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tous nos besoins de là suit le droit de les satisfaire. Elle nous donne des sens, une ame, des forces, des talens, toutes nos facultés : de là, le droit de les exercer, de les cultiver, de les perfectionner. Elle nous donné le désir d'être heureux; de là, le droit de repousser tout ce qui fait obstacle à notre bonheur.

L'homme ne peut rester isolé ; une compagne, une famille, des amis lui sont nécessaires. Il n'y a point d'hommes vraiment sauvages; il n'y a que des sociétés plus ou moins nombreuses, plus ou moins civilisées. Les mortels rassemblés sur la surface de la terre n'ont pas tous les mêmes habitudes ni les mêmes connoissances. En quelques lieux l'homme vit de sa chasse ; ailleurs, il se nourrit du lait ct de la chair de ses troupeaux; là, il possède, cultive et moissonne un champ fertile : tantôt il se fixe avec sa famille ; tantôt il la promène, associée à un petit nombre d'autres familles errantes. Le plus souvent enfin uni en corps de nation à des milliers, à des millions de concitoyens, il se livre en paix aux arts, aux travaux et aux jouissances d'une société opulente et policée. Mais quelle que soit sa condition, quelle que soit sa patrie, tout homme a les mêmes droits, qu'il ne sauroit ni perdre, ni vendre, ni céder, et qu'à tous les momens il peut réclamer, ou même ressaisir, lorsqu'ils lui sont ravis.

Si les peuples et les individus sont malheureux, c'est pour avoir oublié et perdu ces droits: si les gouvernemens sont odieux et tyranniques, c'est pour les avoir méprisés et foulés aux pieds. Veut-on qu'à l'avenir le peuple les défende, que l'individu les réclame, que le gouvernement les respecte? il faut qu'ils soient convenus par tous, déclarés au nom de tous. Veut-on qu'ils se gravent dans tous les cœurs? qu'on les inscrive à la tête de toutes les constitutions.

Depuis plus d'un siècle, les Anglais ont leur Bill, ou décret des droits. Les divers peuples de l'Amérique anglaise se sont fait chacun une constitution particu lière, qui commence par la déclaration positive de leurs droits. A leur exemple, nous avons voulu que cette chartre fondamentale fût la première pièce de la constitution française. Nous avons fait plus; ce que

No. 5. Seconde année.

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nos précurseurs avoient exprimé ainsi : Droits du peuple de la Grande-Bretagne ; droits du peuple de Pensylvanie, etc.; nous l'appelons plus sagement: Droits de l'homme, droits du citoyen en général. La nature ne connoît point de peuples privilégiés. Ces droits ne sont point les prérogatives héréditaires, et, pour ainsi dire, la noblesse de telle ou telle nation; ils sont la propriété native de toute créature humaine : et c'est ainsi que les représentans de la nation française se sont montrés les représentans du genre humain.

Voici donc le tableau de ces droits qui nous appartiennent, non comme Français, mais comme enfans du premier homme, comme individus sensibles et raisonnables.

Tout homme naît, vit, et meurt égal en droits à tous ses semblables.

Il en résulte que tout homme naît, vit, et meurt libre; car nul ne pouvant prétendre la supériorité sur un autre, il n'existe de droit ni maître, ni esclave.

C'est le travail qui nourrit l'homme. Il s'ensuit que chacun naît, vit, et meurt avec le droit de jouir et de disposer du fruit de son travail, ou même de celui de ses pères, du champ fécondé par ses sueurs, ou de l'héritage patrimonial, défriché par la famille dont il faisoit partie, qu'il remplace et qu'il représente.

Ainsi, égalité, liberté, propriété, sûreté pour sa personne, sûreté pour sa possession: tels sont les droits naturels de l'homme. Toute association politique a pour unique but de les conserver, de les garantir à tous ses membres.

Aussi chaque homme ne doit-il rencontrer dans l'exercice de ses droits d'autres limites que celles qui assurent à ses associés la jouissance de ces mêmes droits; et ces limites mêmes, elles ne doivent être posées que par la loi. Tout ce qui n'est pas défendu par elle ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Quest-ce que la Loi?

C'est la règle commune que chaque associé s'impose volontairement pour le bien de la société, et pour le

sien propre. C'est donc la volonté générale exprimée par le souverain, c'est-à-dire, par la nation entière; car une nation étant composée d'individus libres et maîtres d'eux-mêmes, doit être indépendante, et seule maîtresse d'elle-même. Le principe de tout pouvoir réside en elle. La souveraineté, qui est le pouvoir du corps sur ses membres, en tout ou en partie, appartient donc à la nation. Que l'autorité soit exercée ou par un seul, ou par plusieurs, c'est toujours de la nation. qu'elle émane; c'est par sa volonté qu'elle subsiste.

