LETTRE

A tous les Journalistes patriotes, en leur envoyant un état des principaux redevables des impôts ariérés.

La liste ci-jointe prouvera que les hommes titrés payoient plus tard que les autres citoyens; l'état des cottes, qui occuperoit trop d'espace, prouveroit en outre qu'ils payoient moins. Il est important d'insister sur ces vérités de fait, parce qu'elles prouvent qu'il y a une puissance attachée aux titres, et que cette puissance, incompatible avec l'exercice politique des droits des simples citoyens, l'est aussi avec égalité dans les charges publiques. Les vingtièmes étoient, sous l'ancien régime, une imposition commune à tous les propriétaires, sans distinction; aucun privilège n'en dispensoit. Pourquoi donc les hommes titrés étoientils moins imposés au vingtième que les citoyens non titrés, si ce n'est en vertu de la puissance des titres ? Les termes de paiement, les modes de contrainte étoient les mêmes pour les premiers que pour les se conds. Pourquoi donc y avoit-il si peu d'hommes titrés qui ne fussent pas toujours en retard de plusieurs années, si ce n'est par la puissance des titres ? Et pourquoi, depuis deux ans qu'il n'y a plus de titres ens o France, n'a-t-il pas été procédé, par voie de saisie, contre un homme ci-devant titré, si ce n'est parce que la puissance des titres est si grande de sa nature, qu'elle survit aux titres mêmes? Il faut le dire, ce qui maintient et favorise la puissance des titres, c'est la bas-. sesse de ceux qui n'en ont pas. Chez tous les vieux peuples, il y a des hommes qui ne demandent qu'un prétexte de ramper, dont les yeux n'attendent que l'aspect de je ne sais quelle grandeur pour se baisser, dont les oreilles n'attendent que le son d'un titre pour donner une attention servile et exclusive à celui qui le porte; et de ces hommes, il s'en rencontrera longtemps encore entre les percepteurs, entre les municipes, entre les administrateurs, entre tous les dépo sitaires d'un pouvoir quelconque.

Sachez-le donc bien, hommes peu éclairés, qui on êtes encore à demander quel mal faisoient ces titres de ducs,

de marquis, de comtes, dès que ceux qui en étoient revêtus, consentent à payer comme les autres citoyens. Sachez bien que par-tout il y a des ducs, des comtes et dés marquis. La nation est inévitablement partagée en deux classes, celle des citoyens qui paient, et celle des privilégiés qui paient peu, et qui paient mal. Signé REDERER.

EX COMMUNICATION.

Grande nouvelle de Rome.

Fidèles pasteurs, qui avez repris la discipline de la primitive église, dont vous aviez déjà les mœurs ; bon peuple, qui avez usé du droit que la nature et la constitution vous donnent d'avoir des prêtres de votre choix, apprenez tous, qu'à peine échappé des portes de la mort, le pape, pour essai de sa convalescence, se dispose à fulminer l'excommunication contre vous tous.

Déjà la sentence seroit prononcée; mais une grande question partage les docteurs de sa sainteté, ceux qu'elle charge de s'instruire et de raisonner pour elle. Infligera-t-on d'abord l'excommunication mortelle? ou bien commencera-t-on simplement par la médicinale ? Il est à croire qu'on préférera la mortelle; car on se doute bien qu'il n'existe point de médecine apostolique assez forte pour nous faire rendre, à la noblesse ses privilėges, à la cour ses bastilles, au clergé ses dîmes, au pape ses annates, et à l'abbé Maury ses huit cents fermes.

Les professeurs en cérémonial ont aussi beaucoup débattu la forme dans laquelle cette grande sentence devoit être annoncée. D'abord elle sera conçue en langue morte, ce qui est un moyen de faire plus de peur aux vivans, assez enclins à s'effrayer de ce qu'ils ne comprennent pas. Ensuite, à l'exemple de tous les charlatans qui aiment à frapper les yeux du peuple par de grands spectacles, on verra tout à coup paroître Sous le vestibule de Saint-Pierre, le vieux et beau Pie VI, revêtu de tous les ornemens payens, asiatiques ou visigots du pontificat, couvert de la pourpre consulaire, entouré de tout le sacré collège, et de tous les valets tonsurés et encapuchonnés de l'église: là, en présence des trente mille mendians et assassins privilégiés

que nourrit la prêtraille romaine, un cardinal à voix pleine et résonnante, prononcera le terrible anathême. La lecture finie, le serviteur des serviteurs de Dieu, semblable à Jupiter tonnant, saisissant un flambeau, le lancera tout allumé au milieu de la place, emblême barbare de l'incendie, dú saccagement, du carnage et de la désolation que le saint-père invoque chrétiennement contre les Français, ses fils bien aimés (1).

Cette belle cérémonie étoit la même avec laquelle naguère on publioit tous les ans, le Jeudi-Saint, la fameuse bulle in cenà Domini, qui maudissoit et livroit à Satan quiconque sur le globe oseroit préférer les lois de son pays à l'autorité papale, quiconque s'opposeroit aux ordres de Rome, fût-ce pour empê· cher le crime et la violence.

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Bons villageois, je ne vous fais pas l'injure de craindre que cette fulmination puisse vous effrayer; mais les factieux et les fanatiques s'en serviront pour aliéner de vous, pour armer contre vous, ceux de vos frères, de vos parens, de vos amis, que dominent les non sermentés. Faites donc d'avance vos € efforts pour mener à vous par l'indulgence et la liberté religieuse. Quelques réflexions et quelques faits ne sont pas inutiles pour vous faire connoître l'usage atroce et ridicule que Rome a fait si souvent de sa prétendue juridiction spirituelle.

