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Un précis de 11 conversation lui a été fait fur le champ pour l'amener au point où on étoit au moment de fon arrivée.

Ce miniftre a trouvé exceffivement difficile d'ouvrir avec la convention nationale les préliminaires d'un accommodement, fans la reconnoître; il a demandé s'il n'y auroit pas moyen de traiter avec Yarmée.

M. Thowenot. Chez nous la force armée ne traite pas de la politique; la nation lui a confié fa défenfe, elle laiffe fes chefs maîtres des opérations militaires, fous leur refponfabilité; & les affaires étrangères à la partie militaire ne peuvent être portées qu'à la nation elle-même, qui les traite par fes délégués.

Mais, Meffieurs, permettez-moi un dilemme ou vous nous batterez, ou nous vous batterons, ou bien encore nous nous obferverons fans pouvoir nous entamer.

Si vous nous battez, il renaîtra de la première défaite autant de foldats que de citoyens français; & quelque déplorable que puille être l'état où vous réduiriez la nation française, son énergie fabiteroit toujours; elle feroit comme un reffort comprimé momentanément par une force étrangère; votre départ lui rendroit tonte fon é'aflicité, & votre voyage auroit été inutile; il n'auroit fait alors que préparer & juftifier fes vengeances.

Si nous vous battons, & nous en avons l'espoir, des hommes libres font des lions chez eux, vous perdez avec vos troupes, profque toutes rationales, & votre agriculture, & votre popula tion, & vous laiffez votre pays en proie aux mouvemens des stipendiés qui le défendent pendant votre abfence.

Si nous ne fommes battus ni l'un ni l'autre, vous ferez affoiblis par les maladies, par les détertions, par les morts naturelles, par les effets d'une multiplicité de petites affaires; vos finances feront en défordre, votre voyage infructueux, & il n'en réfulera pas moins pour vous des maux incalculables.

J'ajouterai encore une réflexion, c'est que le civifme augmente en raifon de la diftance des frontières, qu'à la hauteur où vous êtes la teinte d'aristocratic eft entiérement déiayée, & le civifme le plus pur vous prépare autant d'ennemis que d'habitans. Si par une fuite des hafards de la guerre, vous avanciez fur Paris, alors Paris cefferoit d'être Paris, & au moment de votre arrivée Paris feroit à deux cents lieues de Paris.

-M. le Duc. Mais l'on dit qu'à mesure que nous nous avançons le danger du roi augmente.

M. Thowenot. Je ne puis rien répondre de précis fur cette obfervation; mais une nation qui a été aliez grande, allez généreuse pour pardonner plus d'une fois les trahifons d'un roi qu'elle a voulu combler de biens, qu'elle n'a voulu qu'empêcher de faire le mal, qu'il faifoit fons doute contre fon cœur, mais par l'effet de fon exceffive bonté, ne fe démentira pas; & en adoptant une forme de gouvernement qui abolit la royauté, clle a prévu fûrement ce que deviendroit le monarque dont elle a prononcé la déchéance.

Notre pofition refpedive ne relemble pas mal à deux lignes parallèles qu'une force d'impulfion de laquelle vous devez vous défier, parce qu'il est évident qu'elle vous a trompé, détermine à fe rapprocher pour fe couper fous un angle que vous ne pouvez encore connoître; nous voulons que ce foit fous l'angle droit ; vous voulez peut-être que l'angle foit aigu; laiez-nous faire paible

ment, nous détruirons l'impulfion étrangère, & les lignes se places ront comme nous devons le vouloir.

Ici a fini, à proprement parler, l'intérêt de la converfation: j'ai rappelé que j'étois fans miffion, on m'en a fait également fouvenir.

Je m'attends qu'aujourd'hui ou demain un mémoire auquel on a dû travailler la nuit dernière fera remis au général Dumourier, pour l'envoyer à Paris.

Tel eft le précis de tout ce que la mémoire a pu me rappeler de cette intéreliante converfation. Je le certifie véritable.

A Sainte-Menehould, le 27 septembre 1792, l'an premier de la république.. Le lieutenant-colonel adjudant général, ТHOWÉNOT. Nouvelles des armées.

Pour faire connoître les détails des diverfes opérations de nos généraux, le moyen le plus sûr eft de publier le récit qu'ils en ont fait eux-mêmes dans leurs dépêches au miniftre de la guerre. Quelques lettres particulières inférées à la fuite, acheverort le tableau des événemens de la femaine.

