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comme néceffaire; notre condition devenant plus élevée;
nos obligations font auffi plus grandes & plus rigoureufes.
Nous obtenons le bonheur, fi nous fommes fages; nous
ne parviendrons à le goûter qu'à force d'épreuves & d'ad-
verfité, fi nous ne favons le mériter. Il n'eft plus poffible
de le fixer parmi nous, je le rèpète, que par l'héroïsme
du courage,
de la justice & de la bonté; c'est à ce
prix que le met la république..

Le miniftre de l'intérieur, ROLAND.

Obfervations. Le miniftre Roland eft l'un des hommes publics qui a le mieux fenti le prix de l'inftruction: il a inis le zèle le plus ardent à la faire circuler par tous les canaux dans les différentes claffes des citoyens, tantôt en s'adreffant aux adminiftrateurs, tantôt en parlant aux adminiftrés. Cette pièce que nous inférons, l'une des dernières qu'il ait publiées, n'eft pas la moins importante par fon objet. Ce miniftre a cru devoir prendre un ton plus élevé, mais il n'a peut-être pas affez caché la prétention de bien dire. Sa comparaifon du chaos à la France, & de la création du monde au règne de l'égalité, fans être bien neuve, n'en fera pas faifie, pour cela, par plus de perfonnes.

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Mais nous hafarderons un reproche plus grave fur fa fuite. Immédiétement après avoir dit qu'il faut du caractère, le citoyen Roland prêche l'efprit de tolérance: il faut, dit-il, qu'il devienne l'efprit national par excellence.

Citoyen Roland, si c'est bien là votre avis, fi ce que vous dites n'eft pas feulement de circonftance, il faut vous avertir d'une chofe; c'eft que vous connoiffez mal le cœur humain, & fur-tout l'efprit public d'une grande nation, qui prend enfin le parti fage de tout voir, tout entendre, tout faire par elle-même.

Obfervez donc que prêcher la tolérance à cette heure-ci, c'eft inviter déjà au relâchement, à la déforganisation. Obfervez donc que nous ne devons le prolongement des malheurs publics qu'à la tolérance du peuple & de l'af, femblée légiflative. Si cet efprit de tolérance n'avoit point. ceffé un moment au 10 août, le vœu de Bouillé feroit sempli; il ne refteroit plus à Paris pierre fur pierre. C'est à l'efprit de tolérance, trop bien foutenu jufqu'à cette époque, que nous devons la préfence de l'ennemi à Châlons & à Rheims. Obfervez donc que la tolérance mène droit au modérantifine. Vous nous propofez dans votre adreffe de recommander les mœurs & les vertus qu'exige le nouveau gouvernement que nous nous donnons, & Vous nous prêchez précisément la vertu des peuples efclaves & de ceux qui les gouvernent. L'efprit de tolé

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Tance doit être en effet l'ame des monarchies; mais dans une république, le magifttat ne doit rien paffer au peuple, ni le peuple à fes magiftrats. Une jufte eftime, une noble fierté & la bonté font bien, comme vous le dites, les caractères diftin&tifs de l'homme libre; mais ajoutez-y la furveillance inexorable, la sévérité, l'iflexibilité; point d'indulgence, point de tolérance. Toutes les loix doivent être de rigueur, parce qu'elles doivent être toutes bonnes, & qu'on ne doit en fuppofer aucune de mauvaise.

Miniftre Roland, rétractez-vous, s'il en eft temps encore; & en termes moins pompeux, plus fimples, plus naturels, au lieu de nous parler de l'autorité aimable de la loi, au lieu de nous dire qué nous étions accoutumés à admirer la vertu comme belle, qu'il faut que nous la pratiquions comme néceffaire.... dites-nous avec toute l'énergie dont vous êtes fufceptible: Français, le règne de l'égalité commence ; c'eft le moment de nous furveiller les uns les autres, de vivre enfemble comme des amis qui s'eftiment trop pour fe paffer quelque chofe. Point de tolérance; à la première prévarication de tes adminiftrateurs, peuple, dis-leur: vous avez prévariqué; defcendez de vos fiéges, & juftifiez-vous. Que les magiftrats difent à leur tour au peuple: tu t'égares, tu donnes dans un piége; on te poule à des excès: livre-nous toi-même le coupable qui te compremet, & que les faifceaux ou la hache du liceur en faffe auffi-tôt juftice. L'efprit de tolérance mène à l'impunité.

