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qu'elle régit, aux jugements rendus en France par le tribunal du créancier, mais ces jugements pourront atteindre celui contre lequel auront été prononcées les condamnations, soit dans sa personne, s'il se rend sur le territoire français, soit dans sa fortune, s'il y possède des biens 1.

Cela posé, nous dirons que la femme française, naturalisée en Belgique ou admise à jouir des droits civils dans ce pays, lorsqu'elle poursuit la transformation de la séparation de corps en divorce, a son mari pour obligé, ou du moins qu'elle a intérêt à faire cesser entre elle et lui une relation légale que la législation de sa nouvelle patrie ne l'oblige plus à subir, et nous en tirerons la conséquence qu'elle peut assigner son mari devant un tribunal belge pour faire prononcer entre eux le divorce.

Mais quel sera le tribunal appelé à statuer sur cette contestation? Si l'on remonte au principe qui a dicté au législateur les dispositions par lesquelles se trouve déterminé, entre les divers tribunaux d'un même pays, celui qui est compétent pour telle ou telle affaire, on ne doit pas hésiter à dire que dans l'hypothèse dont nous nous occupons, c'est au tribunal belge du principal établissement, ou, à son défaut, de la résidence de la femme naturalisée ou admise à jouir des droits civils en Belgique, que doit être portée la demande en divorce formée par elle contre un mari qui a conservé son domicile sur le territoire de la nation qui a cessé d'être leur patrie commune. En effet, les dispositions dont il s'agit ont eu pour but de concilier l'intérêt du créancier avec celui de l'obligé. Chacun d'eux a intérêt à faire juger la contestation devant le tribunal de son principal établissement, parce que là où il est plus connu, sa conduite doit être mieux appréciée, mais l'intérêt du défendeur est encore plus puissant que celui du demandeur, parce que le premier, en plaidant devant le tribunal du domicile du second, subirait un désavantage sans compensation, tandis qu'en portant la cause devant le tribunal du domicile du défendeur, dans l'arrondisse

1 Nous irions même jusqu'à dire qu'il est d'une bonne politique de rendre justice, même à deux étrangers, soit de la même nation, soit de deux nations différentes; car il est de l'intérêt général qu'une nation protége tous ceux qui se trouvent établis sur son territoire.

ment duquel se trouvent sans doute les propriétés de son adversaire, le demandeur aura l'avantage de rapprocher le lieu du jugement de celui de l'exécution.

Ces considérations justifient la préférence donnée, en général, par le législateur au tribunal du domicile du défendeur (C. de proc., art. 59); mais si celui-ci, en n'ayant pas de domicile sur le territoire dans lequel il doit être jugé, renonce à l'influence qu'il peut exercer dans la question de compétence, il est évident que la détermination du tribunal compétent doit être faite d'après l'intérêt du créancier seul.

Quant à la question de savoir comment le défendeur français sera réputé avoir connaissance de la demande formée contre lui devant un tribunal étranger, on peut induire du n° 9 de l'article 69 du Code de procédure, que cette présomption résultera de l'observation des formalités suivantes: remise de l'exploit au domicile du procureur du roi près le tribunal belge qui doit connaître de la demande, visa de ce fonctionnaire, et envoi par lui d'une copie au ministre des affaires étrangères. Ajoutons qu'en Belgique, un règlement d'administration publique impose l'obligation de transmettre la copie dans une lettre chargée, au domicile actuel, s'il est connu, sinon, au dernier domicile connu du défendeur. Le législateur français a cru devoir laisser le mode de transmission à la discrétion du fonctionnaire chargé d'opérer la remise.

Résumé.

L'individu appartenant à une nation chez laquelle le divorce n'est point permis, obtient le droit de divorcer, par sa naturalisation dans un pays dont les lois consacrent cette institution. C'est une conséquence du principe suivant, qui exprime la pensée de la généralité des peuples civilisés : L'individu naturalisé a tout à fait la même condition que s'il était sujet naturel, sauf les réserves qui peuvent être exigées par la théorie des attentes légales 1.

1 Une objection a été faite : c'est que la naturalisation devient ainsi un moyen

La qualité de femme mariée n'est pas un obstacle à ce qu'elle soit investie du droit dont il s'agit ; mais il faut, pour cela, que la naturalisation soit régulièrement obtenue; or la plupart des jurisconsultes pensent que la femme mariée ne peut changer de nationalité qu'autant que son mari le veut bien, et même que la volonté du mari suffit 2.

Mais nous croyons avoir démontré qu'il faut, pour changer la nationalité commune aux deux époux, l'accord de leurs volontés, et que ce même accord est également nécessaire pour changer la nationalité personnelle de l'un des époux.

d'échapper aux lois prohibitives. Il y a longtemps que l'on a répondu à cette objection. Aux observations des anciens jurisconsultes, et notamment de Bouhier (t. I, p. 587 et 588), j'ajouterai qu'il serait bien étrange que, dans un pays où l'esclave devient libre par cela seul qu'il en a touché le sol, la femme naturalisée ne fût pas affranchie d'une puissance dont le législateur, qui admet l'institution du divorce, a reconnu la possibilité d'abuser.

1 L'aptitude à être naturalisé est la règle générale. S'il y a exception pour la femme mariée ou séparée de corps, ce ne peut être que dans l'intérêt du mari ou des enfants, et non dans l'intérêt de la nation qu'elle veut quitter ou de celle dont elle veut devenir membre. Il s'agit donc simplement d'un intérêt privé, et par conséquent, suivant la règle ordinaire pour cette espèce d'intérêt, il y a lieu à une indemnité pécuniaire contre celui qui y porte atteinte, et en faveur de l'individu lésé.