Lettre du général Dumourier, datée de Sainte-Menehould, le premier octobre, l'an premier de la république. Enfin, mon cher Servan, ce que j'ai calculé, arrangé & prédit dans toutes mes letttes, eit arrivé : les Pruffiens font en pleine retraite; le brave Bournonville, qu'on a baptifé PAjax français (1), leur a pris depuis deux jours plus de 400 hommes, plus de 50 charriots, & plus de 200 chevaux. D'après tous les rapports des prifonniers & des déferteurs, cette Armée eft épuitée par la famine, la fatigue, le flux de fang; l'ennemi décampe toutes les nuits, ne fait qu'une ou deux lieues dans le jour pour couvrir les bagages & fa grofle artillerie. Je viens de renforcer Bournonville, qui a plus de 20,000 hommes, & qui ne les lâchera pas qu'il n'ait achevé de les exterminer. Dès aujourd'hui je me joins à lui de ma perfonne, pour achever cette affaire.

Je vous envoie quelques exemplaires de ma négociation; je l'ai fait imprimer, parce que le général d'une armée

(1) Gare que Dumourier n'appelle Bournonville l'Ajax français que pour être furnommé lui-même notre Achille! Et la Chonique menteufe du temps dit que fans Achille Troye n'eût pas été prife. Mais voici que le législateur Carra en fait déjà un Agamemnon, & du général Duval un Diomède. Sans doute que M. Carra fere Homère qui chantera leurs exploits.

d'hommes libres ne doit point laiffer de foupçons fur fa correípondance avec les ennemis. J'efpère que cette aventure-ci nous délivrera du fiéau de la guerre; &, comme je crois vous l'avoir mandé, j'espère, fi on a confiance en moi, prendre mon quartier d'hiver à Bruxelles. Affurez l'auguite affemblée du peuple fouverain, que je ne demanderai à me repofer que lorfque les tyrans feront entiérement hors de portée de nous faire du mal. Je vous embrasse. Le général en chef de l'armée du Nord,

Signé DUMOURIER. »

Aure du même, datée du premier octobre foir. « Je vous ai écrit un mot ce matin, mon cher Servan, vous n'en n'aurez pas beaucoup davantage ce foir. L'ennemi eft en pleine retraite; il a paffé la Tourbe, & fe retire fur Vaux-le-Mouron. On prétend qu'il a jeté fes pontons fur la paroiffe de Mouron. Nous continuons à leur taire force prifonniers.

» J'espère que nous pourrons vexer leur arrière-garde, & ramaffer les traîneurs. Tous ces malheureux prifonniers. ent le flux de fang & font exténués par la faim.

» Verdun eft rempli de plus de 5,000 mille malades; il y en a plus de 8,000 à Grand-Pré.

J'ai envoyé vifiter la camp de la Lune & de l'Hiron que tenoient les Pruffens; on y a trouvé plus de 300 chevaux morts & à moitié mangés, beaucoup d'effets abandonnés, & une quantité de bois confidérable. On a pouffé l'examen jufqu'aux foffes de leurs latrines, qu'on trouve pleines de fang; ils ont enterré beaucoup de morts; toute leur route eft jonchée de chevaux morts: & c'est cependant du milieu de ce cimetière que le duc de Brunswick envoyoit le plus infolent des manifeftes.

Je ne néglige point mes autres voisins de Clermont. J'ai envoyé ce matin le général Dillon, avec 3,000 hommes d'infanterie & de cavalerie, pour tâter du côté de Barecourt.

» Vous pouvez conclure de ces détails, que l'armée pruffienne eft ruinée; qu'elle ne peut pas hiverner dans les diftricts de Verdun & de Longwy, parce qu'ils font mangés; qu'elle ne peut pas entreprendre d'affiéger Mézière, Sedan, ni Montmédy, devant une armée victorieufe; qu'elle n'a d'autre reffource que de fe retirer triftement, ou par le Luxembourg, ce qu'elle ne voudra pas, ou en allant gagner le duché de Deux-Ponts, pour hiverner & recevoir fes renforts; mais je doute que le rei

de Praffe veuille continuer une guerre dont le début eft fi mal-adroit & fi tunette pour iu. Je crois que de fa perfonne, il cherchera à regagner Poftdam; que ceci refroidira podigieufement fon amour pour la maifon d'Autriche. »

Lettre du géneral Biron au ministre de la guerre; Strasbourg le 30 sept mbre. « Le Haut-Rhin ne me donne plus d'inquiérade. Les ennemis défilent tous vers le Bas-Rhin. Les pré a tiens font prifes pour mettre cette part ́e de notre frontière vers que l'ennemi fe porte, en état de défente.