Nous le répétons, qu'on fe garde de prêcher l'efprit de tolérance à un peuple qui renouvelle fa maffe, & qui paffe à un régime âpre, mais en cela d'autant plus durable & plus digne de confiance. Ne nous faifons point de grace, obfervons-nous, & ne laiffons aux loix que l'application du châtiment au dé it. Qu'une cenfure févère s'exerce indiftinctement, & fervé à épurer la maffe de la fociété républicaine dont les bonnes mœurs font l'ame.

Bruits de dictature & de triumvirat.

Dans fa première féance, l'affemblée conventianale fit un pas de géant; cinq jours après elle n'étoit plus à la même hauteur. Faut-il donc le lui dire ? elle a plus befoin encore d'être inveftie d'une grande confidération que d'une force impofante. Il n'eft pas néceffaire qu'à l'exem ple du long parlement d'Angleterre, elle ait une armée à fa dévotion. Ce ne font point quelques foldats tirés de chaque département qui la rendront refpectable aux yeux de la république. La fageffe de fes déterminations & la maturité de fes projets de loix peuvent feules lui conferver notre confiance. Malheur à elle fi dans le fort

de l'orage, elle s'occupe de querelles oifeufes, de débats perfonnels ! malheur à nous fi nous le fouffrons! La féance du 25 septembre débuta par rendre hom mage au principe qui déclare incompatibles les fonctions de législateur avec toute autre. Ce décret ne fut point rendu tout à fait fur l'avis de l'ex-miniftre de la justice. L'infatigable Danton, tout en paroiffant ne faire aucun retour fur lui-même, avoit foutenu la cumulation de plufieurs refponfabilités fur la même tête.

La république eft décrétée d'hier, & l'on nous parle de dictatule, de protectorat! Quand Brennus ou Annibal étoit aux portes de la capitale du monde, le fénat au capitole, confuma-t-il des journées entières à entendre fes membres s'accufer réciproquement d'aspirer au triumvirat?

Députés à la convention, s'il eft parmi vous des ambitieux, des Marius ou des Sylla, des Catilina ou des Jules-Céfar, ne perdez pas le temps à les accufer vaguement. Ne dites pas comme M. Merlin: le premier qui m'avouera défirer la dictature, je le poignarde. Ce mouvement eft beau, mais ce n'eft pas ce dont il s'agit. Dites plutôt avec l'envoyé des Bouches du Rhônes: jugeons le ci-devant roi; ramenons la municipalité de Paris à fes fonctions; n'abandonnons pas cette ville, dûtelle être bloquée, & plaçons nos fuppléans dans un autre lieu de la république, afin qu'après nous ils puiffent continuer nos fonctions.

Il falloit en refter là, & paffer fur le champ à l'ordre du jour. Eh! que de chofes graves étoient à l'ordre du jour! au Midi, un général plus que fufpect, que des fuccès femblent juftifier; plus près de nous des campemens mal organifés, mal fournis, des foldats pleins de courage & manquant d'habits; des canons plus que d'hommes pour les fervir, & de chevaux pour les trainer; Luckner à interroger; Dumourier à furveiller; des troupes volontaires infubordonnées à qui il faut faire aimer la difcipline; des foldats de ligne qu'il ne faut pas perdre de vue; la terre de la liberté qui demande à être délivrée cet hiver des hordes d'efclaves qui la fouillent & l'épuifent; un peuple bon, mais facile, & qui fe perdroit fi on ne le fauvoit de lui-même!

Tous ces objets de premier befoin méritoient fans doute la préférence fur le plaidoyer de Panis en faveur de la commune de Paris, & fur çelui de Danton en faveur de Marat; on lui eût épargné cette affertion étrange: nul Français n'aime mieux fon pays que Marat; car ne pouvoit-on pes fe difpenfer d'entendre jufqu'au bout la juftification de Robefpierre, & devoit-il choifir ce mo

ment pour parler pendant près de deux grandes heures de lui, rien que de lui, tout de lui?

Législateurs! toutes vos féances devroient être telles, que le procès-verbal de chaque jour pût mériter d'être envoyé aux 83 départemens; comme vous fites pour la journée du 21 feptembre, époque de l'abolition de la royauté. Pourriez-vous envoyer celui de la féance du 25 ? Que nous importent, diroit le peuple, les longues apologies de Robespierre, Danton, Marat & quelques autres ? Si ces meffieurs ont bien mérité, quand la révolution & la guerre feront terminées, nous diftribuerons les couronnes civiques & militaires. Le peuple a bonne mémoire, & c'eft une prévention défavorable que d'être obligé de rappeler au public les titres qu'on a à fa confiance.

