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La bénédiction de ce drapeau a été une solemnité brillante. Les femmes, au nombre de deux ou trois cents, marchoient deux à deux ; chaque duo étoit escorté de deux gardes nationales, les hommes armés de fusils, et les femmes de sabres. Le concours du peuple étoit si prodigieux, que les étrangers ne pouvoient concevoir d'où sortoit tant de monde. Ils ne voyoient de tout côté que des rochers et des sapins. Ce qui les surprenoit sur-tout, c'étoit la bonne contenance des hommes et des femmes, leur dex. térité à manier les armes ; la concorde et la fraternité qui animoient la fête, par l'union la plus charmante. L'esprit public avoit banni toute distinction ridicule entre le village et la montagne, entre un bataillon et l'autre.

Ce bon esprit est votre ouvrage, Messieurs. Pasteur fortuné de ce canton, autrefois serf, et libre aujourd'hui, je vous remercie au nom de ses habitans dociles: comme des agneaux devant la loi, la raison, et la religion, ils seroient indomptables comme des lions, s'ils étoient attaqués par les ennemis de la patrie.. Qu'ils n'espèrent point de victoire, disoit le capitaine qui reçut » le drapeau, tant qu'ils n'auront pas effacé avec tout notre sang l'image de la liberté peinte sur notre étendart.

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---Les noms

» de chanoines et de main-morte, disoit un autre, seront les termes magiques qui nous donneront l'intrépidité et la fureur du » lion (1). --- Braves citoyens, disoit la femme qui offrit le dra» peau, on nous a toujours dit que le triomphe de la liberté est

infaillible, quand les femmes s'unissent aux hommes pour la » défense de la patrie. Nous formons avec joie cette sainte union. "Si nous ne pouvons combattre comme vous; si nous ne pou"vons vous suivre par-tout où l'intérêt public vous appellera, du " moins vous aurez toujours avec vous nos cœurs et nos souhaits " pour la victoire. Quand vous verrez cet étendard, vous vous "souviendrez que vous le tenez de la main fidèle de vos mères, de " vos épouses, et de vos sœurs et que, pour mériter leur ten"dresse, vous devez suivre constamment les sentiers de l'honneur ". Généreux patriotes, voyez, d'après ces sentimens, si les habitans des rochers du Jura soni dignes de votre estime, et des armes que vous leur avez données.

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Signé DALLER, curé de Septmousel.

Réponse à M. le Curé.

Heureux le pasteur qui a un peuple si brave pour disciple! heureux le peuple qui a un pasteur si sage pour oracle !

religieux, d'un noble, seroit-il aussi dur et aussi insensible que les rocs du Jura?

(1) L'origine et l'étymologie du nom de main-morte vient de l'usage horrible où l'on étoit jadis de couper la maiu de l'esclave mort, et de la clouer sur la porte des châteaux et des abbayes féodales.

LES RUINES

O U

MÉDITATION SUR LES RÉVOLUTIONS

DES EMPIRES;

Par M, VOLNEY, Député à l'Assemblée Nationale de 1789.

СЕТ

ET ouvrage, inspiré par la plus haute philosophie, et enrichi de la plus vaste érudition, a été présenté à l'assemblée nationale, et mérite de l'être au monde entier; c'est le résultat savant de dix ans de voyages, et de vingt ans de méditations. Le genre contemplatif porte avec soi une sécheresse inanimée, et une tristesse monotone. L'auteur a su donner du mouvement, de la variété, et de la grace même à ses contemplations les plus graves; et tandis que la pensée ou l'aspect des ruines plonge dans un morne silence l'esprit du vulgaire, le sien recueille de tous ces objets désolans, tantôt des vérités sublimes, tantôt des scènes pittoresques. Si les prédicateurs évoquent du cercueil les morts célèbres, pour exciter un monde corrompu à la pénitence, M. Volney exhume en quelque sorte de la poussière les grandes cités qui ont disparu, afin de montrer aux nations aveugles la catastrophe des abus et la nécessité des réformes. Le noctambule Young, le sombre Hervey, firent tous deux, de ce sujet lugubre, cours de morale: M. Volney en a fait, le premier, un cours de politique. A la leçon funèbre des ruines antiques, il a joint la leçon vivante de la révolution française. Il la considère à sa naissance; il la peint dans sa marche et sa progression. Il en compose des tableaux mouvans, et des récits dramatiques. En un mot, son ouvrage est, pour ainsi dire, la fable et la morale de notre constitution. Nous croyons servir nos lecteurs, en insérant dans notre Feuille une analyse de cet ouvrage, tracée à notre manière, c'est-à-dire, qui lie ce qui est

détaché, qui abrège ce qui est étendu, et qui développe ce qui est abstrait ou profond.

L'auteur suppose que, de retour dans les plaines de la Syrie, où il a voyagé autrefois, il revoit ces campagnes désertes, ces temples solitaires, ces tombeaux ouverts, ces colonnes dispersées, et tous ces débris vénérables qui frappèrent alors son imagination d'une religieuse mélancolie. S'abandonnant à cette impression. méditative, il parcourt en idée les vicissitudes humaines. Il cherche l'Assyrien sur les rives du Tigre ; le Caldéen sur celles de l'Euphrate; le Mage aux bords du golfe Persique; l'Hébreu dans les sablons de la Jadée; le Phénicien autour de la mer Rouge. “ Où sont, demande-t-il, ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Persépolis, ces portiques de Balbeck et de Jérusalem? Où sont ces flottes de Tyr, ces chantiers d'Arad, ces ateliers de Sidon, et cette multitude de matelots, de marchands, de soldats, et ces laboureurs, et ces moissons, et ces troupeaux, et toute cette création d'êtres vivans dont s'enorgueillissoit la face de l'Asie? Le temps a tout dévoré, la fortune a tout anéanti, et l'aveugle destin semble n'avoir conservé quelques restes du passé, que pour laisser des témoins effrayans de son pouvoir. Ce barbare pouvoir s'exercera de même un jour sur tout ce qui existe et fleurit à présent. Des rives de la Seine à celles du Tibre; du sommet des Pyrénées à la cîme des Alpes le voyageur un jour ne verra plus que de muettes solitudes, et d'immenses déserts ".

