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l'ombré des douces paroles de paix, méditant la révolte et le massacre1.

C'en était fait le voile était déchiré! Le camp de la Prévalaye fut investi et dispersé. Les brigands, réunis en grand nombre dans le Morbihan, furent battus trois fois par le général Josnet. Telle était l'indignation des républicains, qu'un détachement de grenadiers ayant envahi la maison de campagne de Boishardy, les soldats ne se contentèrent pas de le massacrer, mais promenèrent sa tête au bout d'une pique. Hoche, instruit de cet acte d'i gnoble férocité, fit aussitôt arrêter les officiers dudétachement qui s'en était rendu coupable, et marqua d'une flétrissure publique ce qu'il définissait avec raison « un crime envers l'honneur, l'humanité et la générosité française. »

Tel était l'état des choses en Bretagne, lorsque l'invasion de la France fut tentée par les royalistes émigrés, à la solde des Anglais. Mais, avant d'aborder le récit de cette expédition criminelle, voyons ce qui se passait au Temple.

1 Correspondance secrète de Charette, Stofflet, Puisaye et autres. T. I, p. 229-231.

2 Puisaye, dans ses Mémoires, t. VI, p. 110, 111, ose parler du « camp paisible de la Prévalaye, et des malheureux qui dormaient sur la foi des traités. » Et cela dans le même livre où il raconte tout au long comment il se concertait, de Londres, pour préparer le succès de la descente des Anglais, avec ces malheureux qui dormaient sur la foi des traités! Correspondance de Hoche. Lettre au Comité de salut public; Rennes, 20 prairial, an III (8 juin 1795).

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Correspondance de Hoche. Lettre de Hoche à l'adjudant général Crublier, en date du 30 prairial, an III (18 juin 1795).

CHAPITRE QUATRIÈME.

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MYSTÈRES DU TEMPLE.

-

Simon et sa femme. - Leur

Doute historique. Les faux Dauphins. déménagement de la prison du Temple; histoire du cheval de carton. - La femme Simon aux Incurables (femmes); faits étranges racontés par elle. Changements singuliers dans le régime intérieur du Temple, après le départ de Simon. Précautions pour empêcher l'enfant d'être vu. Laurent, nommé gardien. Visite de Barras au Temple. Gomin donné pour assistant à Laurent. Affirmations contradictoires de Gomin. Inhumanité du gouvernement thermidorien; paroles odieuses prononcées par Mathieu. L'enfant laissé seul; histoire fermée. Motion de Lequinio. Rapport de Cambacérès; paroles de Cambacérès paraissant se rapporter à la possession d'un grand secret. Mot horrible de Brival. - Visite faite à l'enfant du Temple par Harmand (de la Meuse), Mathieu et Reverchon; l'enfant muet. Gomin et Lasne, faux témoins. La visite d'Harmand sans résultat. Harmand envoyé aux Grandes Indes. Hue demande la faveur de soigner l'enfant malade; refus. — Desault, nommé médecin de l'enfant. Mort subite de Desault; documents curieux sur les causes de cet événement. - Mensonge officiel, au sujet de la mort de Desault. — Mort subite du pharmacien Choppart; étranges coïncidences. Le docteur Pelletan et le docteur Dumangin. Paroles faussement attribuées à l'enfant; détails fantastiques sur ses derniers moments. Manière dérisoire de constater l'identité; le corps vu dans le demi-jour. — Déclaration singulière contenue dans le procès-verbal d'ouverture du corps. Irrégularité de l'acte de Rapport de Sevestre. Bruits d'empoisonnement. d'évasion et de substitution. - Enfant arrêté comme étant le Dauphin évadé. Destinée mystérieuse. Conduite extraordinaire des successeurs de Louis XVII à l'égard de ses restes et de sa mémoire. Enseignement.

décès.

- Bruits

L'enfant qui mourut dans la tour du Temple, le 20 prairial, an III (8 juin 1795) était-il le Dauphin, fils de Louis XVI, ou bien un enfant substitué?

S'il en faut croire une brochure de M. Labreli de Fontaine, ancien bibliothécaire de feu la duchesse douairière d'Orléans, les souverains alliés, en 1814, avaient de tels doutes sur la mort du fils de Louis XVI, qu'ils les auraient consignés dans le traité secret de Paris. Suivant l'auteur, il était dit, dans l'article I" de ce traité, que les «< Hautes parties contractantes » donnaient ostensiblement le titre de roi à Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, parce qu'ainsi le voulait l'état de l'Europe, mais que, pendant deux années, ils le considéreraient seulement comme régent du royaume dans leurs transactions secrètes, se réservant de faire, durant l'intervalle, toutes les recherches de nature à amener la découverte de la vérité1. »

