Des négociations furent ouvertes entre deux commissaires nommés par le ministère de l'intérieur, et les délégués de la société génoise; c'est à la suite de ces négociations que furent promulguées les royales-patentes du 10 septembre 1840, qui acceptaient, sous certaines conditions et réserves, les propositions de la société.

Cette loi permettait à ladite société de faire faire, à ses frais, risques et périls, les études du railway projeté, en déclarant toutefois que le gouvernement ne s'engageait à aucune promesse de concours, excepté à quelque facilité relativement aux droits de douanes et d'enregistrement, à l'exemption de la contribution foncière de la route, et à la cession de quelques terrains appartenant au domaine, ainsi qu'à la concession, à un prix de faveur, de la poudre nécessaire pour la mine.

Pour le cas où le résultat de ces études démontrerait la possibilité de l'exécution du chemin de fer, le gouvernement s'engageait à en concéder le privilége à la société, pour 99 ans, sauf le droit de rachat avec indemnité, après un certain temps (30 ans) et moyennant l'obligation que la société prenait de faire exécuter les ouvrages dans un temps donné (cinq ans après l'approbation du projet réservée au gouvernement). Elle s'obligeait en outre à établir son tarif à un tiers au-dessous des prix de transport actuels; elle consentait aussi, en cas de guerre, à interrompre le service sans demander d'autre indemnité que le remboursement de la valeur des objets détruits, et des frais de réparations.

Le gouvernement se réservait encore le droit de faire transporter les troupes, les munitions de guerre, le sel et le tabac né

cessaires à la régie, ainsi que la poste aux lettres, à des prix de faveur.

La société génoise, après avoir chargé des études un ingénieur du pays, M. le major Porro, et doutant probablement de leur exactitude, confia au célèbre ingénieur anglais Brunel fils la mission de reviser ces études, et, au besoin, de les compléter ou renouveler. C'est ce dernier parti que prit M. Brunel; en même temps, la société obtint du gouvernement une prolongation du délai fixé pour la présentation du projet. Vers la fin de 1843, M. Brunel présenta un projet nouveau qui déclarait tout à fait praticable le passage de l'Apennin au moyen d'un tunnel d'une longueur de 18,000 mètres, élevé à 340 mètres au-dessus du niveau de la mer, auquel il proposait d'arriver par deux plans inclinés, qu'on monterait et descendrait avec le système de wagons liés, soit par une machine fixe, soit par tout autre des moyens employés pour des passages analogues en Amérique, en Angleterre et ailleurs. La direction est, du côté de la mer, par les vallées de la Polcevera et du Ricio; le passage au moyen du tunnel, au col dit des Giovi, en descendant vers l'intérieur par la vallée de la Scrivia à celle du Tanaro à Alexandrie.

Ce projet, communiqué au gouvernement dans les premiers mois de 1844, examiné par une commission d'ingénieurs, fut réconnu praticable, sauf quelques modifications proposées, lorsque, préalablement à son approbation, la société demanda de nouvelles et bien plus grandes faveurs, en affirmant que ces facilités seules la mettraient à même d'entreprendre les travaux, et, se constituant en société anonyme, de trouver les capitaux nécessaires à la dépense évaluée à 45 millions pour aller seulement de Gênes au Pô. Ces faveurs étaient principalement la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 1/2 pour 100, y compris le 1/2 pour 100 destiné à l'amortissement. Cette nouvelle proposition changea entièrement l'état de l'affaire, puisque la concession précédente avait au contraire exclu spécialement toute promesse de concours. Toutefois le gouvernement nomma une autre commission pour l'examiner; mais les discussions qui s'élevèrent firent penser probablement qu'une concession de 99 ans, aux conditions nouvelles, pouvait causer au gouvernement une dépense annuelle

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