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LETTRE

SECONDE

Aux Rédacteurs de la Feuille Villageoise.

Tous les Dimanches, dans notre village, on se rassemble dans un petit jardin attenant à ma maison, et là, placé sur un tertre qui domine, je lis à nos paysans, en cercle autour de moi, la Feuille Villageoise. Ils écoutent si bien, qu'ils me font répéter chaque mot qu'ils n'entendent pas. Je leur explique tous ceux que je connois, mais j'en rencontre souvent que je connois peu ou que je connois mal. J'en ai dressé un petit catalogue que je vous envoie. Si vous daignez mettre à côté de chaque terme le sens précis qu'il doit avoir, je serai sûr alors de ne pas gâter vos leçons, et de ne pas tromper mes disciples.

Signé MARCEL, maître d'école à Fourny.

Réponse.

Sans tarder un moment, nous allons satisfaire le bon maître d'école qui s'adresse à nous avec tant de franchise et de modestie. Voici la liste des mots, et leur explication en même temps.

Termes de Grammaire.

Analyse. Ce mot a différentes acceptions. Faire l'analyse d'une plante, d'un métal, ou d'une matière quelconque, c'est les décomposer, et les réduire à leurs parties élémentaires. La plupart des secrets merveilleux d'un charlatan, analysés par un bon chimiste, se réduisent à des poisons. Faire l'analyse d'un livre, d'un discours, d'un décret, c'est recueillir et resserrer en peu d'espace les principes et la substance qu'ils renferment. L'esprit d'analyse est d'un merveilleux secours au milieu d'une assemblée publique. Il apprend à saisir et à marquer le véritable point de la question :ilabrège

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la discussion, et il délie promptement le noeud de la difficulté.

Analogie. C'est le rapport secret par lequel deux objets se conviennent. Ainsi le fer a de l'analogie avec T'aimant qui l'attire. Ainsi tel arbre, telle graine, ont de l'analogie avec le terroir où ils prospèrent. Ainsi la monarchie est analogue au caractère et à l'empire français. Ainsi la constitution civile du clergé a plus d'analogie avec la primitive Eglise, que n'en avoit l'ambition papale et le faste des évêques.

Métaphore. C'est une expression figurée qui représente une idée abstraite par une image sensible. On dit le flambeau de la discorde, pour peindre les ravages qu'elle produit. On dit qu'un ouvrage étincèle d'esprit, pour faire entendre qu'il est semé d'idées brillantes et ingénieuses. On dit que la justice pèse tous les hommes dans une même balance, pour exprimer qu'ils sont égaux et jugés par les mêmes lois.

Comparaison. C'est un objet que l'on relève en le comparant avec un autre qui lui ressemble par quelque trait frappant. Pour faire sentir combien dans un gouvernement aristocratique on éludoit les lois, Solon les Comparoit à des toiles d'araignées où les petits insectes étoient pris, mais à travers lesquelles passoient les grands. Pour montrer combien la vertu éclatoit dans les revers, Pope l'a comparée à ces plantes aromatiques qui exhalent un parfum suave lorsqu'on les foule aux pieds. Pour inculquer aux villageois l'importance de la libre circulation des blés, nous l'avons comparée à la circulation des fleuves, qui, interceptés dans leur cours, deviendroient stagnans dans un pays, et laisseroient les pays voisins dans la sécheresse.

Allégorie. C'est une comparaison prolongée et suivie : telle est celle que le fameux archidiacre de Dublin, le docteur Swith osa faire entre les trois églises, Romaine Calviniste et Luthérienne, et trois justaucorps légués par un père mourant à ses trois enfans. Pierre, l'aîné des trois, chargea, dit-il, son justaucorps de broderies, de franges, de peintures pieuses. Martin, le second héritier, découpa le sien dans un goût plus moderne, mais le défigura par des ornemens grossiers

et tudesques. Jean, le cadet et le plus sévère des trois enfans ne se contenta pas de laisser son justaucorps sans parure étrangère, mais il l'écourta, le rétrécit, et le fit reteindre des plus sombres couleurs.

Parallèle. C'est encore une comparaison, établie entre deux objets, ou deux personnages importans, pour distinguer les côtés par où ils se ressemblent, et ceux par où ils dfèrent. Le parallèle d'Alexandre et de César, de Démosthène et de Cicéron, d'Homère et de Virgile, étoit le sujet favori des rhéteurs anciens. Le parallèle de Condé et de Turenne, de Bossuet et de Fénelon, de Corneille et de Racine, a été long-temps le refrein et la ritournelle des harangues académiques. Un parallèle plus intéressant exerce aujourd'hui nos orateurs : c'est celui de nos anciennes lois et de nos lois nouvelles. On peut le réduire à deux grands traits que voici Sous le régime ancien, la classe distinguée disoit à la multitude : Rampe à mes pieds, ou meurs de faim. Sous le nouveau régime la multitude dit à la classe distinguée : Vivez nos égaux et nos amis, ou vivez tout seuls. Autrefois cent mille hommes, favorisés aux dépens du peuple, se croyoient heureux sans l'être. Aujour d'hui, vingt-quatre millions d'hommes, revêtus de leurs droits et de leurs biens, aux dépens de ceux qui les avoient usurpės, sont heureux ou vont le devenir. Un berceau illustre ou un berceau obscur, faisoit cidevant la gloire ou l'opprobre de la vie. Le mérite désormais ouvrira et fermera la carrière à tous les con currens de l'honneur et de la fortune.