Comment se forme la loi ?

De même que tout homme de bon sens se conduit seul d'après son cœur et sa raison, de même aussi toute nation sage doit se régler d'après sa volonté. La loi doit donc être l'œuvre commune de tous les citoyens; car qui connoît mieux que nous ce qui nous est utile et bon ? Chacun doit y coopérer. Sommes-nous trop nombreux pour proposer, discuter, et voter tous. nous-mêmes les lois qui nous régissent? Tous du moins nous en chargerons quelqu'un d'entre nous; nous choi sirons un représentant qui pense comme nous, afin qu'il fasse la loi comme nous l'aurions faite nous-mêmes. Il se réunira avec d'autres représentans nommés par nos nombreux concitoyens; et la pluralité de leurs suf frages sera réputée notre volonté.

Mais cependant comme cette loi n'est pas faite directement par nous-mêmes, cherchons d'avance à quel signe nous reconnoîtrons sa légitimité quel est le catactère principal de la loi ; quelles sont ses bornes; quels sont ses droits.

CARACTÈRE PRINCIPAL DE LA LOI.

Il est naturel que la volonté générale soit conforme à l'intérêt général. Cet intérêt sans doute est la plus grande égalité. La loi sera donc égale; elle sera donc la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tel sera son principal caractère.

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Egalité de la loi.

Si elle établit des distinctions sociales en faveur de quelques hommes, ces distinctions ne seront jamais fondées que sur l'utilité commune de tous les citoyens. Si elle attribue la supériorité à quelques individus, c'est uniquement à des fonctionnaires publics, dans l'exercice de leurs fonctions.

Si la loi crée des dignités, des places, des emplois publics, tous les citoyens y seront également admissibles, sans autre distinction que celle des vertus et des talens.

Si la loi ordonne que les citoyens contribueront pour les dépenses publiques, cette contribution devra être également répartie entre tous, en raison de leurs facultés.

Enfin si la loi porte des peines, elles seront les mêmes pour des délits pareils, sans aucune distinction des personnes.

Limites de la loi.

Ainsi donc que la loi soit générale, que nul ne soit excepté ni préféré; le vœu de l'égalité est rempli.. Mais la liberté est plus ombrageuse; difficilement la loi peut se concilier avec elle.

En même temps que la loi dit à chaque citoyen: Voici la borne que j'impose à tes droits. Le citoyen revêtu de la scule dignité d'homme, dit à la loi ellemême: Voici la limite que mes droits vous défendent de franchir.

Il est des libertés dont la jouissance pleine, entière, indépendante, doit, pour chacun de nous, être habituellement garantie par la société, sans pouvoir être restreinte par aucune loi.

Libertés du citoyen.

Ainsi, sous l'abri de la constitution française, tout homme possède et conserve;

1o. La liberté d'aller, de rester, de partir, de trans

porter, ou de fixer sa personne au gré de son intérêt ou de sa fantaisie.

2o. La liberté de communiquer ses opinions par tous les moyens, et sous toutes les formes; de parler, d'écrire, d'imprimer, de publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune inspection, ni subir aucune censure, avant qu'ils soient publiés; liberté inestimable, droit sacré, l'éternel bouclier de tous les autres droits.

3o. La liberté d'exercer le culte religieux auquel il est attaché ; liberté aussi inhérente à l'homme, que l'ame est inséparable du corps; liberté qui est le principe de la paix car l'intolérance religieuse est la source de toutes les persécutions civiles. L'esprit de secte et l'esprit de parti sont voisins.

4°. La liberté de s'assembler avec d'autres citoyens. paisiblement, et sans armes ; principe d'union, de fraternité, de liberté sur-tout. La tyrannie, semblable à un tigre farouche, n'osera se montrer, si elle voit par-tout des groupes d'amis assemblés, prêts à sonner le tocsin contre elle.

5. Enfin tout homme possède invariablement la liberté d'adresser aux autorités constituées, des pétitions signées par lui. Ce droit sacré de la remontrance, il n'appartenoit autrefois qu'aux parlemens, au clergé, à la noblesse. Aujourd'hui c'est le contraire. Tout corps en est privé, il n'appartient qu'aux individus ; c'est un nouveau droit de suffrage; c'est un concours direct à la formation de la loi.

Telles sont les limites de la loi. La souveraineté de la nation, la toute-puissance de la volonté générale n'entreprendra rien contre ces libertés. Devant la barrière inviolable des droits naturels, tout pouvoir doit s'arrêter; car la tyrannie, fût-elle exercée par le plus grand nombre, n'en seroit pas moins une tyrannie. Le joug imposé par tous à un seul, moins odieux peut-être, seroit aussi injuste que les chaînes qu'un seul auroit accumulées sur tous.

VOICI maintenant les droits de la loi, et les moyens

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