Page images
PDF
EPUB

L'auteur de nos destinées là enlevé à ce plaisir pur qui naît de la joie du peuple. Il semble que la providence, pour marquer sa puissance, se plaise à borner la gloire, à interrompre tout à coup les bienfaits da génie; il semble qu'en créant un grand homme, elle lui dise comme à la mer: Voici tes limites, tu n'iras pas plus loin. Ainsi disparut Mirabeau, sans cueillir ces autres lauriers qu'un âge plus avancé lui promettoit; ainsi, à la moitié desa course, disparut en Angleterre, presque dans le même temps, le docteur Price, ce citoyen de tous les pays libres, qui dans sa patrię soutenoit nos droits avec la même ardeur qu'il avoit soutenu ceux du congrès américain.

La mémoire de Cérutti sera honorée dans nos campagnes, comme celle de Confucius l'est dans la Chine. On lui a bâti dans toutes les provinces des monumens simples ou superbes ; on y lit en plusieurs endroits, en gros caractères: Au grand maître, au premier docteur, à celui qui a donné les instructions aux empereurs et aux rois. Chaque année les docteurs et les lettres célèbrent sa fête. On prononce son éloge, qui ne contient jamais plus de huit lignes; c'est ainsi que nous, villageois, pauvres, mais reconnoissans, sur le tertre où les dimanches d'été nous nous rassemblons. pour causer des affaires publiques, nous éléverons une colonne modeste, où l'on lira ces mots seuls: Cerutti, premier auteur de la Feuille Villageoise! Les longues inscriptions sont pour ces hommes dont le nom se perdroit dans l'oubli, si les flatteurs ne disoient pas longuement ce qu'ils n'ont jamais été.

(1) Après la découverte de l'Amérique, un bon curé espagnol, Las-Casas, révolté des barbaries que les Espagnols exerçoient contre les Indiens, conçut le projet d'affranchir ces peuples malheureux : il employa, ou plutôt il perdit cinquante années à plaider pour eux en Europe et en Amérique. On lui reproche d'avoir imaginé le commerce des noirs Africains. Mais la traite, telle qu'il l'avoit conçue, n'étoit point celle qui existe. Il ne faisoit que prendre des hommes qui étoient déjà esclaves, pour empêcher qu'on ne réduisît à l'esclavage des hommes qui étoient encore libres. Le genre humain gagnoit à ce triste calcul.

Au moment où je termine cet extrait, je reçois la touchante et glorieuse lettre que m'écrivent les amis de la constitution du Havre. Que ne puis-je donner ici à tous mes lecteurs la description de la fête patriotique et funéraire qu'ils ont célébrée le 25 février, en l'honneur de l'ami que j'ai perdu ; fête vraiment philosophique, et dans laquelle un mélange mal-entendu de cérémonies religieuses ne détournoit point les esprits de leur objet véritable!

Que n'ai-je pu moi-même assister à la marche imposante des patriotes, unir fraternellement mes mains aux leurs, suivre ces vieillards vénérables qui ouvroient et fermoient le cortège mélancolique! Que 'n'ai-je pu voir ce cénotaphe (1), triste représentation d'un spectacle plus triste encore; ces inscriptions plaintives, ces attributs du labourage, symboles de la reconnoissance des campagnes, ces couronnes civiques préparées pour l'instituteur des hameaux ! Que n'ai-je vu enfin l'humble volume de la Feuille Villageoise porté en triomphe avec le livre sublime de la Constitution, déposé et couronné, comme un trophée honorable, aux pieds du tombeau de Cérutti! ́Oh! comme mon cœur se seroit doucement rouvert aux larmes en écoutant les sons lugubres, et la musique gémissante, et les voix mélodieuses chantant de beaux vers, nobles accompagnemens de cette solemnité digne des siècles et des mœurs antiques! Mais surtout avec quels transports, quel enthousiasme j'aurois applaudi à l'éloge prononcé dans cette fête par le citoyen J. CH. BAILLEUL! discours rempli de sentimens élevés, de pensées fortes, d'expressions vraiment heureuses et caractéristiques; discours qui inspire l'estime de son auteur autant que l'admiration de son héros.

Amis de la constitution, en même temps que mon sentiment vous adresse ce remerciement public, mon cœur consacre de civiques félicitations au mouvement qui vous a portés à consacrer la mémoire d'un tel

(1) Tombeau qui ne renferme riền, et n'est qu'un simulacre élevé en commémoration du mort.

citoyen: ces honneurs vous honorent vous-mêmes. C'est un signe de patriotisme mon équivoque que la reconnoissance des services rendus à la patrie. La liberté jalouse, l'égalité fière et délicate craignent les hommages adulateurs rendus aux citoyens vivans. Les honneurs posthumes sont la reconnoissance des nations libres. Ils ne sont pas un moindre encouragement pour la vertu. Une grande ame ambitionnera les funérailles de Germanicus autant que le triomphe de Paul Emile, et le panthéon français autant que les applaudissemens, les distinctions, les médailles et tous les monumens d'une gloire que le lendemain peut fiétrir. GROUVELLE.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Décret d'accusation contre M. Delessart.

