portation. Justinien adopta également ce principe, parce que le déporté devait conserver l'espérance d'être restitué dans son ancien état par l'indulgence du prince 1. Cette peine, d'après les lois romaines, était appliquée aux individus coupables de certains crimes, comme le faux, l'empoisonnement, l'homicide, le péculat, la concussion, la violence publique. Il est à remarquer que plusieurs de ces crimes étaient punis de mort, quand ils avaient été commis par des esclaves ou même par des gens d'une condition inférieure. La loi romaine, on le sait, faisait de semblables distinctions. Quand le christianisme commença à se consolider dans l'empire, on appliqua la déportation comme châtiment réservé aux individus qui s'occupaient d'astrologie judiciaire. D'après une loi de Constantin, ceux qui prédisaient à quelqu'un ce qui devait lui arriver pendant le cours de sa vie, par l'observation des astres qui avaient dominé au moment de sa naissance, et ceux qui interprétaient les songes étaient soumis, savoir: celui qui avait consulté l'aruspice, à la déportation dans une île et à la confiscation de ses biens, et l'aruspice à être brûlé vif 2. Indépendamment de la déportation, les Romains connurent une autre peine qui avait quelque analogie avec celle qu'Auguste avait introduite dans la législation. Il est ici question de la reléga tion. Toutefois la relégation avait des différences essentielles avec la déportation, en ce que cette dernière peine ôtait le droit de cité et emportait nécessairement la confiscation des biens, tandis que la relégation ne privait ni de l'un ni des autres, à moins que, par une disposition spéciale, les biens du relégué ne fussent confisqués 3. La déportation était une peine perpétuelle, tandis que la relégation pouvait n'être que pour un temps. Les gouverneurs pouvaient reléguer dans l'étendue de leur province, mais pas au delà. Les condamnés à la relégation n'étaient pas flétris dans l'opinion publique, comme l'étaient les déportés; car ceuxci étaient frappés par la loi à la suite d'un crime dont ils s'étaient rendus coupables, tandis que les relégués étaient souvent éloignés pour des faits moins graves, souvent même par l'arbitraire seul. Ovide, relégué par le bon plaisir de l'empereur, regardait comme un avantage de n'avoir été condamné ni par un juge spécial, ni par un décret du sénat, et de jouir de ses droits de citoyen 1. * Cod., lib. 5, tit. 16, loi 24. 2 Cod., lib. 9, tit. 18, loi 3 3 Instit., lib. 1, tit. 12, §§ 1 et 2. - Digest., lib. 48, tit. 22, loi 14, § 1. Digest., lib. 48, tit. 1. Novel. 22, cap. 13. Les gouverneurs avaient coutume de reléguer dans les parties les plus désertes de leurs provinces. Ils ne pouvaient reléguer dans une île que s'il s'en trouvait une dans les limites de leur commandement. Toutefois, quand il ne s'en trouvait pas, ils ne pouvaient condamner à la relégation dans une île qu'en référant à l'empereur pour cet objet; dans ce cas c'était le prince qui désignait l'île où le condamné devait séjourner. Il convient d'ajouter qu'il y avait deux espèces de relégués. Aux uns on assignait une résidence, aux autres on interdisait une province, mais sans désignation de retraite. La relégation la plus rigoureuse était sans contredit celle qui forçait le condamné à habiter dans une île. On considérait aussi comme relégation la sentence qui condamnait un coupable à ne jamais sortir de sa maison, de la ville ou du canton. Suétone parle d'une autre peine qui fut introduite sous l'empereur Claude, et qui était assimilée à la déportation dans une île; c'était l'interdiction de s'éloigner de la ville au delà d'une certaine distance, comme la troisième borne. A ces détails que l'on trouve dans les lois romaines qui sont parvenues jusqu'à nous, il faut ajouter que les relégués ne pouvaient pas habiter la ville de Rome, quoique le jugement n'en parlât pas, parce que Rome était la patrie de tous. Les relégués ne pouvaient pas non plus habiter la ville dans laquelle résidait le prince ou par laquelle il devait passer, parce qu'il n'était permis de voir le prince qu'à ceux qui pouvaient entrer dans Rome, et que le prince était le père de la patrie. Cette prohibition ne frappait pas seulement le relégué, mais encore son affranchi, qui ne pouvait pas plus que lui s'approcher de la ville. 