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li en eft pourtant en très-petit nombre qui, fans ofer entreprendre la juftification directe de la conduite infâme du roi, ne craignent pas cependant, par une fuite de leur haine pour l'égalité, de demander avec une forte de confiance: mais le peuple qu'alloit il faire au château des Tuileries le 10 août? Le 20 juin il avoit du moins un prétexte; s'il marcha tout armé, c'étoit pour appuyer une pétition, c'étoit pour inviter le roi à retirer deux vato qui lioient les mains du corps législatif. Mais le 1 août étoit-ce à Louis XVI qu'il falloit s'adreffer pour obtenir la déchéance de Louis XVI? que ne s'en prenoit-il à fes députés? que n'alloit-il droit au manége? qu'avoit-il befoin au château ? étoit-ce pour chercher noise à fon roi ou aux ferviteurs de fon roi ?

Nous fommes fâchés que M. Condorcet, dans fon adresse relative au 10 août, dont l'affemblée nationale ordonna l'im-. preffion & l'envoi aux 83 départemens, ait été fi bref fur ce point, & femble vouloir éluder une queftion auffi fa-. cile à réfoudre.

Ce que le peuple alla faire au château des Tuileries? Mais d'abord, quand le peuple fe lève tout entier, il n'a point de compte à rendre; tout ce qu'il fait alors il a raison de le faire. Cette réponse ne fatisfera peut-être point ceux qui font mal perfuadés de la fouveraineté nationale; tenons-leur donc un langage qu'ils puiffent entendre; répondons leur par des faits.

Qu'alla faire le peuple au château le 10 acût? Il alla défarmer & difperfer des ennemis qui depuis fix femaines fe fortifioient dans le palais des Tuileries comme dans une citadelle, & menaçoient Paris d'une réduction ou d'une guerre civile; i! fe préfenta au château pour dire à huit ou dix mille courtisans qu'il favoit réunis auprès de leur maître fous l'habit national: miférables! ne croyez pas nous en impofer fous ce déguisement; vous n'êtes point des citoyens enrôlés pour la défenfe de la patrie & de fes faintes loix; vous n'êtes que les ficaires d'un defpote; rendez-nous vos fufil-brifés, vos eípingoles, mettez bas vos habits & fortez, vous en ferez quittes encore cette fois pour le même traitement que nous vous fîmes fubir à la foirée des poignards: mais n'y revenez pas.

Le peuple fe porta au château pour dire aux Suiffes: camarades que faites-vous ici? votre place eft aux frontières, en vertu d'un décret: fortez de ce château & de la ville, & allez combattre pour la nation, à laquelle

vous avez juré d'être fidèles; pour l'appât de quelques écus neufs de 6 liv. ne manquez pas à la difcipline dont vous étiez fi jaloux; nés libres, foutenez de tout votre courage la caufe d'un peuple libre, & non celle d'un defpote ou d'une femme pire encore."

Le peuple fe porta au château des Tuileries pour dire à l'état-major de la gatde parifienne: bas flatteurs! pourquoi abandonnez-vous le commandement de vos bataillons refpectifs Vous négligez le fervice de la patrie pour 'faire votre cour à un roi, confondus avec fa domesticité! Quittez ces épaulettes & ces hauffe-cols; vous êtes indignes de marcher devant les foldats de la liberté & les amis de l'égalité, retirez-vous, fortez d'ici. Et vous grenadiers des Filles-Saint-Thomas, des Petits-Pères & de Henri IV, pourquoi cette animofité à a vue des fédérés qui ne viennent ici que pour donner force à la loi? Pourquoi ees canons qui fe croifent, pointés fur la porte de la cour des Princes à l'arrivée des fédérés & des piques? Sortez d'ici pour n'y rentrer qu'à la voix de vos magiftrats.

