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"entrer dans la maison. Les sergens n'y entreront » pas non plus, parce que celui qui travaille chaque "jour, recueille chaque jour de quoi payer ses dettes. "Labourez pendant que le paresseux dort, vous aurez " du blé à vendre et à garder. Labourez aujourd'hui; "car vous ne savez pas si vous pourrez labourer de» main. Ne perdez pas une heure, puisque vous n'êtes " pas sûr d'une minute. Que le soleil, en regardant » la terre, ne puisse pas dire: Voilà un lâche qui " sommeille. Si vous étiez le domestique d'un bon ›› maître, nè seriez-vous pas honteux qu'il vous trou" vât désœuvré ? Mais vous êtes votre propre maître. "Rougissez donc de vous surprendre vous-même à ne " rien faire, tandis que vous avez tant à faire pour " vous, pour votre famille, pour votre patrie. Laissez "souffler les vents, laissez tomber la pluie; sachez vous endurcir à la souffrance: Songez qu'un chat en mitaines ne prend pas de souris. Que les difficultés ne " vous découragent point: Avec du travail et de la pa"tience, la souris coupe un cable. Après les difficultés " viennent les agrémens; après le travail vient l'abon

dance: La fileuse vigilante ne manque jamais de chemises, " et celui qui soigne bien sa vache aura un troupeau.

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"Il ne suffit pas, mes amis, d'être diligent; il faut encore être persévérant et stable dans ses ouvrages. Je n'ai jamais vu prospérer un arbre qu'on change sou" vent de place, ni une famille qui déménage souvent: " Trois déménagemens ruinent comme un incendie. Gardez " votre boutique, et votre boutique saura vous main" tenir; conduisez votre charrue, et votre charrue " vous fera arriver. L'œil du maître fait plus que ses

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deux mains. Ne point surveiller vos ouvriers, c'est ,, leur abandonner votre bourse: Dans les affaires de ce

monde, ce n'est pas la foi qui sauve, c'est la défiance. Si " vous voulez posséder un serviteur fidèle, et que ", vous aimiez, appliquez-vous à vous servir vous,, même; vous serez sûr alors que rien ne sera négligé. "Une légère négligence produit souvent un grand "mal: Faute d'un clou, le fer d'un cheval se perd; faute

d'un fer, on perd le cheval; et faute d'un cheval, le ca"valier lui-même est perdu; car son ennemi l'atteint et le A 5

" tue.

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"Voilà pour la paresse; voici pour la vanité. Si " vous voulez être riche, n'apprenez pas seulement " comment on gagne, sachez aussi comment on mé"nage. Les Indes n'ont pas enrichi les Espagnols, " parce que leur orgueil, uni à leur paresse, desseche "" ou disperse leurs trésors. La vanité veut avoir des "convives; mais si la cuisine est grasse, le testament scra " maigre. La vanité veut faire des présens magnifiques, " et des liaisons brillantes. On paye pour séduire; on " paye pour être séduit, ei l'entretien d'un vice coute " plus cher que l'entretien de deux enfans. Vous pensez » peut-être qu'un peu de thé ou de punch, quelques » recherches pour la table ou pour l'habillement, "quelques spectacles et quelques fêtes ne vous ruine

ront pas. Mais les petites dépenses répétées empor tent à la longue de grandes sommes: Il ne faut qu'une " légère voie d'eau pour submerger un grand navire.

"Vous voilà tous assemblés ici pour une vente de » bijoux et d'ajustemens. Vous appelez cela des biens. "Si vous n'y prenez garde, ils deviendront des maux. "Vous comptez qu'ils seront à bon marché; mais " s'ils sont inutiles, ils seront toujours trop chers: " Quiconque achète le superflu, vendra bientôt le nécessaire. "Les étoffes de soie, les satins, les écarlates, les ve

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lours ont ruiné plus de monde que la grêle, la gelée, et les impôts. On songe plus à l'apparence qu'à l'utilité, et les besoins artificiels du genre humain sont ", devenus plus nombreux que ses besoins naturels. Que de gens bien nés sont réduits à la misère par ,, ces extravagances, et sont forcés de recourir à des › hommes qu'ils méprisoient auparavant! L'habit de " soie vient men lier auprès de la bure. Un manant sur ses " pieds est plus grand qu'un gentilhomme à genoux.

