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particuliers du nom, du verbe, etc., déjà connus de mon élève. Ainsi, rien d'arbitraire, rien de douteux dans ce langage, soit que je le forme sur l'imitation de la nature ou d'après la marche de la raison.

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Pourquoi les hornes de cette lettre ne me permettent-elles point de vous décrire l'art de communiquer dans la langue des signes visibles, les notions les plus éloignés des yeux, et même de tous les sens? Est-il un mot, par exemple, plus métaphysique, plus difficile à expliquer par signes que celui-ci : Je crois. Pourquoi cela? parce qu'il renferme beaucoup d'idées. Eh bien, détaillons ces idées. On croit par l'esprit; on a des raisons de croire. On croit par le cœur; on aime à croire. Cependant on n'a point vu, on ne voit pas même ce qu'on croit. Tout cela est dans le mot je crois: aussi j'écris tout cela. J'ai un signe pour désigner l'esprit et le cœur, et l'assentiment que donnent mon cœur et mon esprit à une chose que je n'ai point sous les yeux. Déjà exercé à ce langage, ces phrases et ces signes rétracent à l'esprit de mon fils tout ce qui se passe en lui lorsqu'il croit. Ce mot dont notre oreille ne recueille que le son, sa surdité en embrasse le sens.

C'est ainsi que la distinction de l'ame et du corps peut être mise à la portée du sourd-muet, et par lui conçue, autant que l'esprit humain peut la concevoir.

Ainsi l'idée de Dieu, malgré son incompréhensible étendue, se démontre sans peine ; et lorsque mon fils lève au ciel des mains adoratrices ou suppliantes, son ame embrasse et conçoit l'Etre suprême plus clairement, plus dignement que tant de millions d'hommes offusqués par les superstitions grossières, pires que l'ignorance. Que diroit, à la vue de ces miracles, le savant évêque d'Hippone, Saint-Augustin, qui croyoit les sourds inaccessibles aux vérités de la foi, et voués par la nature à l'irreligion comme à la stupidité?

Tel est, Messieurs, l'esprit de cette méthode d'instruction, qui convertit en gestes didactiques les gestes naturels ; qui les mesure et les gradue, pour leur donner des acceptions aussi précises que les nuances les plus délicates de la parole; qui les range artistement dans le même ordre que suivent les phrases françaises:

qui explique les idées purement spirituelles, par les termes destinés à rendre les objets physiques; qui res titue à la société, et ressuscite au bonheur des êtres incomplets et disgraciés. Art sublime et divin! il réconcilie le philosophe avec la nature, en montrant qu'il n'est pas une de ses omissions que l'homme ne supplée, pas une de ses erreurs que le génie ne corrige.

Sans doute cet art se perfectionnera. Des tentatives heureuses ont déjà été faites, non seulement pour apprendre aux sourds-muets à comprendre, au seul mou vement des lèvres, ce qu'on leur dit, mais même pour les former à pousser les sons, à se servir de leur langue, à fermer et ouvrir la bouche de manière à bien articuler des lettres et des mots.

Depuis que l'admirable inventeur de cet art, l'excellent abbé de l'Epée, soutenu par sa seule humanité, aidé de son unique fortune, a fondé sa première école, combien M. Sicard, son successeur, a déjà étendu cette science! C'est à lui que son maître disoit, J'ai trouvé le verre, vous ferez les lunettes.. Il a percé de nou velles routes, qui conduiront ses disciples plus loin encore. Interprète de la reconnoissance publique, l'assemblée nationale a encouragé, secouru son établissement, sur lequel l'ingratitude avare de l'ancien gouvernement n'avoit pas daigné jeter un seul regard. Les pères de la patrie vont recueillir les sourds-muets, organiser et salarier leur institution.

C'est à vous, Messieurs, de proclamer dans les campagnes ce prodige de la bienfaisance humaine. On a calculé que la France renfermoit plus de quatre mille enfans sourds et muets. En publiant ces détails trop peu répandus, combien de familles vous allez consoler! Sur-tout, Messieurs, vous remplirez le plus constant objet de vos soins, celui de montrer au peuple l'utilité réelle des sciences même qui ne lui semblent faites que pour une ingénieuse curiosité.

Note des Rédacteurs.

Nous ajouterons ici que le décret annoncé par M. Reis vient d'être rendu, L'établissement pour l'ins

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titution des sourds-muets est formé, son local est déterminé, ses fonds sont faits. On y a réuni l'institution des aveugles-nés, autre découverte du même genre. que l'humanité doit à M. Haüy. Ces deux hommes généreux se chargent de former des instituteurs, ct bientôt chaque département aura une institution pareille.