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Ni vous, ni moi, nous ne sommes et ne serons jamais jansénistes; cependant qu'aurions-nous dit, lorsque Rome condamna et flétrit, comme une impiété, cette proposition de l'évêque Jansenius: Une excommunication injuste ne doit jamais empêcker personne de faire son devoir? Certes, nous avons trop de bons sens pour ne pas voir que c'est Rome elle-même qui est impie et abominable, quand elle prétend que ses arrêts rendent criminel ce qui est vertueux, et blanc ce qui est noir.

Tel est pourtant son despotisme extravagant. Un jésuite nommé Bellarmin, qui soutenoit l'infaillibilité du pape, et l'obéissance aveugle, la soumission stupide à ses décrets, poussa l'impudence jusqu'à établir

(1) Dilecte fili: c'est la mielleuse expression avec laquelle Rome gous envoie à tous les diables,

dans un de ses livres, « que si le pape défendoit l'exercice de la vertu et commandoit le vice, l'église romaine seroit tout entière obligée d'abandonner la vertu pour le vice (1). En reconnoissance de cette belle proposition, Bellarmin eut un chapeau de cardinal. Or dites moi, gens de bien, quel cas doit-on faire des jugémens d'un tribunal de prêtres qui professent une doctrine de scélérats?

Au surplus, rendons justice à l'ancien clergé de France lui-même; il nia constamment l'infaillibilité du pape. Nous ne sommes donc point schismatiques quand nous prétendons, ce que l'église gallicane soutint toujours, et ce qu'elle prouva souvent, que le pape peut se tromper; qu'il n'est qu'un homme bon ou mauvais; qu'il peut devenir imbécille commie il peut tomber malade; que lorsqu'il est en colère, il perd la tête comme un autre, et peut dire ou faire toutes les sottises imaginables ; que ses sentences ne sont que des opinions fausses ou vraies; que quand même il seroit autorisé à maudire les gens au nom de Dieu, malédiction n'auroit d'effet qu'autant qu'elle seroit juste, et que la main de Dieu n'est pas comme celle d'un bourreau prêt à frapper, prêt à exécuter les arrêts iniques ou équitables d'un tyran aveugle ou furieux.

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Quand le bon sens et l'église ne nous diroient pas tout cela, l'histoire suffiroit pour nous l'apprendre. La chronique la plus scandaleuse qu'on puisse lire, est celle des excommunications ultramontaines. Elle ne mériteroit d'être écrite qu'avec du sang et de la boue. Part-tout on y voit les pontifes romains n'employer

l'univers à contribution. Par tout on les voit se servir d'une bulle, comme les brigands d'un pistolet pour demander aux nation's la bourse ou la vie.

cette artillerie infernale que pour mettre erreur

Quelles guerres sanglantes, que de crimes, que d'horreurs entraînèrent les querelles suscitées à l'empereur Henri IV par le moine Hildebrand, le fougueux Grégoire VII, ce perturbateur de l'Europe, amant

(1) Nisi vellet contrà conscientiam peccare: c'est le texte,

hypocrite, ou au moins directeur très-suspect de la belle Mathilde, et usurpateur de son patrimoine, cet homme convaincu par ses propres lettres d'avoir commis un parjure et fait de fausses prophéties (1); c'està-dire, d'avoir été un insensé et un fripon; ce pape que Rome n'a pas rougi de proclamer saint, six cents ans après que l'univers l'a déclaré un monstre. Pendant que l'empereur le déposoit, il déposoit l'empereurs pendant que le concile de Worms l'excommunioit, il anathématisoit tout l'empire; et tel étoit ce commerce de proscriptions, que tout ce qu'il y avoit de prêtres ou de fidèles s'évitoient, se fuyoient, tous chargés aux yeux les uns des autres, du poids des malédictions apostoliques.

Et qu'on ne dise pas que ces désordres ne tenoient qu'à la scélératesse d'un seul homme. Voulez-vous vous convaincre que tel étoit l'esprit de l'église ? voyez ses successeurs, Urbain II et Pascal II, faisant révolter contre le même Henri ses propres enfans. Voyez Henri V, le second de ses fils, égaré par les fureurs pontificales, s'acharnant sur le cadavre de son père, qui lui avoit pardonné en mourant, l'arrachant de sa tombe, et le jetant, comme maudit, dans une cave impure. Voyez en même temps la cour de Rome et tous ses annalistes frénétiques applaudir et béatifier les forfaits inspirés par ces excommunications parricides.

Continuez cette histoire odieuse. Vous trouvez la latte funeste des anti-papes, source de tant de pillages, d'assassinats et d'empoisonnemens. Quel spectacle que celui de Calixte II, faisant coudre dans des peaux de chèvres encore sanglantes, traîner ainsi par les rues, et périr enfin de misère son concurrent Grégoire VIII! et ses dégoûtantes barbaries étoient légiti mées, sanctifiées par le seul mot d'excommunication!

Considérez encore les démélés sanglans du pape Eu gène IV avec le concile de Bâle et le pape Felix V, nommé par ce concile, quoique duc de Savoie. Voyezles se renvoyer, selon l'usage, des bulles et des injures, qui mettoient aux peuples les armes à la main.

(1) Dans sa folie, il déclara Henri inhabile à remporter aucune wiztoirs. De ce moment, il fut toujours vainqueur.