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L'instruction est elle-même un trésor, et, ce qui * vaut mieux, un bonheur.

"Elle dirige le travail, et prête de nouveaux instru", mens à l'industrie.

,, Elle embelit et anime le repos, en l'entourant de jouissances pures, et en le préservant du cortège "hideux de la débauche.

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"Elle honore et conserve la piété qu'elle dégage des superstitions et sauve de l'hypocrisie.

"Elle consacre la loi dont elle explique les bienfaits " et les oracles.

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,, Elle veille sur la liberté, pour empêcher que sa ,, flamme ne s'éteigne dans les cœurs, ou que ses ,, étincelles n'allument la discorde.

"La liberté aveugle est une bacchante; la liberté ,, instruite, une divinité.

,, Enfin on demandoit au premier moraliste de " l'Asie, au célèbre CONFUTZÉE, quelle nation il croyoit la plus heureuse celle, répondit-il, qui ,, instruit le mieux ses citoyens, et qui cultive le

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,, mieux ses terres.

La science du bonhomme Richard.

L'ILLUSTRE Franklin, le premier fondateur de la liberté américaine, ayant observé combien le peuple qu'il vouloit affranchir manquoit encore de lumières, imagina de publier chaque semaine une feuille, où la morale étoit présentée sous des formes variées et piquantes, et où la politique étoit enseignée dans un langage clair et naif. C'est par ce procédé si simple qu'il réussit à rectifier les idées populaires, et à créer, en quelque sorte, pour la multitude, un nouvel esprit, capable également de braver les périls. et d'éviter les

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excès. Sa feuille eut un succès prodigieux: elle étoit entre les mains des ignorans et des savans ; et plusieurs des articles qu'elle renfermoit, dignes de Voltaire et de Montesquieu, ont circulé dans le monde entier. Tel est celui qui a pour titre : La science du bonhomme Richard. C'est une science faite pour nos Villageois, et ils seront bien aises d'en parcourir l'extrait : le voici tel qu'il vient d'être publié dans les Mémoires de Benjamin Franklin, imprimés chez Buisson, Libraire. Nous avons cru devoir seulement retoucher le style et animer Le récit.

Se promenant un jour, selon sa coutume, après un long travail et un court repas, le bonhomme Richard s'arrêta devant une porte, où beaucoup de monde s'étoit assemblé pour une vente qu'on alloit faire. L'heure de la vente n'étant pas encore venue, la compagnie causoit sur les impôts. Quelques-uns se plaignoient de leur pesanteur; d'autres en représentoient la nécessité; d'autres ajoutoient que plus un pays étoit libre, plus il exigeoit d'établissemens publics, et par conséquent de rétributions nationales. Un batelier vint à l'appui du dernier, et dit : Nous sommes tous passagers dans le vaisseau de l'Etat ; il faut noyer celui qui ne veut pas contribuer à son entretien. Le bonhomme Richard, appuyant sur la porte sa tête à cheveux blancs, écoutoit immobile. On l'aperçut, on l'entoura, on le pressa de dire son avis. On savoit qu'il pensoit toujours d'après lui, et qu'il parloit en style sentencieux et proverbial, et l'on aimoit son langage ainsi que sa franchise. Il s'assit au milieu de l'assemblée qui s'étoit formée en cercle autour de lui, et tint le discours suivant, qu'il remplit, à son ordinaire, de sagesse et de proverbes.

"Mes chers amis et bons voisins, il est certain que "les impositions sont lourdes, mais il est certain aussi "que nous aggravons le fardeau au lieu de l'adoucir; " et si le gouvernement nous taxe un peu fort, nous , nous taxons nous-mêmes d'une manière plus onéreuse encore. Nous doublons, nous triplons, nous quadruplons la charge. Vous témoignez de la surprise: je vais m'expliquer, et je dis, que notre paresse

"nous prend deux fois autant que le gouvernement; " notre vanité, trois fois; et notre imprudence, quatre, " fois davantage. Ces taxes-là sont d'une telle nature, " qu'il n'est pas possible aux lois de nous en délivrer, "ni aux commissaires de nous en faire grace. Nous "seuls pouvons diminuer leur poids, en réglant notre " conduite Dieu dit à l'homme, aide-toi, je t'aiderai.

"On regarderoit comme un gouvernement bien dur " celui qui taxeroit les peuples à la dixième partie de "leur temps pour l'employer à des corvées publi"ques. Or notre fainéantise nous dérobe plus de "temps encore qu'elle consume dans l'ennui ou " qu'elle perd dans la dissipation; L'oisiveté ressemble " à la rouille, elle use beaucoup plus que le travail : la clef dont on se sert est toujours claire, et ouvre faci"lement.

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,, Combien de temps ne donnons-nous pas au som, meil, au delà de ce que demande la nature ? Nous "'oublions que le renard qui dort ne prend point de "poules, et que nous aurons long-temps à dormir dans " le tombeau.

,, Si nous aimons la vie, ne perdons pas le temps, " car c'est l'étoffe dont la vie est faite. Courage donc, "et agissons pendant que nous le pouvons. L'activité ,, rend tout facile, l'indolence rend tout difficultueux : " Celui qui se lève tard commence à peine ses affaires qu'il est " déjà nuit. Voyez marcher la nonchalance: Elle va si "lentement que la pauvreté l'attrape tout de suite. Se coucher de bonne heure, et se lever matin, sont les deux seuls "moyens de conserver sa santé, sa fortune et son ❞ jugement.