Eres-vous curieux, mes amis, de connoître ce que vaut l'argent; allez, et essayez d'en emprunter à " quelqu'un. La honte de demander, les rebuflades "qu'on essuie, la mauvaise grace et l'usure du prê

teur devroient seuls corriger de la vanité des dépenses, et de l'orgueil des parures. Mais loin de , s'arrêter, l'orgueil et la vanité vont toujours en croissant. En effet, si vous avez acheté une jolie chase,

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» il vous en faudra dix autres encore pour l'assortir. » Avez-vous un habit galonné ? il vous faut des den

telles. Avez-vous des dentelles ? il vous faut des ,, diamans. Et que revient-il de tant de magnificence ? "On est envié, calomnié, ruiné: Qu'est-ce qu'un papillon? une chenille habillée, que l'on poursuit et que l'on " écrase.

Mais, dites-vous, dans cette vente que l'on va "faire, on nous offre six mois de crédit. Oh! mes "amis, pensez-vous bien à ce que vous faites, lorsque ,, vous achetez à crédit? Vous donnez des droits à un

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autre homme sur votre liberté. Le terme du paiement arrivera plus vite que l'argent. Combien alors vous " serez honteux de la seule rencontre de votre créan"cier! à combien d'excuses, à combien de mensonges " vous vous abaisserez ! La pauvreté jette un homme à "terre; car il est difficile qu'un sac vide se tienne debout; " et quand le puits est sec, an descend bien bas sans trou" ver une goutte d'eau. Que penseriez-vous d'un prince qui vous feroit enfermer par une lettre de cachet?. "Eh bien, le créancier est ce prince, et votre billet de "créance devient votre lettre de cachet. Je sais fort "bien que lorsqu'on a fait un emprunt, on ne songe "guère à la restitution; mais les créanciers ont meil"leure mémoire que les débiteurs.Les créanciers sont , la secte du monde la plus superstitieuse. Il n'y a pas. „ d'observateur plus exact qu'eux de toutes les épo"ques du calendrier. Le jour de leur visite arrivera ,, bientôt; Le carême est bien court pour ceux qui doivent " payer à Pâques.

L'imprudence achève ainsi de ruiner ceux que la "vanité dépouille, et ceux que la paresse appauvrit. Le " débiteur imprévoyant s'expose à être esclave, le riche "fastueux s'expose à être banqueroutier, l'artisan dé"sœuvré s'expose à être mendiant. Ce sont trois sour" ces de misère bien plus désastreuses que les impo"sitions. Tout l'argent qu'on paye à l'Etat retombe, " en bienfaits sur nous; mais tout celui qu'on paye "au vice et à la débauche, se change en maladies, " en humiliations, en servitude, ou tout au moins en » repentirs. Oh ! mes amis, oh! mes voisins, adoptez

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"ma méthode. J'ai dépensé pour le besoin; j'ai éco"nomisé pour la vieillesse. J'ai dit dès mon aurore: "Le soleil du matin ne dure pas tout le jour. A chaque ins"tant de ma vie, j'ai répété : Le gain est incertain et " passager; la dépense sera continuelle et certaine : "Il est plus aisé de bâtir deux cheminées que d'entretenir

toujours du feu dans une. Travaillons, épargnons, et " alors nous cesserons de nous plaindre de la ri"gueur des temps et de la pesanteur des impôts.

Vous m'avez demandé mon avis: le voilà. Je désire qu'il vous serve. Mais on donne un bon avis sans donner une bonne conduite .

