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46°. DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVÉ,

RÉVOLUTIONS

DE PARIS, DÉDIÉES A LA NATION

ET AU DISTRICT DES PETITS-AUGUSTINS,

Avec gravures et cartes de départemens de Frances QUATRIÈME ANNÉE

DE LA LIBERTÉ FRANÇAISE. TREIZIÈME TRIMESTRE.

Les grands ne nous paroiffent grands que parce que nous fommes à genoux. Levons-nous

ARIS-SEULPRO

PRUDHOMME

DU 11 AU 18 AOUT 1792:

Confidérations fur la journée de Saint-Laurent.

LE 14 juillet dernier, Louis XVI vint pour la millième

fois jurer fur l'autel de la patrie la liberté, l'égalité. & la France affemblée fe dit tout bas : c'est un parjure. -C'étoit là le moment de le fufpendre, & nous l'avions preffenti. Louis rentre dans fon palais, il en ferme les -portes au peuple, il s'entoure de grilles & de canons; il jette tout-à-fait le mafque; il eft en état de contre-révo alution ouverte. La journée de Saint-Laurent s'en eft fuivie. N°. 162, Tome 13.

A

Citoyens! la place de Louis - Néron & de Medicis'Antoinette n'eft point dans les tours du Temple. Le foir même du 10 août, leur tête devoit tomber fous, la guillotine, trop heureux d'expier par une feule mort le trépas de deux mille patriotes, & l'intention bien 'conftatée où ils étoient d'en égorger cent mille. Citoyens! revenons fur cette journée de fang, & connoiffez dans toute fon horreur l'attentat inoui jufqu'à cette époque que la cour méditoit contre la nation. Mais c'eft dans le fang des premiers auteurs de cette trame exécrable que nous devrions tremper nos pinçeaux pour la tranfmettre comme elle doit l'être à la poftérité. Certes, la poflérité admirera notre modération ou plutôt elle condamnera notre foibleffe, & nous reprochera avec juftice les maux qui vont découler des demi-mefures prifes par le peuple à cette feconde révolution française.

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Depuis l'arrestation à Varennes de Louis-le-Traître fuyant à Montmédi, ce monftre n'a vécu que pour le crime. Lui & fa panthère autrichienne ne refpiroient que dans l'efpoir de fe venger d'une manière à ftupéfier nos contemporains & nos neveux; la preuve en eft dans cette liaffe de projets contre - révolutionnaires, imprimés ou manuf crits, trouvés vendredi dernier & jours fuivans dans le cabinet de Louis-Néron; & remarquez que les plus fanguinaires étoient apoftillés de fa main: Bon à examiner, écrivoit-il au bas. Citoyens! en voici un de ces projets. Jugez des autres. Quelques jours après le 20 juin, nous vous avons prévenu de bonne part que des ingénieurs. levoient le plan du château des Tuileries; c'étoit par ordre du miniftre Lajard. Ce plan comprenoit toutes les rues adjacentes jufques aux grands boulevards, & tout le quai depuis Chaillot jusqu'à la Grève. Le commandant de la garde nationale, Mandat, ou tel autre de ce calibre, multiplioit les poftes, & n'y plaçoit que des volontaires à Ini bien connus, foutenus & mélangés par de fux gardes pour lesquels quarante mille uniformes étoient déjà tout faits. On fe doute bien que la falle du manége devoit être cernée de façon qu'aucun député du côté gauche n'eût pu échapper à ce dernier jugement des patriotes. Les chevaliers du poignard, les prêtres réfractaires, les officiers de ligne, tous les courtifans, tous les pages, valets & domeftiques, les gardes licentiés & leurs furnuméraires, dont on a découvert à Meudon cinq ou fix charretées

d'habits & plufieurs milliers d'aunes de galon, fur-tout le régiment Suiffe, dont on peut voir encore les lits dreffés par centaines dans l'hôtel qui avoifinoit leurs cafernes du grand & petit Carroufel; tout ce monde, à un fignal convenu, devoit prendre les armes à la fois & faire mainbaffe, d'abord fur l'affemblée nationale, puis fur les jacobins, puis à la mairie, puis à la maifon commune en même-temps. Les poftes avancés euffent donné le change aux citoyens accourus de toutes parts aux premières nouvelles de ce grand complot. Afin de porter le défordre à fon comble, on eft diftribué à de faux fans-culottes ces milliers de torches qui fe trouvèrent vendredi dans les fouterrains du château pour incendier Paris, à commencer par les rues les plus riches, telles que la rue S. Honoré & le quai des Orfévres; on avoit déjà dreflé la lifte des maifons à piller de préférence aux autres. Leurs numéros font annexes au plan. Les juges de paix vendus à la cour, revêtus de fauffes écharpes, à la tête de plufieurs patrouilles poftiches, compofées des officiers de juft ce & autres coupejarrets, euffent parcouru certains quartiers pour faire figner aux bourgeois la fameufe déclaration du 23 juin 1789, fous peine d'être livrés au pillage. Après quelques heures de maffacre & une demi-journée de brigandage, les têtes de plufieurs députés patriotes promenées au bout des baionnettes, une proclamation, dans laquelle le côté noir du corps législatif eût établi le roi dictateur pendant tout le temps de la guerre, placardée avec profufion, auroit invité les habitans de fa bonne ville à venir fe ranger autour de Louis-le-Bienfaifant, à faire la chaffe fous fon commandement aux factieux & aux pillards; on auroit eu le foin d'en faire exécuter plufieurs par une guillotine permanente au château, & d'après les fentences prévôtales d'un tribunal de police fecrète. Pour que rien n'y manque, on a trouvé auffi l'organisation par écrit de ce tribunal parmi ces papiers. En voici l'apperçu: cent premiers juges en dernier reffort & autant d'autres juges fubalternes; chacun de ceux-ci eût donné miffion à dix efpions` de fe répandre dans tout Paris, c'est-à-dire, dans les cafés, dans les fociétés populaires, au milieu des groupes, & dans le fein des familles. Sans caractère ostensible, ils devoient tous les foirs apporter au château les nom, fignalement & demeure des patriotes les plus chauds, qu'on eût envoyé cherchér la nuit de par le roi; en traverfant

