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mœurs, et par ce courage brillant et ce caractère d'humanité, qui lui ont toujours assigné le premier rang parmi les nations aient condamné au supplice des scélérats le successeur et l'héritier de tant de rois; elle se demandera: Comment s'est-il fait que ce peuple français, qui plaçoit au nombre de ses vertus son amour pour ses rois, se soit porté tout-à-coup à cet attentat? Est-ce démence, fureur ou justice?

Si les corps politiques ont leurs maladies comme les individus, elle pourra croire que, vers la fin du dix-huitième siècle, le peuple français fut saisi d'une frénésie épidémique; que, dans un de ses accès, poussé par son délire hors des limites de son caractère, et confondant toutes ses idées, il avoit pris la férocité pour la justice, et sacrifié ce même roi qu'il avoit aimé, estimé et loué pendant la plus grande partie de son règne. Si, au contraire, par une suite du pacte social qui lie les peuples aux rois, la postérité se persuade que les Français n'ont fait qu'un acte de cette justice terrible qui frappe quelquefois les têtes couronnées, elle sera tentée d'assimiler, par le fait, Louis XVI aux Tarquins, et d'admi rer sur les cendres du monarque, la république nouvelle qui se sera élevée sur les ruines de la monarchie. Dans cette dernière supposition, le nom de Louis XVI, jugé et

condamné comme un tyran, ne parviendra à la postérité qu'avec la juste indignation et l'horreur qui doivent accompagner la mémoire des tyrans; et l'exemple de cette terrible justice exercée contre lui, ira d'âge en åge épouvanter ceux des rois qui seroient tentés de l'imiter, et réveiller contre eux le juste ressentiment des peuples. Dans la prenière supposition, au contraire, celle d'une frénésie populaire, de Louis XVI frappé comme innocent, son nom parvient pur à la postérité, ou seulement avec ce mélange de loiblesse inséparable de la nature humaine quelques larmes honorent sa mémoire, et les peuples se tiennent en garde contre les empyriques forcenés, qui, sous le prétexte de faire de chaque individu un fractionnaire de souveraineté, font un peuple de régicides.

Quelle que soit la moralité qui puisse résulter de la scène tragique, dont plusieurs des personnages sont encore sous nos yeux, il est essentiel de l'offrir telle qu'elle est; non que je pense qu'elle soit fort utile à nous qui en avons été les spectateurs, et dont les Jarmes ont accompagné tous les incidens; mais à ceux qui viendront après nous, afin que d'après la comparaison de leur temps et du nôtre, ils sachent en apprécier les circonstances, les adopter ou les rejeter.

Il est donc essentiel, pour parvenir à ce

but, de représenter Louis XVI tel qu'il fut, et la mobilité du peuple français telle qu'elle a paru pendant ce dernier règne ; ainsi j'examinerai avec l'impartialité de l'historien quelle fut la conduite privée de Louis XVI, et quelle a été sa conduite publique ou politique.

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Pour prononcer sur la vie d'un homme il n'est pas inutile de remonter jusqu'à son enfance; car si l'éducation forme le cœur et l'esprit, la nature y a souvent plus de part encore que les institutions humaines, puisque c'est à elle que nous devons les premiers traits qui nous caractérisent : or s'il arrive que la nature ait bien constitué un sujet, que l'éducation ait bien secondé la nature ne peut-on pas se promettre que, dans le cours des événemens que traverse la vie, il conformera ses actions à son caractère et aux principes de son institution? Et vainement on objecteroit que cette conséquence n'est pas certaine, parce que l'expérience a montré plusieurs fois que, dans un âge plus avancé, les espérances les plus belles de la jeunesse s'étoient démenties; on dira que Néron commença par être les délices de Rome, et qu'il finit par en être l'horreur. Mais sans assurer la vérité du principe dans la généralité de toutes ces conséquences, au moins accordera-t-on qu'elle

existe en général, et que si on insiste si fort sur la nécessité d'une éducation saine, c'est parce qu'il est reconnu qu'elle tend à perfectionner l'homme, sur-tout s'il a reçu de la nature des formes et un caractère qui en soient susceptibles. Il n'est donc pas inutile de considérer Louis XVI dans son enfance, dans ses rapports avec sa famille, ses maîtres, ses devoirs, et de suivre cet examen dans l'âge où ses prétentions s'étendant jusqu'aux marches du trône, montrèrent au peuple français le monarque qui alloit le gouverner; car si, jusqu'à cette époque, il se montra bon fils, disciple reconnoissant, ami fidèle; si la bonté du cœur dirigea les actions de sa première jeunesse, si, plus grand, il fut sensible, généreux, et bientôt l'époux le plus tendre et le plus constant; si, dans tout le cours de sa vie privée, il s'acquit la réputation, non-seulement d'un homme probe, mais du plus honnête homme de son royaume, il restera à résoudre ce problême : Comment s'est-il fait le concours d'un heureux naturel et d'une bonne éducation ait abouti au jugement qui l'a fait périr comme un vil scélérat? Il faudra donc en rechercher la solution dans sa vie politique; et si elle ne s'y trouve point, nous condamner à ne la trouver que dans nos regrets et dans la néces

que

sité de réparer l'honneur national horriblement blessé par cette horrible catastrophe. Telles sont les raisons qui me conduisent à l'examen de la vie de Louis XVI, soit dans ses actions privées, soit dans ses actions publiques, avant et durant son règne..

CHAPITRE II

Louis XVI considéré dans son enfance, jusqu'à la mort de son père

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LOUIS XVI nâquit le 23 août 1734, de Louis, dauphin de France, et de Marie-Jo sephe de Saxe, fille de Fréderic-Auguste, électeur de Saxe et roi de l'ologne. Il fut nommé duc de Berry et reçut le nom de Louis-Auguste sur les fonds de baptême. Toute la cour étant à Choisy, la dauphine, restée presque seule à Versailles, n'eut pour témoins du prince qu'elle mettoit au monde, que le chancelier, le garde des sceaux, le contrôleur-général et le marquis de Puisieux aucun des princes de la cour ne s'y trouva. Ainsi, comme l'observe un écrivain de sa vie, la modestie qui devoit être la compagne de toutes ses actions, ombragea de son voile le berceau de cet auguste enfant qui, à la fleur de son âge, étoit des

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