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Les prisonniers détenus dans les prisons de la haute cour nationale d'Orléans, Sont massacrés entraversant la ville de Versailles.

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plus encore; il a dans fes mains des otages précieux qui auroient pu contenir & réprimer les projets de vengeance manifeftés contre lui de tous côtés; il n'en tient aucun compte; & dans l'efpace de deux journées, il met à mort des milliers de coupables que la loi trop lente eût laiffés vivre long-temps encore. Et ce n'eft pas feulement à Paris que la hache du peuple fait l'office da glaive de la loi; jufque dans les plus petites villes, au fein des campagnes, les mauvais prêtres & les mauvais citoyens tombent fous la main fans pitié, mais juste de la multitude. Autrefois la punition éclatante d'un miniftre étoit un phénomène : Deleffart, Bertrand & Briffac reçoivent leur falaire dimanche 9 de ce mois, à leur translation d'Orléans à Versailles, accompagnés de cinquante autres individus, qui, depuis plufieurs mois, infultoient du fond de leur prifon la trop longue patience du peuple. Le registre des écrous étoit pour eux/ un brevet d'impunité. A l'abri dans nos maifons de force, ils y confacroient leurs loisirs à la fabrique de faux affignats, à des plans de contre-révolution, ou à des amufemens fcandaleux: c'étoit une armée que nous entretenions nous-mêmes à grands frais au milieu de nous, & qui n'attendoit que le fignal des troupes étrangères pour conjurer intérieurement contre la patrie occupée à repouffer les attaques du dehors. Peuple de Paris & de Verfailles! tu les as immolés au repos public; cette mefure de sûreté générale fe refufe au raifonnement. Mais l'humanité elle-même n'a pu fe refufer d'y applaudir tout bas & en détournant la vue. Le fang a coulé encore, mais en bien moindre quantité, à Meaux, à Sens, à Caen, & dans plufieurs autres endroits. Tous ces actes de violence fembleroient préfager une prochaine diffolution fociale. Un peuple qui fe met à la place des juges qu'il a nommés & des loix qu'il s'eft faites, ne doit pas refpecter beaucoup celle de la propriété ; & pourtant ces jours de meurtres n'ont été marqués par aucun attentat contre les fortunes particulières. Le commerce a joui de toutes fes franchifes; le tien & le mien. continuent d'être facrés; ces fanglantes exécutions n'ont point du tout nui à l'ordre public, pas plus que quand aguillotine acquitte les jugemens des tribunaux criminels. Eh! qu'importe par qui justice foit faite, pourvu qu'elle fe faffe?

Peuple français ! refte à certe hauteur; pour peu que tu en defcendes, tu es perdu. Cette maturité de conduite te fauveroit de l'univers entier coalité contre toi. Tu es dans une attitude refpectable & impotante. Garde toi d'en changer; d'une main travaille, & fois prêt à combattre de l'autre, tu feras invincible. Il y a peu d'expérience & de difcipline dans tes armées; mais qu'il y ait beaucoup de patriotifme, & tu feras encore invin cible. Tes ennemis font nombreux; leurs généraux valent mieux peut-être que les nôtres ; l'appât du butin les allèche la France est pour eux une terre promife; mais tous ces foldats fe battent au compte de cinq ou fix maîtres: il n'en reviendra à tous ces efclaves gagés ni honneur, ni profit: ce font des meutes qui ne foupirent qu'après un moment de curée.

Citoyens, pourtant, malgré tous les avantages que vous avez fur ces gens-là, ne croyez pas les repuffer ou les vaincre en chantant l'air ça ira, ou en leur lifant les droits de l'homme. Songez que ce font des automates, des murailles de fer ambulantes, qui avanceront toujours tant qu'ils ne rencontreront pas des bataillons terrés de frères d'armes tranfportés du fanatifme de la liberté.

La guerre dans laquelle nous fommes engagés eft une guere fainte; préparons nous y comme à un acte religieux, Il faut en avertir les phalanges innombrables qui s'avancent de tous les points de l'empire à la rencontre de l'ennemi. Ne nous y précipitons pás comme à une fête. Il est beau fans doute d'aller combattre pour la patrie avec joie & affurance; nous ne devons pas préfumer, pouvoir être vaincus. Mais il ne faudroit pas que cette joie dégénérât en partie de plaifir. Nous n'allons point au fpectacle en prenant le chemin de la frontière. Quand les 300 Spartiates marchèrent aux thermopiles, leur maintien étoit grave; ils ne fe livièrent point à une gaité brillante; l'efpoir de vaincre & le mépris de la mort étoient fur leur front comme dans leur cœur ; ils n'injurioient pas leur ennemi de loin. De groffières invectives. ne fortoient point de leur bouche. Leurs habits de combat & leurs armes ne leur fervoient point de parure. Pénétrés de toute l'importance de leur expédition, ils fortirent de Lacédémone en filence, ferrant la main de leurs conci toyens. Ils ne s'arrêtèrent point dans tous les bourgs qu'ils rencontroient fur leur route, pour s'y enivrer en

l'honneur de la nation. Ils allèrent droit au pofte qui leur étoit confié. Les 300 mille Perfans, au contraire, vaincus déjà par les moeurs de leurs camps, prodiguoient leurs vivres, brilloient par leur uniforme, & fembloient ne porter un glaive à leur côté que pour en étaler la dorure & les ornemens.

