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d'abominables débauches combien d'hypocrisie et d'infortunes l'église romaine eût prévenues, en permettant aux prêtres le mariage que commande la nature, que l'évangile consacre, que les apôtres ont pratiqué, et que le fanatisme ou l'imprévoyance pouvoient seuls interdire !

En effet, depuis que cette loi barbare et absurde a opprimé l'église, l'histoire ecclésiastique est un récit continuel de licence incorrigible, et de réformes infructueuses. Le célibat et ses vices funestes ont contribué, plus qu'aucun autre abus, à détacher de la communion romaine la moitié de l'Europe. Luther, Calvin, Zuingle, Henri VIII prenoient pour texte éternel de leurs invectives contre Rome, la corruption inévitable du clergé romain. Convaincu de cette vérité, CharlesQuint obtint de Clément VII, que le concile de Trente s'occuperoit à réformer tant d'abus, en révoquant le célibat. On sait quel a été le fruit de cette demande si sage au concile de Trente. Tous les vieillards, instruits par l'expérience des passions, et dépourvus, dans leur vieillesse, des entours consolans d'une famille, votèrent contre le célibat: tous les jeunes prélats votèrent pour ; soit qu'ils fussent emportés par cette ferveur qui exalte et aveugle la dévotion naissante, soit qu'enhardis par les succès de leur âge, et les faveurs du sexe, ils préférassent des liaisons libres et secrètes, à un lien public et gênant. Le fardeau d'une famille leur parut peut-être moins léger à porter que celui

d'un adultère.

Ce concile, en confirmant ainsi une loi tyrannique, ne l'a pas justifiée; l'experience l'a justifiée encore moins. Les prêtres de l'église romaine, en demeurant célibataires, n'en devinrent pas plus édifians. La religion a contrarié la nature, la nature a contrarié la religion. L'empereur Maximilien, témoin des mœurs scandaleuses de l'église germanique, essaya de se faire élire pape, tout exprès pour abolir le célibat. Rodolphe, son successeur, pressa, supplia, conjura le pontife romain d'abroger enfin cette loi si funeste. Rome fut inflexible, et les prêtres restèrent condamnés ou à une vertu miraculeuse, ou à des vices déshonorans.

Nous disons une vertu miraculeuse. En effet, si l'on excepte quelques mortels mal organisés, quel est celui d'entre eux qui peut résister toute la vie aux attraits invincibles de la nature, aux occasions renaissantes de la foiblesse, à l'impétuosité des passions, redoublée par leur contrainte (1)? Que l'on jette un coup-d'œil sur foute l'église catholique, l'on ne verra par-tout que des prêtres souffrans ou des prêtres scandaleux. Que l'on parcoure tous les livres ascetiques et dévots qui prêchent la continence, tous vont répétant, que pour la garder, il faut des jeûnes, des veilles, des macérations, et une grace toujours présente. Pour demeurer fidèles à cette continence, les prêtres de l'ancienne Grèce buvoient chaque jour du jus de ciguë, et ceux de l'antique Egypte s'abstenoient de touté boisson et de toute nourriture fortifiante, pour demeurer fidèles à cette même vertu fantastique. Les Santons musulmans se déchirent la peau avec des instrumens terribles, et les pénitens indiens s'exposent des jours entiers au plus ardent soleil, le corps chargé de fers, et dans des attitudes qui disloquent leurs membres.

Si les précautions pour observer le célibat sont affreases, les châtimens pour en punir l'infraction furent atroces, sur-tout contre ce sexe infortuné qui, plus fragile, eût mérité plus d'indulgence. On sait que dans l'ancienne Rome la prêtresse de Vesta, coupable d'avoir aimé, étoit enterrée vivante. On sait que dans l'ancien Pérou la prêtresse du soleil subissoit, pour la même

(1) Le vœu de la nature, dit l'éloquent Buffon, n'est pas de renfermer notre existence en nous-mêmes, Par la même loi qu'elle a soumis tous les êtres à la mort, elle les a consolés par la Faculté de se reproduire. Quand on s'obstine à contrarier la nature, il en arrive souvent de funestes effets. J'en ai vu, ajoute-t-il, un mémorable exemple. Un jeune ecclésiastique, à force de combattre son tempérament et ses désirs naturels, tomba dans une horrible épilepsie; et pendant ses accès, toutes les femmes qu'il voyoit lai sembloient resplendissantes. Son délire ne cessa qu'avec sa continence, et la nature le guérit malgré lui-même. Voyez les détails de ce phénomène, dans l'Histoire naturelle, tome quatrième du Supplément.

faute, le même supplice. On sait que dans l'île de Formose, toute jeune vierge qui cesse de l'être avant l'âge prescrit par la religion, est conduite dans le temple et foulée aux pieds par le grand-prêtre jusqu'à ce qu'elle expire ou avorte. On sait quelle captivité secrète et quelles cruautés ténébreuses punissoient, dans le fond de nos cloîtres, le religieux ou la religieuse dont les désordres avoient éclaté. On sait que le célèbre Fléchier, évêque de Nimes, en visitant un monastère, découvrit, dans un cachot souterrein, une de ces vic-. times lamentables, qui, pour expier un moment de foiblesse, languissoit depuis vingt ans sur une paille infecte et à côté d'un squelette desséché auprès d'elle: c'étoit son fils. On sait que ceux de nos malheureux curés, qui, en s'abandonnant à une tentation excusable, avoient négligé de voiler ou d'écarter la preuve de leur faute, étoient enfermés, comme des malfaiteurs, dans un séminaire, dépossédés de leur cure, relégués dans un diocèse étranger, et réduits à errer et mendier la pitié, et quelquefois la subsistance.