Enfin nous annonçons encore la découverte nouvelle, faite par M. Sicard, de plusieurs procédés qui établissent une communication parfaite entre les sourdsmuets et les aveugles de naissance. Ils consistent, 1°. à faire lire, par le sourd-muet, les mots que l'aveugle trace en l'air du bout de son doigt. 2o. A instruire les deux individus à se servir de leurs mains pour s'entretenir. Les divers mouvemens de ces mains sont un langage pour eux, et leurtiennent lieu des organes qui leur manquent. 39. On enseigne à l'aveugle la théorie des signes méthodiques, et il peut ainsi communiquer ses pensées au sourd-muet.

Bons Villageois, hommes droits et sensés, vous révérez les sages, auteurs de ces miracles. Eh bien, il n'y a que peu d'années, on vous les eût dénoncés comme des sorciers, et vous auriez lapidé vos bienfaiteurs.

PARIS. Après deux ans et demi de travaux presque miraculeux, Tassemblée nationale constituante a terminé le 30 septembre sa bienfaisante carrière. Le roi est venu ce jour même prononcer devant les législateurs prêts à se séparer, un discours où il déclare qu'il a notifié à toutes les puissances de l'Europe son adhésion royale et loyale à toute la constitution française.

Le lendemain, les députés à la nouvelle législature se sont réunis dans la salle du corps législatif. M. Camus, archiviste, a fait l'appel nominal; il s'est trouvé 433 membres présens, qui se sont distribués en dix bureaux, pour vérifier les pouvoirs.

Les membres de la précédente assemblée assistoient dans des triLunes préparées pour eux. Le peuple, répandu dans les autres tribunes, portoit tour à tour des regards de vénération vers les anciens législateurs, et d'espérance vers les nouveaux.

L'ouvrage des Evêques constitutionnels sur l'établissement civil du Clergé, vient de paroître chez DESENNE, Imprimeur-Libraire, au Palais-Royal. Le prix de cet ouvrage, composé de 260 pages, est de 40 sous, franc de port, pour les départemens. Quiconque, à la lecture de cet écrit, ne sera pas convaincu, ne mérite pas de l'être, et mourra dans l'impénitence finale.

De l'Imprimerie de PESENNE, rue Royale, butţe S. - Rochi, no. 25.

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Première Lettre aux Rédacteurs de la Feuille Villageoises

De l'ancien château de Pressigny,
ce 2 octobre 1791.

LE 26 du mois dernier, le feu prit avec violence

dans la rue des Laboureurs de Bourbonne-les-Bains, bourg près duquel j'habite en ce moment. Dans une heure de temps, soixante-quatre maisons sont la proię des flammes qui menacent d'ensevelir toutes les habitations. Un couvreur, nommé Raclot, monte sur le toît de la dernière maison incendiée; seul il travaille à arrêter les progrès du feu de ce côté. Il est bientôt enveloppé par les flammes; mais il s'obstine à rester dans le poste qu'il a choisi. En vain on le presse de descendre: Non, s'écrie-t-il, je périrai, ou je sauverai le reste des maisons. Ses habits et sa chemise sont brûlés sur son corps : il paroît insensible à la douleur, travaille sans relâche; et malgré le vent qui animoit le feu, il parvient à lui imposer des limites. Sans le courage héroïque de ce brave couvreur, il n'existeroit plus une seule maison à Bourbonne. La première récompense Troisième Partie.

G

que je réclame pour lui, Messieurs, c'est la mention honorable de sa belle action dans votre Feuille.

Cent quatre ménages sont ruinés par cet événement; ce qu'il y a de plus malheureux, c'est que les habitans que cet incendie écrase, sont tous laboureurs, et que leurs récoltes ont été consumées. Le feu a pris par une imprudence qui se répète dans presque tous les villages un fournier qui cuisoit le pain, avoit porté la braise, tirée du four, dans un cuvier de bois placé en un grenier; cette braise mal éteinte, ranimée par un courant d'air, est devenue le foyer de l'embrasement. Je ne doute pas que votre bienveillante vigilance ne prévienne vos Souscripteurs contre une si pernicieuse

habitude.

Signé, Charles CADET DE GASSICOURT, homme de loi.

P. S. Deux enfans ont été brûlés.

Remarque des Rédacteurs.

L'imprudence qui a produit l'incendie de Bourbonne, n'est pas la seule qui expose la plupart des villages et des bourgs à ces terribles catastrophes. Nous avons vu, nous-même, cent fois, les batteurs de blé porter une lampe dans leurs granges, et l'attacher au beau milieu des gerbes entassées. Cent et cent incendies sont venus de ces lampes si mal placées. L'expérience n'a pu corriger la mauvaise habitude; c'est aux bons pasteurs, c'est aux fermiers vigilans à réformer des abus qui les exposent à être brûlés eux, et leurs familles, et leurs maisons, et leurs récoltes.

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