Une chose est, en tout cas, certaine : c'est que la mort du fils de Louis XVI au Temple a été, pendant longtemps, regardée en Europe comme un point à éclaircir. Brémond, ancien secrétaire intime de Louis XVI, lorsqu'il fut interrogé à cet égard par le tribunal de Vevey, s'exprima en ces termes :

des

<< Nos travaux (pour le rétablissement de l'orphelin du Temple sur le trône) avaient cessé depuis quelques mois, à cause de la prétendue mort du Dauphin au Temple, quand un jour Son Excellence M. l'avoyer de Steiger me fit appeler pour me dire qu'il avait été informé par courriers expédiés à Vérone par des généraux vendéens, que le jeune prince n'était pas mort au Temple, mais qu'on l'avait, au contraire, sauvé de prison. Environ trois mois après cette nouvelle, M. de Steiger me la confirma, en m'assurant qu'il venait de recevoir des rensei

1 Sur quoi, John Hanson, l'auteur du livre publié à New-York, en 1854, sous ce titre, The lost prince, fait observer avec raison que, selon toute probabilité, un homme dans la position de M. Labreli de Fontaine n'aurait pas avancé légèrement un fait de cette importance: « A person of his position would scarcely make such a statement without good authority. »

gnements très-certains sur l'évasion du royal orphelin1. »

Que cette évasion ait été, pour un grand nombre de royalistes, une espèce d'article de foi, rien ne le prouve mieux que le succès prodigieux qui, au commencement de ce siècle, couronna les efforts de Jean-Marie Hervagault. Cet homme, fils d'un tailleur de Saint-Lô, ne se fut pas plus tôt donné pour le fils de Louis XVI, qu'il vit se grouper autour de lui des milliers de partisans. Kotzebue nous a conservé le souvenir de la sensation que produisit à Vitry-le-Français la présence d'Hervagault: ce fut du délire. Logé splendidement dans la maison de madame de Rambecour, dont le mari se fit gloire de lui servir de valet, l'audacieux aventurier eut bientôt à ses pieds une cour idolâtre. Ce n'étaient que bals, concerts et fêtes en son honneur. Quiconque lui parlait était tenu de l'appeler « mon prince. » Son portrait était dans toutes les mains, son éloge dans toutes les bouches. Les personnages les plus considérables par leur richesse ou leur naissance s'estimaient heureux de pouvoir remplir auprès de lui les plus vils emplois. On assurait que, pour être certain de le reconnaître, le pape avait imprimé sur la jambe de ce Dauphin retrouvé une marque particulière et distinctive. Fouché, apprenant qu'Hervagault poussait les choses jusqu'à distribuer des dignités, nommer à des fonctions, en un mot composer une cour, le fit arrêter; mais cela même redoubla l'enthousiasme qu'il inspirait. Le premier soir de son emprisonnement, une fête magnifique lui fut donnée dans sa prison. Pour ses fidèles, il était resté Monseigneur. Sa signature, qu'il traçait par la main d'un secrétaire, était « Louis-Charles : » la signature de l'enfant royal! Quand il allait à la messe, un

Voy. la plaidoirie de M. Jules Favre en faveur des héritiers de Naündorff, dans la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

laquais portait respectueusement derrière lui son livre de prières et un coussin. Que dire encore? L'empressement de la foule à lui rendre hommage fut tel, que le maire de la ville dut interdire l'accès de la prison'.

Non moins surprenant que le succès d'Hervagault, fut le nombre de ses successeurs: Mathurin Bruneau, Naündorff, Richemont, Eleazar Williams ce dernier, missionnaire chez les Indiens du Nord de l'Amérique. Et, ce qu'il y a de remarquable, c'est que chacun de ces prétendants, poussés à diverses périodes sur le devant de la scène, y a paru avec son cortége de fidèles. Mathurin Bruneau n'eut-il pas l'honneur de fournir le sujet d'une grande mise en scène, sous la Restauration? Et l'honneur, plus grand encore, d'être l'objet de tentatives réitérées d'assassinat, ne fut-il pas le lot de Naündorff, reconnu pour être bien le fils de Louis XVI, par M. Marco de Saint-Hilaire, huissier de la chambre de ce monarque, et par madame de Rambaud, nourrice du Dauphin depuis sa naissance jusqu'à son emprisonnement au Temple.?

Le nombre des faux Dauphins, leur assurance, leur audace, et le succès momentané que les tentatives de quelques-uns d'entre eux eurent auprès de personnes graves et marquantes, loin de ruiner l'hypothèse d'une substitution, semblent, au contraire, attester la force des apparences qui l'étayent. Il n'y aurait pas eu tant de faux Dauphins, si l'impossibilité de rencontrer le véritable

eût été démontrée d'avance.

La vérité est que les circonstances mystérieuses qui précédèrent la mort du fils de Louis XVI, les souvenirs étranges qu'elle réveille, le caractère contradictoire des

Travels from Berlin through Switzerland to Paris in the year 1804, by Augustus von Kotzebue, translated from the German, vol. II, p. 50. London, Phillips, 1804.

Voy. la Gazette des Tribunaux du 51 mai 1851.

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