le veftibule du château leurs têtes devoient tomber fous le fer d'affaffins apoftés, & être expofées fur la nouvelle grille du pavillon de Flore qui fait face au PontRoyal; celles de Pétion, Manuel, Condorcet, &c. les

mières.

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Si le défefpoir fe fût emparé du peuple de Paris à la vue des fupplices de fes meilleurs amis & au milieu des flammes dévorant plufieurs quartiers, Lafayette, prévenu de ce plan & du jour de fon exécution, avoit promis d'accourir à grandes journées pour achever de réduire une ville rebelle, le berceau de la liberté & le foyer de la révolution. Un fubfide énorme eût été levé auffi-tôt fur les citoyens furvivans pour payer les frais des armées ennemics; Paris eût éprouvé toutes les horreurs de l'efclavage & de la mifère; l'étranger feroit venu lire fur lés ruines encore fumantes de la première ville du monde la leçon terrible donnée par les defpotes aux nations tentées de devenir libres.

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Ce projet infernal étoit d'autant plus praticable, qu'il avoit été conçu d'après un autre manufcrit qu'on a encore trouvé dans le fecrétaire de Louis-Néron, & qui portoit pour titre Esprit des gardes nationaux de chaque bataillon

des citoyens de chaque fection de Paris. Ce mémoire, dreffé avec exactitude, indiquoit à la cour ceux fur qui elle pouvoit compter. Tel bataillon eft prefque tout-à-fait royalife.... On peut tout exiger du nommé Lachenay, feçtion de Notre-Dame; cet officier volontaire est un fot de la plus plate efpèce, &c. C'eft pour cela que l'ogre couronné & fa panthère autrichienne demandoient à chaque factionnaire qu'ils rencontroient fur leur paffage : De quelle compagnie êtes-vous?

La cour avoit les mêmes renfeignemens par écrit fur fes adminiftrateurs, magiftrats, juges de paix, officiers municipaux des 83 départemens. Ne lit-on pas fur la lifte des gens de ma connno fanee, tirée du porte-feuille

la reine, le nom de Blondel, le fecrétaire du directoire. de Paris & d'ailleurs ne fait-on pas, d'après une trifte expérience, qu'il ne falloit à la cour qu'un feul jour de garde, un feul moment de travail avec un miniftre, pour fe faire des créatures? Dès le lendemain du 10 août, jufque dans la loge du logographe, ne vit-on pas, ô honte! ô fcandale! des repréfentans du peuple baifer la main de leur

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reine! Les effets rapides de la contagion royale effrayèrent tellement le corps législatif, qu'il prit le parti fage de hâter d'un jour la tranflation de cette famille peftifère dans le lazaret du Temple.

Le fang des patriotes ne devoit pas feulement ruiffeler à Paris; la lifte des profcriptions comprenoit toute la France; la furface de l'empire eût offert dans tous fes points le fpectacle atroce du château des Tuileries dans la matinée du 10 août.

Citoyens, tels étoient les deffeins de la cour que vous n'avez point laiffé mûrir affez pour avoir tout leur déve loppement! Déjà au retour du champ de la fédération, où il avoitdemandé à renouveler fon ferment civique, LouisNéron calculoit froidement le nombre de victimes à immoler. Sa Médicis, au balcon de l'Ecole militaire, promenant fes regards fur le champ de Mars où tout Paris: étoit raffemblé, favouroit d'avance le plaifir de voir maffacrer fous fes yeux, un mois après, tant de milliers de citoyens avec leurs femmes & leurs enfans. Dans un mois, fe difoit-elle avec le frémiffement de la rage affouvie, tout ce monde périra par mes ordres, pour lui apprendre à refpecter davantage une reine de l'augufte maison d'Autriche, fille & tante d'un empereur.

Les détails de la nuit du 9 au 10, & ceux de la matinée fuivante, forment une maile de forfaiture telle que les deux principaux auteurs en font devenus prefque auffi odieux à leurs amis les plus fidèles qu'ils ont platement abandonnés, qu'à la nation qu'ils trahiffoient avec tant de fcélérateffe & de fang-froid. Quand on voit ce Louis XVI raffembler autour de fa perfonne & de fa famille toutes les créatures auxquelles il a diftribué des lettres conferva toires de leur noblesse, fignées de fa main, afin de fe les attacher davantage, quand on le voit arranger avec eux le plan d'un maffacre, recevoir fur leur épée le ferment de mourir pour lui, leur promettre à fon tour de vaincre ou de périr à leur tête, & une heure avant le combat aller fe mettre à l'abri des coups dans le fein de l'affemblée nationale, & y attendre en toute fécurité l'iffue d'un fiége foutenu à caufe de lui, cette lâcheté dégoûtante eft bien capable d'aliéner le cœur des royaliftes les plus fervens; il n'y a pas d'honneur dans le fens que ces meffieurs attachent à ce mot, à fe déclarer pour un individų auffi vil.

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