Contraste. C'est l'opposition marquée et saillante entre deux qualités ou deux événemens, ou deux paysages. Rien n'éveille plus l'attention, rien n'imprime une sensation plus forte qu'un contraste bien choisi ́et bien présenté. C'est ainsi que l'on est frappé en pas→ sant d'une montagne affreuse à une riante campagne; d'une cité florissante à des ruines désertes; d'une époque brillante de l'histoire à une époque désastreuse. Montesquieu a peint le grand contraste de Rome libre et de Rome esclave. Après avoir décrit le règne de Caligula, il s'écrie : « C'est ici qu'il faut se donner "le spectacle des choses humaines. Que l'on consiN°. 3. Seconde année.

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dére dans l'histoire de Rome tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de grandes ac,, tions, tant de triomphes, de sagesse, de constance, de courage. Ce projet d'envahir tout, si bien formé, ", si bien soutenu, si bien accompli, à quoi̟ mè› ne-t-il l'empire romain? A être la proie de cinq à

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,, six monstres".

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sont

Thèse. Proposition que l'on soutient en public ou en particulier. Les thèses de théologie, de philosophie, de médecine, de jurisprudence des disputes solemnelles, où les spectateurs argumentent, où l'apprentif répond, et où les docteurs décident. La Sorbonne s'est illustrée par ses theses, et décréditée par ses censures. Un prince d'Italie, nommé Pic de la Mirandole, soutint une thèse universelle sur toutes les chimères de l'école, qu'on appeloit alors les sciences. S'il revenoit aujourd'hui sa thèse universelle se réduiroit à peu de chose.

Hypothèse. C'est la supposition d'une chose plus ou moins possible, plus ou moins probable. L'astronomie a été feconde en hypothèses qui expliquoient des phénomènes par des imaginations. Ptolomée imagina des cieux de cristal. Descartes brisa le ciel de Ptolomée, et au cristal substitua les tourbillons. Copernic devina mieux que l'un et l'autre le mouvement céleste, et découvrit que le soleil ne tournoit pas autour des planètes, mais que les planètes circuloient autour du soleil. Galilée vérifia, par ses observations, les découvertes de Copernic; mais l'inquisition romaine l'enferma dans ses cachots, et priva de la lumière le géomètre du soleil.

Antithèse. C'est une phrase remarquable par le choc de deux pensées ou de deux termes contraires. Les antithèses de mots sont froides et puériles; les anti thèses d'idées doivent être justes et rares être , pour solides et agréables. Elles sont profondes et utiles, lorsqu'elles abrègent les détails, et touchent d'un trait aux deux extrémités. Une antithèse digne d'être écrite sur tous les trônes de l'Univers, c'est celle de Montesquica, lorsque prêchant aux rois l'économie, il leur dit: Son

gez que les courtisans profitent de vos graces, et le peuple de vos refus.

Theme. C'est le sujet, c'est la matière d'un écrit ou d'un travail. Les astrologues appellent thême céleste, l'étude qu'ils font des astres, pour tirer l'horoscope d'un homme qui vient de naître. Le moindre thême d'un écolier est moins puéril que tous les thêmes de l'astrologie. On peut définir l'astrologie, l'astronomie retombée en enfance.

Systeme. C'est le mot synonyme d'hypothèse ; il signifie aussi l'assemblage de plusieurs principes, et de plusieurs faits sur lesquels on établit un corps de doc trine. Le systême de Newton consiste dans l'attraction universelle, agissant sur tous les astres et sur toutes les parties de l'univers, en raison calculée de leur masse et de leur distance. Le systême de Law fut moins heureux en calculs, et produisit la banqueroute du royaume. Law remplaça l'argent par le papier; mais il se mit dans l'impossibilité de rembourser le papier par l'argent. Alors on vit l'argent disparoître, le papier tomber, et Law s'enfuir avec un diamant fortune.

pour toute Anatheme. C'est une imprécation, une malédiction, une excommunication. C'est le mot infernal avec lequel les papes ont effrayé si long-temps un monde superstitieux. Ce terme a perdu sa vertu magique à mesure que la religion s'est éclairée. D'imbécilles prélats continuent cependant d'anathématiser, et les philosophes, et les hérétiques, et les chenilles, et les sauterelles. Malgré l'anathême, les sauterelles arrivent, les chenilles peuplent, les hérétiques prospèrent, et les philosophes s'instruisent.

Synonyme. C'est un nom ou un verbe qui a la même acception qu'un autre nom ou un autre verbe, mais qui n'a pas tout à fait le même sens. Nation, peuple, multitude, sont des mots employés quelquefois l'un pour l'autre, mais qui diffèrent dans le fond. Multitude signifie un assemblage d'hommes réunis dans une place. Peuple signifie un assemblage de citoyens formant un empire plus ou moins étendu. Nation signifie un assemblage de provinces, vivant sous les mêmes

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