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P. Manuel, qui n'aime pas les rois, n'eft-il pas encore monté à la tribune pour hâter le jugement de celui-ci ? Il n'y a pas grand honneur ni profit pour la république de lâcher quelques bordées philofophiques contre un prince ftupide & renfermé, parlant a fa perfonne. Il y a plus de gloire, & c'eft un fervice à rendre à la république, que de provoquer la fentence de mort de Louis XVI, & de hâter le moment de donner à tous les potentats de l'Europe une leçon dont ils fe fouviendront long-temps. Il n'eft rien tel que le fang d'un roi coupable pour cimenter la liberté chez un grand peuple.

Caton l'ancien terminoit toutes fes harangues au fénat par ce refrein: Delenda eft Carthago. Il faut détruire Carthage. A l'exemple de ce grand homme, P. Manuel devroit chaque jour affiéger la tribune de la convention, quand ce ne feroit que pour y répéter chaque jour : Citoyens! fouvenez-vous que Louis XVI n'eft pas encore jugé.

P. S. Le journal de Gorfas de famedi 13 rapporte au long la converfation de Louis-Dernier avec P. Manuel; cette verfion diffère beaucoup de celles de plufieurs autres journaux, que n'a point démenties l'ex-procureur de la commune; c'eft ce qui nous a déterminés à laiffer l'article ci-deffus, d'antant que Gorfas ne certifie la vérité de la verfion qu'il infère qu'à quelques formes près.

Nouvelles des armées.

Actuellement que le grand danger eft paffé, que l'ennemi rétrograde, le Français n'attache plus la même importance aux nouvelles militaires. Prenez garde cependant, citoyens; c'eft actuellement que l'intrigue peut jouer, c'eft actuellement qu'on peut facilement vous trahir fi vous ne furveillez pas tous les fonctionnaires publics. La préfence de l'ennemi, la crainte de votre jufte fureur comprimoit toutes les paffions. Elles vont maintenant reprendre leur reffort; l'ambition, la jaloufie, la cupidité, la brigue fe réveilleront, & vous mettront encore à deux doigts de votre perte. Veillez, veillez, veillez.

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Pour mettre quelque ordre dans les nouvelles de nos armées, nous commencerons par les nouvelles de Lille. Quoique guerre offenfive fafle fouvent une heureufe diverfion, & que Rome ne fe foit délivrée d'An. bat qu'en portant la guerre à Carthage même, néanmoins ce qui nous touhe le plus eft la défenfe de nos foyers, des villes qu'habitent nos frères.

Nous parlerons enfuite de notre armée en Allemagne, de celles en Savoie, enfin de celles de l'intérieur.

Armée du Nord. Les brigands d'Autriche, qui quand ils

ne peuvent piller font du mal pour le plaifir d'en faire, ont commencé le siége de Lille comme on finit ordinairement tous les fiéges, c'eft-à-dire par des boulets rouges & par un bombardement. Six cents maifons ont difparu, deux mille ont été endominagées. Mais comme ce ne font pas les maifons qui forment les villes, mais les hommes qui les habitent, la ville eft reftée entière, parce que peu de monde y a péri, & que les Lillois toujours fermes ont vu d'un œil indifférent s'écrouler autour d'eux les ruines de leurs édifices. Plus l'ennemi fe montroit acharné & féroce, plus leur conftance & leur ardeur fe ranimoit. Enfin ils ont prouvé que pour vaincre, il fuffit de le vouloir. Leurs batteries ont démonté la plupart de celles de l'ennemi; un feu foutenu a fait le plus grand carnage dans le camp Autrie chien; on y marchoit dans le fang. En vain la barbare Chris tine, gouvernante des Pays-Bas, a voulu pour encourager les foldats tirer elle-même une bombe; les troupes découragées & vaincues ont été obligées de lever le fiége. C'eft a nous maintenant à dédommager de leurs pertes ces braves Lil lois, dont la conduite eft au-delius de tout éloge; qui jouoient pour ainfi dire avec les boulets rouges & avec les bombes ennemies, qui apprenoient à leurs femmes & à leurs enfans à arracher les mèches, & qui au milieu du dénûment le plus abfolu ont montré un tel défintéresse, ment, que les commiffaires n'ont pu diftribuer que 850 l. Les plus pauvres fe fefoient une gloire de refufer toute efpèce de fecours, & difoient: nous avons encore de quoi vivre tant de jours, & après cela nous nous adrefferons à

vous.