1 Omnia, si nescis, mihi Cæsar jura reliquit Et sola est patriâ pæna carere mea. (Ovid., Trist.) * Suétone, Vie de Claude, § 23. Les déportés et les relégués qui tentaient par la fuite de se soustraire à leurs condamnations encouraient des peines plus sévères. Ainsi, un relégué à temps quittait-il la résidence qui lui était fixée, il était relégué à perpétuité dans une île. Si le relégué dans une île en sortait, il était condamné à la déportation; si le déporté s'échappait, il était condamné à mort. Du temps des Romains, la déportation paraît avoir été en usage dans les pays les plus éloignés de l'Italie. L'île de Taprobane, connue aujourd'hui sous le nom de Ceylan, et regardée anciennement 1 comme le centre du commerce méridional, surtout par rapport à l'Éthiopie et à l'Égypte, a eu pour premiers habitants des déportés. Si l'on en croit quelques auteurs modernes, l'étymologie du mot Cingalais (par lequel on désigne dans tout l'Orient la population de Ceylan) viendrait de ce que les premiers habitants de cette île furent appelés Galas par les peuples habitant le long de la côte de Coromandel, avec lesquels ils commencèrent d'abord à trafiquer. Galas signifiait gens dégradés, bannis de leur pays, déportés, et, en effet, les Coromandis croyaient que les Cingalais avaient été déportés dans l'île qu'ils habitaient. Quelques-uns des peuples barbares qui envahirent l'empire romain continuèrent à appliquer la déportation dans les provinces enlevées au pouvoir des empereurs. On cite entre autres les Vandales; ariens exaltés, ils exilèrent d'Afrique, quand ils en furent maîtres, et firent déporter en Sardaigne, à plusieurs reprises, cinq cents évêques et une foule de non-conformistes. Ils trouvaient que c'était faire preuve d'une grande modération que de laisser la vie à ceux qui ne partageaient pas tous leurs principes religieux. Il est fâcheux que les fanatiques de tous les pays n'aient pas suivi l'exemple de ces barbares en toutes circonstances. La déportation ne paraît avoir été conservée comme peine que par les peuples qui enlevèrent l'Afrique à la domination romaine. En Europe, lors de l'invasion de l'empire par les barbares, la législation romaine fut remplacée par les lois des différents peuples qui se fixèrent dans les provinces conquises. Ce changement s'opéra avec facilité; il convient d'en expliquer les causes. Les lois barbares n'étaient point attachées à un certain territoire ; elles étaient personnelles, c'est-à-dire qu'elles suivaient la population partout où elle se transportait. Ces lois étaient d'ailleurs impartiales; la loi salique seule ne l'était pas; elle traitait de tous les crimes et réglait, comme les autres, toutes les réparations par des compositions; mais elle établissait des distinctions. Quand on avait tué un Franc, un barbare ou un homme qui vivait sous la loi salique, on payait à ses parents une composition de 200 sous; on n'en payait qu'une de 100 sous lorsqu'on avait tué un Romain possesseur, et seulement une de 45 quand on avait tué un Romain tributaire 1. 1 Ptolémée, Géographie, liv. 7, chap. 4.