2 Au lieu de demander si la femme mariée peut obtenir sa naturalisation comme le pourrait une femme qui n'a jamais été mariée ou qui est veuve, on aurait dû, peut-être, poser ainsi la question: Que faut-il pour que la naturalisation de la femme mariée substitue au règlement établi, pour les relations conjugales, chez la nation dont elle faisait partie, celui qui est établi chez telle autre nation? En effet, pour tout ce qui n'apporte aucune modification aux relations légales d'un époux avec son conjoint, par quelle raison la femme mariée ne serait-elle pas soumise aux mêmes règles que la femme fille ou veuve?

Il est évident qu'une observation analogue peut être faite relativement à la femme séparée de corps.

Pour justifier la méthode que nous avons suivie (en imitant tous ceux qui ont traité de la naturalisation), il faut supposer que la généralité des nations civilisées n'est pas disposée à accorder une naturalisation restreinte (si ce n'est en vertu du principe: Il faut respecter les attentes légales). Ainsi on pourra bien reconnaître que la femme mariée sous l'empire d'une législation qui accorde un douaire à la femme survivante, doit conserver ce douaire lorsqu'elle passe, par la naturalisation, sous l'empire d'une législation qui n'admettrait pas et même qui défendrait la stipulation d'un douaire; mais on ne reconnaîtra pas qu'une femme mariée sous l'empire d'une législation qui défend le divorce, reste soumise à la règle de l'indissolubilité du mariage, en passant sous l'empire d'une législation qui repousse le célibat forcé. — Qu'arriverait-il dans le système contraire? On serait conduit à distinguer une multitude de classes différentes de naturalisés, et, pour traiter avec sécurité avec un individu qui se présentera comme naturalisé, il ne suffirait pas de s'assurer qu'il est en effet naturalisé, il faudrait reconnaître à quelle classe de naturalisés il appartient, ce qui serait souvent difficile.

Le refus de l'un des époux, de satisfaire au désir manifesté par l'autre, de changer la nationalité commune ou sa nationalité personnelle, donne lieu à une action, et le consentement refusé peut être remplacé par l'autorisation de la justice 1.

Si la nation que l'on veut quitter, s'obstinait à ne point reconnaître la naturalisation accordée par une autre nation, la volonté isolée de cette dernière nation produirait toujours son effet sur son territoire; mais elle serait sans effet sur le territoire de la première.

On ne doit pas présumer que l'intention d'une nation soit de s'écarter du principe posé ci-dessus, sans de très-fortes raisons; et, dans le doute, on doit décider conformément à ce principe.

La nécessité du consentement d'un époux à la naturalisation de son conjoint ayant pour cause une communion d'intérêts qui a cessé par la séparation de corps, la femme séparée de corps est tout à fait dans la même position que si elle n'avait point été mariée, ou si son mari était mort, soit naturellement, soit civilement il n'y a lieu de lui appliquer aucune des réserves que la théorie des attentes légales peut faire établir pour le cas où il s'agit de la femme mariée integri statûs.

Ce que nous avons dit de la naturalisation est applicable à l'autorisation d'établir son domicile à l'effet de jouir des droits civils.

Lorsqu'une femme française, séparée de corps, a été naturalisée ou admise à jouir des droits civils en Belgique, elle peut demander la transformation de la séparation de corps en divorce devant un tribunal de sa nouvelle patrie, quoique son adversaire ait conservé son ancienne patrie et son ancien domicile. Le tribunal compétent sera celui du principal établissement de la demanderesse, ou, à son défaut, de la résidence actuelle.

Quant au mode de remise de l'assignation, il sera également déterminé par la loi de son domicile.

1 Contre cette manière de procéder on objectera sans doute qu'il n'en est question dans aucun texte de loi, et même que la jurisprudence des arrêts, comme la doctrine des auteurs, est muette à cet égard. Mais nous répondrons que, dans le droit moderne des nations européennes, tout intérêt légitime donne lieu à une action.

Quels sont les raisonnements qu'on oppose au système qui vient d'être exposé relativement à la condition de la femme séparée de corps?

Ils se réduisent aux suivants, qui sont tirés de la lettre de quelque texte mal rédigé :

« La femme mariée suit la condition de son mari;

» Donc elle ne peut avoir une nationalité différente de celle de » son mari;

» La femme séparée de corps est comprise sous le nom de » femme mariée;

>> Donc la femme séparée de corps ne peut avoir une autre na» tionalité que celle de l'individu dont elle est séparée. »

Nous avons réfuté le premier argument en montrant que cette proposition : La femme suit la condition de son mari, doit s'entendre comme la maxime: Filius conditionem patris sequitur.

Nous avons réfuté le second argument en expliquant les articles 108 et 227 (V. cette Revue, t. I, p. 651 et 652). Les considérations que nous avons invoquées pour prouver que le mari séparé de corps ne peut pas avoir le droit de changer ou maintenir à son gré le domicile de la femme, sont applicables, à fortiori, au changement ou au maintien de la nationalité.

Je ferai remarquer, en finissant cette Dissertation, que lorsqu'on admet qu'un mari integri statûs peut, sans le concours de la volonté de sa femme, acquérir le droit de divorcer, en changeant la nationalité commune, il est étonnant qu'on refuse à la femme séparée de corps le droit de faire cesser un lien presque nul et une incapacité que le mari n'a aucun intérêt appréciable à maintenir.

H. BLONDEAU.

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