Le peuple alla au château des Tuileries pour dire au roi: Louis! tu es un mauvais citoyen; toi, ta femme & ta liste civile, tu corromps nos députés, nos administrateurs, nos juges & nos frères d'armes'; tu es le ver rongeur de la révolution; tu fais infulter nos magiftrats les plus chers & les plus refpectables jufque dans ton palais & fous tes yeux; non-feulement tu déshonores la nation, mais encore jour & nuit tu es occupé à combiner fa ruiue. On nous a dit que déjà trois bourreaux font inftallés dans ta demeure, pour la métamorphofer en une boucherie de patriotes; & c'eft au nom de la conflitution que tu prétends les faire égorger! C'en eft trop; la lifte de tes crimes eft déjà affez longue fans la groffir encore de ce nouveau forfait; nous venons y mettre un terme, & te conduire au donjon de Vincennes pour y attendre la convention nationale qui doit nous délivrer de la race des Bourbons.

Mais ce jour les fcélérats de cour furent mieux avifés que les patriotes trop confians; le crime eut tou¬ jours plus d'efprit que la vertus. Après avoir ourdi fa trame exeécrable, Louis-le-Traître croit prudent de ne pas s'expofer à recevoir une troifième leçon du peuple, & fe retire au fein de l'affemblée nationale; mais fes ordres font donnés & feront ponctuellement exécutés. Le con

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feil du directoire a recommandé, il eft vrai, de ne point faire feu fur le peuple; feulement il a enjoint de respouffer la force par la force, comme il étoit d'ufage dans l'ancien régime; mais la cour renchérit encore fur le département, & la perfidie devint l'auxiliaire de la force. Les fédérés, les piques & les baïonnettes parifiennes fe -préfentent pour porter le vœu du peuple; les portes s'ouvrent; la cour des Princes eft abfolument déferte; pás -un uniforme bleu ou rouge. La phalange Marfeilloife, -qui fembloit être l'avant-garde, s'avance la première fous les croiféées du château; des chapeaux au bout des baïonanettes annnoncent une capitulation; des cartouches, mais elles n'étoient que de poudre, pleuvent en figne de fra-ternité fur la tête des fédérés; on les invite à monter ; i ils avoient propofé aux Suiffes de defcendre. Les patriotes is'applaudiffoient déjà de leur victoire civique, remportée fans effufion de fang, ils fe précipitent avec ardeur égale à leur confiance. Tout à coup les portes des premiers appartemens long-temps fermées, s'ouvrent enfin ; mais, ô comble de la trahison & de l'horreur ! elles s'ouvrent pour vomir la mort fur les fédérés, fur les baion-nettes parifiennes & les piques qui fe preffoient, & ne perdirent pas un feul coup de feu: & c'est ainsi qu'ils furent reçus par ces mêmes Suiffes qui leur avoient donné tant de marques d'amitié à travers les fenêtres du château ! Que de victimes malheureufes ! quel carnage! Surprife horrible! noire trahifon que l'hiftoire aura peine à perfuader à nos enfans! La plume fe refuse à en décrire les fuites défefpérantes! Que de traits de bravoure & de force perdus dans la foule des infortunés patriotes : qui furent obligés de fe replier le plus vite qu'ils purent, mais pour revenir fur leurs pas avec cette fureur sombre des hommes braves éprouvent contre un ennemi atrocê & perfide! On a vu les traces fanglantes de ce généreux reffentiment; mais on n'a pu compter toutes les victimes tombées fous le fer de la vengeance la plus épouvantable comme la plus légitime.

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Soldats de la patrie, parmi toutes ces victimes entaffées autour de vous, ne vous êtes-vous donc pas apperçus qu'il vous en manquoit deux, pour rendre cette journée la plus mémorable de toute la révolution, & la plus fructueufe? Les deux caufes premières de ce grand attentat échappèrent à la juftice de votre vengeance.

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Peuple!

Peuple! que d'autres admirent ta générofité, ta loyauté, ta moderation, ta prudence même fi l'on veut ! La grande journée du To août eft manquée pour toi : jamais peut-être ne s'offrir une occafion plus belle d'imprimer une terTeur Talitaire dans l'ame des tyrans, en leur laiffant un grand exemple de ta févèr équité, dans la perfonne de Louis le traitre & de fa Médicis.