-Cosmas, Topographica christiana. - Montfauconii Nova collectio patrum, t. II, p. 333, 338, et t. III, p. 435. Des écrivains célèbres ont émis sur les lois barbares, et notamment sur celles des Visigoths, des opinions qu'il est difficile de concilier; mais, quoi qu'il en soit, on est généralement d'accord pour reconnaître que les peines étaient fort modérées dans cette législation. On sait que les Germains (les conquérants de l'empire romain étaient presque tous des Germains) ne connaissaient que deux crimes capitaux; ils pendaient les traîtres et noyaient les poltrons. Les lois barbares ne prononçaient, en général, que des peines pécuniaires; la loi des Visigoths, entre autres, portait une peine de dix coups de fouet pour un soufflet, de vingt coups pour un coup de pied, de trente pour un coup à la tête, quand il n'avait pas été suivi d'effusion de sang, tandis que la mutilation et le meurtre n'étaient punis que par des amendes. On voit par ce qui précède qu'il y avait avantage à être Frane ou barbare; comme d'ailleurs chacun pouvait demander à être soumis à la législation qui lui paraissait plus convenable, il est facile d'expliquer la préférence que les populations donnèrent aux lois barbares. Quoiqu'elles révélassent des mœurs violentes et qu'elles prononçassent des peines bizarres, ces lois remplacèrent bientôt celles des Romains, et il résulta de ce changement que l'application de la peine de la déportation devint rare de plus en plus; on peut même dire que pendant longtemps cette peine cessa d'être en usage. 1 Loi salique, tit. 44, SS 1, 7, 15. Il y avait 358 compositions et 31 variétés de compositions. La plus légère était de 7 deniers, la plus forte de 1,080 sous. V. le capitulaire de Charlemagne à la suite de la loi salique; il est intitulé : Recapitulatio solidorum. 2 « Les lois des Visigoths, celles de Recessuinde, de Chaindasuinde et d'Egiga sont puériles, gauches, idiotes; elles n'atteignent point le but; pleines de rhétorique et vides de sens, frivoles dans le fond et gigantesques dans le style. » (Montesquieu, Esprit des lois, liv. 28, chap. 1г.) « Le code visigoth..... est incomparablement plus rationnel, plus juste, plus doux, plus précis; il connaît beaucoup mieux les droits de l'humanité, les devoirs du gouvernement, les intérêts de la société; il s'efforce d'atteindre à un but plas élevé et plus complexe que toutes les autres législations barbares..... » (M. Guizot, Histoire de la civilisation en France, XI leçon.) Aucune des lois barbares n'avait indiqué cette peine; on la retrouve pour la première fois mentionnée dans les capitulaires de Charlemagne comme réservée pour certains crimes. Il est dit dans l'un de ces capitulaires que les individus qui exciteraient le peuple à se soulever, ou qui occasionneraient des désordres, seraient, suivant leurs qualités et leurs fonctions, soumis au supplice de la croix, livrés aux bêtes ou déportés dans une île 1. Dans un autre capitulaire de ce prince, on lit que tout individu qui se réfugiait dans une église n'en pouvait être enlevé de force; qu'en l'honneur de Dieu, des saints, et du respect du criminel lui-même pour l'église, on devait lui laisser la vie et tous ses membres, et le conduire devant le roi, qui l'envoyait dans le lieu que sa clémence indiquait; ce qui, en d'autres termes, signifiait que le criminel était banni ou déporté *. L'usage de déporter les condamnés à mort par commutation de peine n'était pas encore admis. Il arrivait pourtant quelquefois qu'on laissait la vie à des individus condamnés à mort; mais dans ces cas, réservés à des hommes remarquables par leur naissance ou par les emplois dont ils avaient été revêtus, et aussi stipulés comme condition d'une capitulation, dans cès cas, disonsnous, on a vu des condamnés à mort relégués à perpétuité dans une prison après avoir eu les yeux crevés; on appelait cela laisser la vie en respectant la justice. Pour les princes du sang 1 Capitul. regum francorum, lib. 7, CCCLXXI. • Caroli Magni Capitulatio de partibus Saxoniæ, § 2, De confugio ad ecclesiam. 3 Hoc dicebatur vitam reo concedere salva justitia. (Canciani, Leges Visigothorum, t. IV, lib. 2, tit. 1or.) |