Nous nous étions déjà plaints que Lille avoit été expofée aux horreurs d'un fiége par la faute de nos généraux qui avoient levé le camp de Maulde. I paroît que ce font encore nos généraux qui ont prolongé les angoifles de cette malheureuse ville. Le général Duhoux, accufé d'avoir pris des moyens pour empêcher le géneral Labourdonnaye d'entrer à Lille, répond que Labourdonnaye ne paroît pas y avoir jamais fongé. Labourdonnaye eft resté en effet tranquillement à Douai, à fept lieues de Lille. Il pouvoit entendre le bruit du bombardement; il étoit requis, commandé. Labourdonnaye ne s'eft pas préfenté à Lille. Ceux qui connoiffent Labourdonnaye favent qu'il n'eft rien moins que patriote. Français, Labourdonnaye vous a sûrement trahis; il n'eft pas le feul. Les traîtres feuls ont caufé la ruine de Lille. Ne vous fiez pas aux paroles. Labourdonnaye vous a dit qu'il vouloit enlever jufqu'à la femelle des fouliers des Autrichiens; fongez que celui qui promet le plus eft toujours celui qui fait le moins.

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Armées d'Allemagne. La prife de Spire a été bientôt fuivie de celle de Worms. De riches captures y ont été faites ainfi qu'à Spire, & nous dédommageront des frais de cette expédition partielle. Un grand nombre de prifonniers ont été envoyés à Landau. Mais pourquoi Cuftine a-t-il renvoyé chez eux les officiers, & fur leurs fimples paroles? Eft-ce que le foldat ne méritoit pas auffi bien cette grace? Eft-ce que fa parole ne vaut pas mieux que celle d'un noble? Nous ne voyons dans cette mefure qu'une grande aristocratie et qu'une prédilection pour les gentillâtres. En vain Cuftine veut la couvrir du prétexte du bien public; il a voulu que les officiers ne puffent gâter les foldats: mais qui l'empêchoit de les en féparer? On favoit bien que les foldats étoient prévenus contre les Français, puifque en arrivant à Landau ils s'imaginoient qu'on alloit les empoisonner ou les pendre; mais il eût été bon que les foldats euffent pu, à l'afpect des bons traitemens des Français, reprocher en face à leurs officiers leur fcélérateffe & leur menfonge: non, Cuftine a voulu se conserver des amis parmi la nobleffe autrichienne, comme Dumourier avoit voulu avoir un protecteur dans la perfonne du roi de Pruffe. Quelle lâcheté dans un républicain d'aimer les nobles, & de croire à leur parole! Custine, Cuftine, tu as la tache originelle !

Pendant que nos généraux nous défendent mal ou nous dèshonorent, des malveillans sèment le trouble dans nos armées, & y répandent le défordre & l'indifcipline. Les Français imiter les Autrichiens! des républicains agir comme des efclaves! piller, voler! faire la guerre en brigands, nous qui avons juré de n'attaquer que les tyrans! quel opprobre! Cuftine a bien fait fans doute de laver notre honte dans le fang des coupables. Toute l'armée crioit vengeance, parce que l'armée compofée d'hommes libres, vouloit fe purger de cès êtres vils. Remarquez qu'un capitaine & deux fous-officiers excitoient au pillage.

Tout en rendant juftice à Cuftine, fi les chofes fe font paffées comme il le dit, ne négligeons jamais de demander les pièces juftificatives de juger ces juges martiaux, craignons encore & l'imposture & la trahifon : les habitans de Nancy, les braves Châteauvieux n'avoient-ils pas été préfentés comme des rebelles?

Nous ajouterons une feule queftion en finiffant: Pourquoi Cuftiae, à peine arrivé à Spire, a-t-il parlé de l'évacuer? Les Français ne peuvent-ils pas s'y défendre ? N'eftil pas effentiel d'avoir des villes pour protéger les derrières, fi on veut avancer en pays ennemi ? Voudroit-on faire inveftir notre petite armée, où nous réduire à faire

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