L'auteur déplore ainsi les coups du sort, et reproche à la fortune son inconstance destructive. Tout à coup se montre à ses regards un génie qui vient terminer ses complaintes, et justifier la destinée, en lui expliquant par quels mobiles s'élèvent et s'abaissent les empires, de quelles causes naissent la prospérité et l'infortune des nations, sur quels principes enfin se fondent la paix des sociétés, et la stabilité des gouvernemens. Posant sa main sur la tête du voyageur, le génie l'enlève dans les airs, et faisant rouler sous ses pieds le globe de la terre, il lui découvre avec rapidité la place des peuples détruits, et celle des

peuples existans. Ensuite il lui révèle la première origine de l'homme, les caractères de l'esprit social, les égaremens de la vie sauvage, la création des villes, le règne passager des lois, le règne progressif des abus, des superstitions, des haînes nationales.

Il expose à ses yeux les diverses époques des différens états:

L'époque où l'anarchie déchiroit sans prévoyance les noeuds de la société.

L'époque où la démocratie ramenoit violemment tous les intérêts sous l'étendart de l'union.

L'époque où, partageant en deux le corps social, l'aristocratie livroit le peuple aux passions des grands et des rîches.

L'époque où, dérobant le sceptre aux riches et aux grands, la théocratie le donna aux prophètes et aux pontifes ambitieux.

L'époque où la monarchie tutélaire s'élevant au dessus de tous les corps usurpateurs, retira de leurs fers la multitude qu'ils écrasoient.

L'époque enfin où les mœurs étant corrompues, et les lois renversées, le despotisme parut pour enchaî ner, pour épuiser tout un empire.

Le génie alors fait voir des hordes barbares se jetant sur les peuples efféminés, saccageant les villes opulentes, ravageant les cultures et les arts, et ne laissant sur leur passage que des cadavres et des ruines. C'est ainsi, dit il, qu'ont expiré Babylone, Memphis, Persépolis, Palmyre, Athènes, Sparte, Carthage, et tant d'autres cités superbes, qui ne sont plus que de chétifs hameaux, ou de misérables squelettes. Ce n'est pas la main de la fortune qui les a dégradées ou détruites: c'est la main des hommes, c'est l'instrument des passions, c'est le glaive de la vengeance, c'est la hache sacrée du fanatisme, c'est là rapide flamme des conquérans.

Eh quoi! s'écrie le voyageur, le sage ne pourra fonder sur la terre un empire durable? Il le peut, répond le génie, s'il établit le gouvernement sur les lois invariables de la nature et de la justice. Jusques-là ce monde que tu plains changera de tyrans, sans changer de tyranN°. 2. Seconde année.

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nie. Je désespère donc du monde, reprend le voyageur; car plus j'examine les sociétés présentes, et moins je dois attendre une révolution heureuse. L'Asie entière est ensevelie dans la superstition et l'ignorance; l'Inde s'épuise pour enrichir ses Brames, ses Naïrs, et les Anglais; le Chinois tremble à l'aspect du bambou dont chaque Mandarin est armé contre lui; le Tartare, nomade ou pasteur, ambulant ou sédentaire.vit dans la barbarie et la stupidité de ses aïeux; l'Arabe, inconstant et altier, va excitant sans cesse sa tribu et sa famille à la révolte et au brigandage. L'Africain, dépouillé de la qualité d'homme, semble destiné en naissant à devenir le bœuf de l'Amérique. Au nord de l'Europe, je ne vois que des serfs avilis et des despotes insolens. Au midi, je découvre les mendians. de Rome, les lazaroni de Naples, les inquisiteurs de Madrid. La Suisse dégénère, la Hollande décline. Où trouver donc une place favorable pour fonder l'empire de l'humanité ?

Console-toi, jeune homme, dit alors le génie avec une majesté nouvelle. Le moment de fonder cet empire est venu, et la place est prête. Graces aux lumières de la philosophie, graces aux influences du commerce et des arts, graces à la découverte inestimable de l'imprimerie, graces à l'exemple de l'Amérique septentrionale, graces aux excès du despotisme lui-même, un nouveau siècle va éclore, et un peuple célèbre, affranchi par ses propres mains des préjugés et des tyrans dont il étoit idolâtre, va devenir le modèle et le législateur du monde. A peine eut-il achevé ces mots, qu'une vaste rumeur s'éleva du côté de l'occi-dent; le voyageur y portant ses regards, aperçut une cité immense; c'étoit la capitale de l'empire français. Il vit un peuple innombrable s'agiter et se répandre à flots dans les rues et les places publiques. Tous s'écrioient: Quelle est tette énigme cruelle? quel est ce désastreux mystère? Nous composons une nation nombreuse, et nous manquons de bras! Nous possédons un sol excellent, et nous languissons dans la disette! Nous sommes laborieux et actifs, et l'on nous laisse à peine de quoi exister! Nous payons d'énormes tributs, et ils ne suffisent pas ! Nous vivons

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