Nous ne craignons pas que les lecteurs de la Feuille Villageoise blâment la sévérité du corps législatif. Mais nous avons promis de faire connoître les motifs, de cet acte; le premier exemple qui montre que la responsabilité des ministres n'est pas un mot futile, un son insignifiant. Tous les patriotes ont paru se réjouir de ce grand exemple. Ce n'est pas, comme l'ont dit les hypocrites conseillers de la modération et de la paix, ce n'est point le farouche désir de trouver des coupables et d'immoler des victimes; mais c'est la satisfaction patriotique que les gens de bien trouvent à considérer la puissance et l'égalité de la loi; c'est aussi le plaisir de voir un nouvel article de la constitution s'exécuter; ils ont applaudi à la première accusation d'un ministre, comme ils avoient applaudi au premier veto appliqué par le roi; excepté qu'ils en blâmoient l'application : c'est ce qu'on ne peut dire du nouveau décret, ainsi conçu :

"L'assemblée nationale, considérant que le ministre des affaires étrangères a négligé ou trahi ses devoirs, compromis la sûretê et la dignité de l'état;

ART. 1. Eu ne donnant pas connoissance à l'as

semblée de toutes les pièces qui tendoient à faire connoître le concert formé entre l'empereur et différentes puissances contre la France;

[ocr errors]

II. En n'ayant point pressé la cour de Vienne, dans l'intervalle du premier novembre au 21 janvier, de renoncer à la partie de ces traités et de ce concert qui blessoit la sûreté et la souveraineté de la France; III. En ayant dérobé à la connoissance de l'assemblée Foffice (1) du 5 janvier ;

IV. En n'ayant pas, dans la note du 21 janvier, écrit avec force contre le concert des puissances, et demandé sa dissolution; en ayant au contraire affecté d'en douter;

V. En ayant communiqué au ministre autrichien des détails sur l'intérieur de la France, qui pouvoient donner une fâcheuse opinion sur sa situation, et provoquer des déterminations funestes pour elle;

VI. En ayant avancé une doctrine inconstitutionnelle et dangereuse sur l'époque qui a précédé l'établissement de la royauté constitutionnelle (2) ;

VII. En ayant demandé bassement la paix ;

VIII. En ayant demandé aussi bassement la continuation de l'alliance avec une maison qui outrageoit la France;

IX. En ayant conduit cette négociation de manière à la faire traîner en longueur, lorsqu'il importoit de la terminer promptement, de manière que la France

[ocr errors]

(1) Ce mot veut dire un message, une lettre revêtue des caractères authentiques et officiels. On parloit ces jours-ci du dernier office de l'empereur. Bon, dit un plaisant, cet office-là est l'office des

morts.

(2) Il prétendoit que la ligue des puissances contre la nation française étoit légitime avant que le roi eût accepté la consti tution; comme si le serment de la Fédération n'avoit été qu'une vaine, comédie! comme si la nation n'étoit pas souveraine et indépendante avant ainsi qu'après le mois de septembre 1791.

est, au mois de mars, précisément où elle étoit au mois de décembre ;

X. En ne s'étant pas conformé aux bases de l'invitation du 25 janvier, lorsqu'il disoit qu'il s'y étoit conformé', en ayant fait au contraire l'inverse;

XI. En ayant porté dans toute cette négociation une lâcheté ou une foiblesse indigne de la grandeur d'un peuple libre ;

XII. En ayant négligé ou trahi les intérêts de la nation française dans toutes ses relations avec les puissances étrangères, ainsi qu'il est dit ci-dessus ;

XIII. En ayant refusé d'obéir aux décrets de l'assemblée nationale:

Déclare qu'il y a lieu à accusation contre le ministre des affaires étrangères.

Artillerie des gardes nationales.

La grosse artillerie faisoit toute la force du despotisme; c'étoit elle qui asservissoit les peuples aux hommes qu'ils avoient commis pour diriger leurs affaires. Ce canon, qu'on a nommé la logique des rois, c'étoit lui qui empêchoit les citoyens de se rassembler pour secouer le joug et chasser les tyrans; c'étoit lui qui rendoit impossible la résistance à l'oppression, et l'oppression elle-même incurable et immortelle. Maintenant que les citoyens eux-mêmes composent la force publique, et sont les appuis de la loi, aucune arme ne doit résider exclusivement (1) dans les mains du gouvernement. L'armée de la liberté aura aussi son artillerie. Un décret a décidé que chaque bataillon de gardes nationales aura deux canons et une compagnie de canonniers pour en faire le service.

Séquestre des biens des émigrés.

Ces biens sont sous la main de la nation depuis is 9 février; mais comment s'exécutera, cette loi?

Des actes frauduleux pouvoient les distraire. Le nouveau décret annulle tous ceux qui auroient pu être faits postérieurement à la promulgation de la loi.

(1) La constitution porte, que le pouvoir exécutif réside exclusivement dans la main du roi. Il y a des gensqui, par le pouvoir exécutif, n'entendent rien moins que le canon.

« PreviousContinue »