"Eh quoi tu applaudis au' nouveau ferment de tes députés qui jurent, de vivre & de mourir fidèles, aux droits de la liberté, aux droits de l'équité; 'inconféquent! & toi même, dans la même journée tu établis par le fait une diftinction entre le crime & le crime, entre le fcélérat & le fcelerat. Carles & cinq autres chefs d'une fauffe pa-. trouille, Suleau & l'abbé de Beaumont, Clermont-Tonnerre & Vaublanc, Mandat & 60 Suiffes, plus de cent voleurs pris fur le fait, font exécutés par toi dans la même journée, & fur le lieu même du délit .....& Louis XVI vit encore, & fa complice refpire ! Le châtiment dés coupables fubalternes te faffit. Le chef des confpirateurs eft entre tes mains, & tu le laiffes vivre: tu le gardes comme un otage. Quel mélange d'énergie & de foibleffe! As-tu donc befoin d'otage pour conjurer l'ennenti qui ne s'approchoit de tes frontières qu'avec précaution, & qui n'efit pas manqué de faire des réflexions avant de violer le territoire d'un peuple qui guillotine fon roi aflaffin comme un autre fcélérat? Une nation se montre fur un pied refpectable, quand elle grave fur l'échafaud deftiné aux coupables:

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend pas les rois.

Mais fi elle dément elle-même la première l'application de cette maxime, elle annonce peu de caractère & ne Lauroit en impofer long-temps à fes voifins.

Peuple! la plus grande des atroc tés a été commife envers toi. Un jour plus tard peut-être, & Paris n'eût offert qu'un monceau de cadavres & de décombres. Le moderne Néron qui pendant 4 années médita à loifir l'entière fubverfion de Paris, après en avoir donné l'ordre &le fignal, fe tranfporte d'un pas tranquille à l'afsemnationale, n'ouvre la bouche en entrant que pour calomnier la nation dont il vient de commander le maffacre; N. 162. Tomë i3

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&lon du danger, affis dans une loge écoute fans s'é mo voir les décharges de canons qui donnent la mort à 2000 perfonnes dont il eft le premier bourreau.

Peuple de Paris! roi qui tant de fois fis preuve de raifon, comment,à l'ue de cette déplorable affaire, avant de te disperter, ne t'est-il pas venu à la pentée de te préfenter en armes aux portes de l'affemblée nationale, comme tu t'étois déjà présenté le matin devant la maifon com mune pour demander au confeil-général plufieurs criminel pris par toi fur le fait, & leur infliger fans délai la peine due à leur crime? Comment une deputation de vingt per perfonnes, dont plufieurs fédérés, ne s'eft-elle pas préfentée à la barre, our dire, par l'organe d'un orateur fans apprêt: plus de 2000 braves citoyens viennent de périr victimes d'une trahilon des Suifles, aux gages & aux ordres de Louis XVI & fa femme que, voilà tous deux. Les Suiffes, moins coupables que leurs maitres, viennent de fatisfaire à justice. En vertu des loix de la guerre & de la fociété, nous les avons maffacrés tous. Organes des fédérés, & de tout paris debout, nous venons réclamer les deux principaux coupables, réfugiés dans ce fanciuaire, qui ne devroit fervir d'afile qu'à l'innocence pourf ivie. Mandataires du pe ple, le peuple infurgé veut pour un moment exercer lui-même les pouvoirs qu'il vous a confiés. Un grand ju y vient de fe former; le jugement et prononcé, & la guillotine, placée au milieu de la cour des princes, jonchée des cadavres de nos frères & de e nos e nemis, attend les deux premiers auteurs de ce grand affaffinat. Légiflateurs! faites fortir de votre enceinte facrée Louis XVI facrée rouille vos & la complice. La préfence de ce couple pervers délibérations. Refutuez à la juftice la proie; il nous tarde de délivrer la patrie & le monde de deux monftres trop long temps impunis.

Cette pétition, faite au moment d'une révolution, & appuyée de 500,00 votans réunis,criant de toute leur éner gie Tolle! tolle! auroit été écoutée, & femblables aux premiers fénateurs de Rome naiffante qui le couvrirent de leurs manteaux pour la fler entrainer le defpote Romulus par fes foldats qu'il traitot en efclaves, nos pères confcripts fe fe roient couverts yeux de leurs mains...... Le peuple, par cet acte folennel d'une vengeance tgale, le fût montré bien plus grand fans doute, il eût montré bien plus de dignité qu'en allant fur le pallage

les

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