Voilà jusqu'où peut conduire une seule idée folle, dès qu'elle est consacrée par la religion. Après tant d'experiences perdues, après tant de tentatives inutiles, on ne peut pas espérer que la cour de Rome abolisse une loi que sa politique regarde comme une des bases de sa grandeur. Le droit naturel a donc pu seul réformer un abus cimenté et maintenu par le droit canonique. La liberté française qui a brisé tant de fers odieux, n'a pas épargné ceux d'un célibat oppresseur et dénaturé. Elle a déclaré que tous les engagemens contraires au droit naturel et à la constitution, étoient rompus et annullés. Elle a publié qu'elle considéroit le mariage comme un contrat purement civil; elle a prononcé que tous les hommes sont égaux et tous les citoyens libres; elle a décrété enfin que chacun est le maître de faire tout ce que la loi ne défend pas. Il est donc évident qu'un prêtre seroit déchu de la liberté, déchu de l'égalité, déchu de tous les avantages de la loi, s'il étoit seul dans la nation exclus du mariage; il est donc évident qu'un prêtre, en qualité de citoyen, peut contracter librement le lien nuptial; mais le peut

il, en qualité de prêtre? Eh! qui auroit le droit de s'y opposer ? Seroit ce Dieu ? Il n'a pu recevoir un serment téméraire, une promesse rebelle au plan de la création, et aux lois de la nature : ce Dieu lui-même prescrivit à nos premiers pères de croître et de multiplier, et il fonda le mariage en fondant l'univers. Seroit-ce le concile de Trente? Ses décisions, en fait de discipline, ne sont pas admises par l'Eglise gallicane. Seroit-ce la voix des papes et le tonnerre du Vatican? Mais le pontife de Rome, du fond du Vatican, n'a pas plus le droit de rendre l'église célibataire, que le Sultan de Constantinople, du fond du sérail, n'a le droit de rendre ses visirs et ses pachas eunuques. Nulle puissance sur la terre ne peut ravir à l'homme la liberté de l'industrie : et l'on voudroit lui ravir la liberté de la reproduction! Des lois peuvent régler le temps, les conditions, les formes juridiques du mariage; l'église peut le bénir et le consacrer: voilà où doit se borner toute autorité humaine et divine sur un lien qui est le premier vœu de la nature, le premier droit de l'humanité, et le premier fondement de l'ordre social.

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Une seule objection raisonnable peut combattre tant de raisons puissantes: c'est le peu de fortune des pasteurs de la campagne ; c'est l'indigence où tomberoit leur famille s'ils venoient à mourir ; c'est l'existence précaire et misérable des enfans qui leur survivroient. Mais on pent répondre à une si grande considération, 1°. Qu'il est possible d'assurer en France, ainsi qu'on le pratique en Angleterre, un fonds pécuniaire, subsistant et progressif, d'où l'on tireroit la dot des orphelines, l'éducation des orphelins, et l'entretien des veuves cléricales. 2°. Qu'un nombre de ces pasteurs joint aux revenus de sa profession le patrimoine de ses pères. 3o. Que plusieurs ecclésiastiques, distingués par leurs mœurs et par leurs talens, obtiendront de préférence la main des riches et vertueuses villageoises, 4°. Que le sort des prêtres ressembleroit à celui de tant d'honnêtes citoyens, littérateurs, artistes, fermiers, à qui le mariage donne une famille, et à qui l'économie ménage une fortune. 5°. Que l'institution

des écoles primaires offrira aux familles des curés, mieux instruites que les autres familles du village, des places honorables, lucratives et nombreuses.

Résumant, en deux mots, tous nos raisonnemens, nous disons:

Il est impossible à un homme quelconque de garder une continence éternelle : c'est donc une témérité de promettre, et un sacrilège de la jurer.

la

L'Evangile n'a point ordonné le célibat aux apôtres :' c'est donc une démence de vouloir être plus vertueux que les apôtres, et une tyrannie de vouloir être plus exigeant que l'Evangile.

La popagation qui est la destinée de l'homme, est aussi sa dette envers la patrie : c'est donc être rebelle à la destinée humaine, et traître envers la patrie, que d'être fidèle à un célibat qui paralyse l'une, et qui dépeuple l'autre.

La conscience, lorsqu'elle est consultée, atteste à chaque prêtre les désordres secrets d'une vie célibataire, et lui commande impérieusement d'en sortir y demeurer, c'est donc désavouer sa conscience et braver ses remords.

La loi est venue au secours de la conscience; elle a offert une lumière au préjugé, et un appui contre le respect humain ne pas croire à la loi, ou n'oser en profiter, c'est donc être bien aveugle ou bien pusillanime.

Nous savons, il est vrai, que la superstition élève sa voix pour jeter l'épouvante dans les esprits crédules et dans les ames timorées : elle leur parle sans cesse de la discipline ecclésiastique; comme si la discipline ecclésiastique étoit au dessus de la nature humaine; comme si cette discipline, si vantée, et ses pieuses cérémonies, et sa lithurgie imposante, et ses réglemens religieux, et ses privilèges exorbitans n'avoient pas varié de siècle en siècle. Tantôt l'église voulut présider aux testamens et aux contrats civils; tantôt elle laissa cette proie ou cette fonction aux simples jurisconsultes. Elle fut d'abord soumise aux tribunaux séculiers; ensuite elle s'en rendit indépendante, et devint son propre

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