Ce n'eft pas tout que de fauter fur fon fufil, & de quitter le toit paternel, au premier fignal du danger de la patrie. Il y a déjà fans doute de l'héroïfme à s'arracher du fein de fa famille, des bras d'un père ou d'une époufe, pour paffer dans un camp. Mais à peine forti de fes foyers, il y a peut-être plus d'héroïfine encore à prendre aufli-tôt les mœurs févères d'une armée d'hommes libres, à foutenir les privations & les fatigues de ce nouveau genre de vie; un héroïfme plus parfait encore feroit de ne point fe laiffer abattre au premier re vers, & de ne quitter l'efpoir de fauver la patrie qu'en quittant le dernier la vie.

Ce que nous difons ici n'eft pas fans deffein: il nous eft revenu que déjà des fignes de découragement se manifeftent dans quelques-uns de nos corps d'armée. Le zèle patriotique de plufieurs citoyens foldats ne va point croiffant à mesure qu'ils s'approchent de l'ennemi. Quelques-uns, dit-on, tournent déjà leurs regards derrière eux, & femblent regretter les douceurs de la vie domestique. L'ardeur de quelques autres fe rallentit, en penfant au caractère de nos généraux. Que pourrons-nous, difentils, fi nos chefs nous trahiffent, ou ne favent pas com→ mander?

Citoyens cette guerre ne reffemble pas aux précé dentes. Dans les armées de vos ennemis, toute l'ame des foldats eft dans leur chef. Tous ces Pruffiens, tous ces Autrichiens n'ont que des bras & un moufquet. Vous avez plus qu'eux le cœur & la tête. On ne vous envoie pas pour combattre, vous y, allez, & c'eft avec connoiffance de caufe que vous y allez; vous favez pourquoi; vous êtes là pour votre propre affaire: ainfi done comptez fur vous autant que fur votre général, & qu'il ne foit pas dit que tout le peuple français abandonna aux mains de trois ou quatre individus le falut de la patrie. Il ne faut pas que l'ennemi fe flatte de la défaite de toute une nation en armes, pourvu qu'il puiffe. gagner les trois ou quatre chefs. C'est ici le moment de

ne prendre confeil que de vous; c'eft ici le moment de ces réfolutions courageufes & fubites, qui tiennent lieu de tactique, en mettant en défaut celle de l'ennemi, & en fe pafant du général, plutôt que d'en avoir un inhabile ou fufpect. Le bon esprit du folda: patriote pareroit aux bévues ou aux fottiles des généraux, & fon intrépidité triompheroit de leur trahifon.

Mais de pareilles confidérations ne doivent pas arrêter

un moment ou rallentir la marche combinée de nos la taillons vers l'ennemi. Malgré l'ineptie ou la mauvaise foi de fes chefs, un peuple tout entier fous les armes, pour une auffi belle caufe que la nôtre, n'a rien à craindre; i eft invincible. Lafayette, plus adroit, auroit pu nous caufer de grands maux; mais jamais il ne feroit venu à bout de nous livrer pieds & mains liés aux rois de l'Europe infurgés contre nous : on ne dispose pas ainfi de toute une nation éclairée & bien unie.

Français, ne nous laifons pas aller aux regrets ou au découragement en réfléchiffant trop fur les trahitons qui ont ouvert cette campagne; on nous en prépare fans doute encore d'autres : tout cela n'eft vien. Plufieurs villes prifes,' tout un département même envahi ne fauroient perdre la patrie. Portons-nous aux frontières, mais portons-y un même efprit, & que l'intérieur de notre beau pays correfponde avec les opérations faites à la circonférence, & la patrie eft fauvée.

Chers compatriotes de tous les départemens, auriezvous donc besoin de toutes ces adreffes que le corps légiflatif & celui des miniftres vous dépêchent chaque femaine? auriez-vous donc besoin de l'éloquence de tous ces commiffaires qui vous font euvoyés pour propager au milieu de vous ce civilme électrique dont la commotion auroit dû fe faire fentir à tous les points de l'empire à la fois Fallut-il des adreffss & des commiffaires pour nous faire entreprendre le fiége de la Baftille & du châ teau des Tuileries ?

Nous ne vous ferons point l'injure de croire que vous avez befoin d'être excités, entretenus, foutenus dans votre patriotifme; mais peut-être demande-t-il à être réglé & conduit. Ce mouvement fubit & fimultané vers la frontière fouillée par la préfence de l'ennemi, eft beau & naturel. Ce tribunal du peuple, promené de ville en ville, étoit néceffaire pour imprimer la terreur aux contre

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