Mais un meilleur temps viendra, disent les pares"seux. Vaine et ridicule attente! C'est à nous de rendre le temps meilleur, en le mieux employant. L'industrie n'a pas besoin de souhaits chimériques; elle est " certaine d'un profit réel, et d'un succès journalier. "Au défaut de propriété et de terre, elle fait valoir ,, ses mains et son génie : Celui qui a un métier, a une ferme, " et celui qui a un talent, a une mine d'or. Quiconque est "laborieux n'a point à craindre la disette: La faim re" garde à la porte de l'homme qui travaille, mais elle n'ose

entrer dans la maison. Les sergens n'y entreront › pas non plus, parce que celui qui travaille chaque "jour, recueille chaque jour de quoi payer ses dettes. "Labourez pendant que le paresseux dort, vous aurez ,, du blé à vendre et à garder. Labourez aujourd'hui; "car vous ne savez pas si vous pourrez labourer de"main. Ne perdez pas une heure, puisque vous n'êtes " pas sûr d'une minute. Que le soleil, en regardant

la terre, ne puisse pas dire: Voilà un lâche qui " sommeille. Si vous étiez le domestique d'un bon › maître, nè seriez-vous pas honteux qu'il vous trou,, vât désœuvré ? Mais vous êtes votre propre maître. "Rougissez donc de vous surprendre vous-même à ne " rien faire, tandis que vous avez tant à faire pour "vous, pour votre famille, pour votre patrie. Laissez " souffler les vents, laissez tomber la pluie ; sachez " vous endurcir à la souffrance: Songez qu'un chat en "mitaines ne prend pas de souris. Que les difficultés ne " vous découragent point: Avec du travail et de la pa" tience, la souris coupe un cable. Après les difficultés " viennent les agrémens; après le travail vient l'abondance: La fileuse vigilante ne manque jamais de chemises, " et celui qui soigne bien sa vache aura un troupeau.

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"Il ne suffit pas, mes amis, d'être diligent; il faut encore être persévérant et stable dans ses ouvrages. Je n'ai jamais vu prospérer un arbre qu'on change sou,, vent de place, ni une famille qui déménage souvent: " Trois déménagemens ruinent comme un incendie. Gardez ", votre boutique, et votre boutique saura vous main" tenir; conduisez votre charrue, et votre charrue " vous fera arriver. L'œil du maître fait plus que ses "deux mains. Ne point surveiller vos ouvriers, c'est , leur abandonner votre bourse: Dans les affaires de ce ́ monde, ce n'est pas la foi qui sauve, c'est la défiance. Si " vous voulez posséder un serviteur fidèle, et que " vous aimiez, appliquez-vous à vous servir vous›› même; vous serez sûr alors que rien ne sera négligé. ,, Une légère négligence produit souvent un grand " mal: Faute d'un clou, le fer d'un cheval se perd; faute ́ d'un fer, on perd le cheval; et faute d'un cheval, le ca• valier lui-même est perdu; car son ennemi l'atteint et le A 5

" tue.

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"Voilà pour la paresse; voici pour la vanité. Si " vous voulez être riche, n'apprenez pas seulement comment on gagne, sachez aussi comment on me"nage. Les Indes n'ont pas enrichi les Espagnols, " parce que leur orgueil, uni à leur paresse, desseche ou disperse leuis trésors. La vanité veut avoir des "convives; mais si la cuisine est grasse, le testament scra maigre. La vanité veut faire des présens magnifiques, ,, et des liaisons brillantes. On paye pour séduire; on " paye pour être séduit, ei l'entretien d'un vice coute plus cher que l'entretien de deux enfans. Vous pensez » peut-être qu'un peu de thé ou de punch, quelques recherches pour la table ou pour l'habillement, "quelques spectacles et quelques fêtes ne vous ruineront pas. Mais les petites dépenses répétées emportent à la longue de grandes sommes: Il ne faut qu'une légère voie d'eau pour submerger un grand navire.

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"Vous voilà tous assemblés ici pour une vente de », bijoux et d'ajustemens. Vous appelez cela des biens. "Si vous n'y prenez garde, ils deviendront des maux. "Vous comptez qu'ils seront à bon marché; mais

s'ils sont inutiles, ils seront toujours trop chers: Quiconque achète le superflu, vendra bientôt le nécessaire. Les étoffes de soie, les satins, les écarlates, les velours ont ruiné plus de monde que la grêle, la gelée, " et les impôts. On songe plus à l'apparence qu'à l'utilité, et les besoins artificiels du genre humain sont devenus plus nombreux que ses besoins naturels. Que de gens bien nés sont réduits à la misère par " ces extravagances, et sont forcés de recourir à des ,, hommes qu'ils méprisoient auparavant! L'habit de " soie vient menlier auprès de la bure. Un manant sur ses " pieds est plus grand qu'un gentilhomme à genoux.

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Etes-vous curieux, mes amis, de connoître ce que vaut l'argent; allez, et essayez d'en emprunter à " quelqu'un. La hente de demander, les rebuflades "qu'on essuie, la mauvaise grace et l'usure du prê"teur devroient seuls corriger de la vanité des dé"penses, et de l'orgueil des parures. Mais loin de " s'arrêter, l'orgueil et la vanité vont toujours en croissant. En effet, si vous avez acheté une jolie chase,

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