Mais pour le moment, foyons tout à nos devoirs. On nous fit craindre long-temps le protectorat de Cromwel dans la politique de la Fayette, auquel Marat s'acharna justement pendant trois années. Eh bien ! la Fayette nous délivra de fa perfonne à l'inftant où nous nous difpofions à lui donner ion falaire. Il en feroit de même de ceux qui afpireroient à la dictature de Jules-Céfar. Le peuple ne les craint pas; il faura s'en faire juftice. Dans Rome prête à fubir le joug des empereurs, il ne fe trouva qu'un Brutus. Nous le ferons tous, à préfent que nous avons brifé le fceptre des rois. Laiflez-nous ce foin-là : le vôtre, législateurs, eft de nous préparer des loix, & de nous donner l'exemple des mœurs républicaines. N'imitez point des grands hommes d'autrefois, la prolixité de leurs difcours & la grofliéreté de leurs reproches. Croyez-vous donc que le fil des deftinées de toute une. nation foit attaché à l'existence de trois ou quatte individus, dont le patriotifme peut être ne confifte qu'à remplir la France de leurs noms? La liberté eft l'ouvrage de tous, ainfi que la conftitution qui va lui fervir de base, & qui ne doit offrir que les résultats de l'efprit public.

Peut-on de fang-froid entendre à la tribune juftifier l'intempérance de la plume & de la langue de Marat, par la vie fouterraine qu'il a menée ? L'opinant n'ignoroit pourtant point que Marat fit les numéros de fon Ami du Peuple dans une chambre que Legendre lui céda au fecond étage de fa maison. Que tous ces miférables détails font loin des grandes mesures que nous attendons de l'affemblée conventionelle! Qui ne haufferoit les épaules à la vue de Marat dans la tribune, tirant de fa poche un piftolet, comme autrefois nos capucins en chaire tiroient un petit bon Dieu de leur manche, & dire, en fe démenant comme un polichinello d'Italie

« Je ne crains rien fous le ciel ». (Lui, Marat, qui fe vante de s'être caché dans un trou de cave, pour se fouftraire aux pourfuites de Lafayette!) « Je ne crains » rien fous le ciel; mais fi un décret eft lancé contre » moi par l'affemblée, je me brûle la cervelle devant » vous. Puis, rengainant fon inftrument de mort, qui vraisemblablement ne receloit que de la poudre « Mais » non, je resterai au milieu de vous pour braver vos >> fureurs ».

Marat, nous vous le répétons pour la troifième fois; il y a de l'emploi pour vous, Marat, dans la convention ce n'eft pas dans le fens de ce citoyen qui a dit que vous feriez moins de mal dedans que dehors. Vous êtes trop bien connu maintenant pour en faire, & vos derniers placards ont achevé de vous deffiner de manière à ne plus s'y méprendre. Dans quelques-uns de vos pamphlets, vous avez montré la verve du patrio tifme; vous avez été utile à la révolution; vous pouvez encore l'être; mais n'abusez pas de l'afcendant éphémère que vous avez fur, une portion du public; défiez vous davantage d'une réputation équivoque, ufurpée peut-être dans un temps de trouble, dans un moment d'ivresse & qui commence à vous échapper. Croyez-nous, Marat, laiffez mûrir votre tête, & fur-tout foutenez avec plus de dignité le caractère dont vous êtes revêtu; craignez de perdre au grand jour l'efpèce de fuccès que vous ne devez peut-être qu'à l'obfcurité de la cave où vous vous êtes tenu caché pendant plufieurs mois. Marat, le charlatanifme n'eft plus de faifon; quittez vos gobelets.

Mais l'affemblée paffa tout fimplement à l'ordre du jour, espérant bien que les bons citoyens feroient les premiers à gémir fur le fcandale de cette féance. Il ne faudroit pas que ces fcènes dégoûtantes fe répétaflent fouvent; car, comme le difoit fort fenfément un député Les départemens favent ce qui se passe ici. Quelle confiance auront-ils dans nos travaux?

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La convention nous trouve dans une grande attente il faut qu'elle y réponde: elle n'a point de modèle à chercher avant elle, ni autour d'elle; il faut qu'elle donne tout à la fois le précepte & l'exemple : qu'elle y pente! Ce n'est que par un torrent de lumières fortes & de vertus mâles qu'elle pourra entraîner la maffe des efprits, travaillée encore en ce moment par un ancien levain plus difficile à détruire qu'on ne penfe. Pour obtenir affentiment général à des décrets qui renversent tant de vieilles idées reçues, elle a befoin d'en impofer par un grand caractère de fageffe & d'énergie. Les rois, impuiflans par eux-mêmes, s'environnent d'un apps

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