Le vieux prédicateur Richard finit là sa harangue et ses proverbes. Le peuple l'écoutoit bouche béante et en souriant. On battit des mains quand il cessa de parler. On fit bien mieux; profitant de ses conseils, l'un courut payer ses dettes; l'autre alla reprendre son travail; l'autre resta pour la vente, mais n'y acheta que des choses nécessaires, et tous payèrent les impôts sur les épargnes de la vertu, et sur la réforme des vices. La prospérité américaine a profité ainsi de la science et des proverbes du bonhomme Richard.

Depuis cette conversation fameuse, personne, en Amérique, ne prononce une sentence de morale, ou une maxime de politique, ou un axiome de philosophie, ou un aphorisme de jurisprudence, ou un apophtègme historique, ou un proverbe populaire, ou un adage commun, ou un dicton quelconque (1).

(1) Tous ces mots synonymes ou ressemblans ont une acception différente, et nous les avons réunis ici pour les expliquer.

Sentence est une pensée grave, profonde, énergique et concise. Le style de Sénèque est riche en sentences. Les oracles du paga-. nisme parloient aussi par sentences; mais ces sentences étoient moins d'un dieu que d'un charlataṇ.

Maxime est une opinion reçue et abrégée, qui sert de règle pour la logique ou pour la conduite. On raisonne ou l'on agit d'après telle ou telle maxime. Les maximes du gouvernement français varioient selon les ministres. Richelieu avoit pour maxime de tout abattre ; Mazarin, de tout corrompre ; Louvois, de tout envahir ;

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sans ajouter :

Comme

dit le bonhomme Richard.

Fleury, de tout attendre; Choiseul, de tout brusquer; Calonne, de tout hasarder; Nec ker, de tout concilier; l'Assemblée nationale, de tout refaire.

Axiome est une proposition démontrée, soit en physique, soit en géométrie, soit en morale. C'est un axiome en physique que le tonnerre tombe sur les clochers quand on sonne au moment où la nuée orageuse passe au dessus. C'est un axiome en géométrie, que la ligne droite est la plus courte des lignes, et la ligne tortueuse, la plus longue. C'est un axiome en morale, qu'il n'existe de sorciers que les fourbes, et d'ensorcelés que les imbécilles.

Aphorisme est un texte que l'on cite d'après un auteur classique, ou un livre distingué. Les aphorismes de droit sont des jugemens tirés des meilleurs jurisconsultes. Les aphorismes d'Hippocrate sont les oracles de la médecine. Voici le premier de ces aphorismes : L'art est fort long, la vie fort courte, l'observation incertaine, et l'expérience elle-même trompeuse.

Apophlegme est une parole mémorable d'un philosophe ou d'un héros de l'antiquité. Les sept sages de la Grèce ont laissé chacun des mots heureux, des apophtègmes instructifs. Plutarque n'en a oublié aucun dans son Histoire des hommes illustres. Il a recueilli, comme des médailles antiques, tous les apophtègmes savans ou héroïques des temps passés.

Proverbe est une vérité jadis peu connue, répandue ensuite de proche en proche, et devenue tout à fait populaire, soit par sa brièveté, soit pat sa clarté, soit par son expression originale. La plupart des proverbes sont dans un style figuré, et relevés par des images familières. Le célèbre Richardson appeloit les proverbes, la sagesse des nations, et l'expérience des siècles

Adage est un proverbe trivial, débité d'un ton sentencieux et lent. Il vient du mot italien adagio, qui signifie en musique un mouvement plus grave, et un chant ralenti. Erasme, le précurseur de la philosophie moderne, avoit fait un recueil des proverbes grecs et latins, qui a pour titre : Les Adages d'Erasme. En parcourant cos adages, on y retrouve nos proverbes, ceux des Egyptiens, ceux de l'Inde et de la Chine. Le bon seus est un dieu qui a parlé à tout le genre humain, et ses oracles ou ses révélations sont l'évangile universel.

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