Le général Cuftine eft parti le 25 pour fe rendre à la deftination que vous. lui avez défignée; les premières nouvelles intérefiantes que j'en recevrai, je vous les ferai pafler. Signé, BIRON.

La miflion du général Cuftine, dont il eft quefon dans la lettre ci-deíius eft d'entrer dans l'électorat de Trèves; & d'aller rafer Coblentz, réceptacle impur des émigrés.

Lettre du général Cufine au général Biron, date du camp de Spire, le 30 feptembre. Mon général, vous favez que, d'après le plan que vous aviez adopté, je devais attaquer Spire où fe trouvoient 4 mille Autrichiens & des magafins confidér bles; j'aurois bien défiré exécuter fur le champ cette attaque, mais j'ai été retardé par le mauvais temps.

La pluie avoit rendu les chemins horriblement difficiles fur-tout de mon côté ; il étoit intéreffant cependant de couper la communication des Autrichiens qui fe trouvoient devant Worms; enfin, le 29, à trois heures après-midi, je fuis arrivé à Spire.

J'ai trouvé les Autrichiens rangés en bataille; leur droite étoit du côté de Worms; à leur gauche étoit un ravin & une hauteur. Dans cette pofition, je n'ai pas balancé à les attaquer.

J'ai dirigé tout le feu de inon artillerie fur leur ligne, et j'ai fait attaquer leur droite par quatre bataillons. Ils fe font bien vite décidés à rentrer dans la ville & à fermer fur eux les portes.

Je prends la réfolution de faire attaquer les portes, une première réfifte quelque temps, mais bientôt cède à nos forts. Une feconde eft enfoncée, & j'avance dans la ville. Les troupes s'engagent dans les rues, & font, au premier moment, un peu étonnées du feu terrible qu'on dirige contre elles; mais rien ne rélifte à leur courage.

Cependant

Cependant Houchard, de fon côté, pouffoit vigoureu fement les Autrichiens; il leur fait 4co prifonniers. Enfin, je chaile hors de la ville les Autrichiens; je me décide à les pourfuivre dans leur retraite, & les ayant acculés au Rhin, ils ont mis bas les armes.

Il y a eu, dans cette affaire, pls de trois mille prison, niers : : canons, étendards, aubufiers, tout eft devenu notre proie. Les ennemis ont perdu beaucoup de monde. J'ai trouvé dans Spire des magafins immenfes; je ne puis vous en donner le détail, car je fuis abimé de laffitude. Depuis vingt-deux heures je fuis fous les armes.

Je ne puis cependant fair cette dépêche fans rendre hom mage à fa patience, au courage, à la bonne difcipline des foldats. Quel bonheur pour moi de combattre, de vaincre pour la liberté, & d'avoir fu diriger & calmer la fureur du foldat de telle manière, que quoique la ville ait été prise, après une défense très-vive & malgré les fufillades qui ont eu lieu dans les rues, il ne s'eft pas commis un feul acte de violence!

Je me réjouis doublement quand je pense que cette jour née me met à même de me joindre à vous pour défendre le Bas-Rhin.

Lettre du général Wimpfen au général Kellermann, du 29 Septembre 1792. Thionville. «Vous pouvez affurer les généraux d'armée que le fiége de Thionville eft comme leré; que depuis mes deux dernières forties l'ennemi et plus fur la défen five que fur l'offenfive. Il fait par-tout des retranchemens dans la crainte que je ne l'attaque; il a retiré fes canons & fes mortiers de les deux batteries de la hauteur de la Grange: mes volontaires n'y ont plus trouvé que quelques munitions & des outils qu'ils ont apportés à l'Artenal.

»Je fu's aujourd'hui plus tranquille qu'on ne l'eft à Paris. Les coups de canon que vous entendez de temps à autre, ne font que pour éloigner les curieux ou les patrouilles un peu fortes, ou bien pour foutenir de petits enlèvemens de bois ou de fourrages que je fais de temps à autre à Beauregard. Cet après-midi, par exemple, j'ai eu un homme tué & trois blefés, parce qu'ils s'étoient imprudemment éloignés de leur pofte, où ils avoient été placés pour foutenir un transport de bois.

Signé, le général WIMPFEN.

Extrait de la lettre du général Montefquiou au mi ifre de la guerre. Chambéry, le 28 septembre, l'an 4 de la liberté, premier de l'égalité. « Dans le tumulte des premiers No. 169. Tome 14.

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