lancée contre elle par vingt hommes; trois minutes de plus, le château & le jardin étoient inondés de peuple, & cette nouvelle irruption pouvoit avoir des fuites autrement graves que celles du mois précédent. Un carroffe de place arrive cour du manége; c'eft le maire de Paris; il n'a pas eu le temps de paffer fon écharpe ; il veut s'en revêtir avant de haranguer le peuple qui l'entoure. Parlez, parlez, lui dit-on, Vous n'avez pas befoin d'écharpe, M. Pétion peut s'en paffer. Eh bien ! mes frères, mes amis, dit le magiftrat à la foule, je viens vous dire de ne pas vous laiffer aller à ces mouvemens partiels qu'on excite au milieu de vous pour vous porter à des excès, & perdre vos magiftrats. Citoyens, c'eft vous-mêmes, c'est Vous feuls que je charge de la garde de cette porte, vous m'en répondrez; moi, je vais raffurer l'affemblée nationale fur les craintes qu'on pourroit lui avoir infpirées à votre égard. Habitans du château des Tuileries, qui femblez vous mettre en garde contre le peuple, connoiffez-le à ce nouveau trait. Il alloit brifer les barrières injurieufes d'un jardin qui devroit lui être ouvert à toute heure, le maire paroft, dit un mot, l'orage eft conjuré; le mépris lui succéde, & la foule appaifée le porte aux iffues de l'affemblée nationale pour y diftribuer avec équité l'éloge ou le blâme à mesure que les députés fortent. Tel fut le résultat de cette rumeur fubite qui avoit déjà porté l'effroi dans tous les magafins de la rue S. Honoré. Les bourgeois avoient fermé leur boutique, comme fi le peuple ne feroit pas le premier à punir ceux qui à la faveur d'un foulèvement oferoient donner le fignal du pillage. On remarqua, parmi les citoyens accourus au fon du tocfin, des volontaires en uniforme & munis feulement d'une pique. Ce n'eft pas là le compte des agitateurs que la cour foudoie pour tâcher d'amener le peuple à violer le fanctuaire des loix en y entrant à main armée, & à y faire juftice lui-même des repréfentans de la nation qui la trahiffent. Peuple, mets-toi en garde contre tes propres mouvemens, ils font tous motivés, tu n'agis jamais fans de fortes raifons pour agir; mais une fois ébranlé on te fait aller beaucoup plus loin qu'il n'eft convenable à ta dignité & à tes intérêts. Sans doute que fi l'on t'interdifoit l'entrée du jardin des Tuileries dans l'intention de fe défaire à loifir du petit nombre de tes bons députés ou de quelquesuns des fédérés ardens chargés du vou de leurs départe, mens, le moindre châtiment d'un tel attentat feroit de N°. 159. Tome 13. C porter le fer dans le palais où fe trameroient de pareilles hor- On auroit bien voulu, lundi 23 juillet, à neuf heures du foir, exciter une nouvelle rumeur aux portes de l'affemblée nationale, occupée à réintégrer Manuel dans les fonctions; mais un avis du maire affiché le matin & le fouvenir de fa harangue de la furveille rendirent le peuple calme & inébranlable. Evénemens des 26 & 27 juillet. Sur l'emplacement même de la baftille & à l'endroit où l'on fe propofe d'élever la colonne de la liberté, dont la première pierre fut folennellement pofée le matin du jour de la fédération par douze députés du corps légiflatif, le patriote Palloi invita tous les bons citoyens à s'unir aux volontaires arrivés des départemens, pour un banquet civique, frugal, peu difpendieux, mais tout fraternel & à la manière de la pâque des Hébreux, c'est-à-dire, en plein air, & en vue de tout le monde. Ce repas qui devoit avoir lieu dimanche fut remis, à caufe de la proclamation du danger de la patrie, à jeudi dernier. Chaque convive y apporta fon potage, aux termes de l'invitation. Une joie cordiale y tint lieu de mufique, & fut à peine troublée un moment par la préfence & le châtiment du nouveau miniftre de l'intérieur, Campion, que la cour envoyoit pour efpionner les patriotes, & qui fut reconnu dans la foule des fpectateurs. Peu s'en eft fallu que le miniftre du roi n'y fubit la peine du fouet, comme on le pratiquoit jadis à l'égard des efclaves qui fe gliffoient parmi les citoyens libres raffemblés pour une fête. Il en fut quitte pour la peur; on le chaffa honteufement, après lui avoir enjoint de rapporter à fes maître & maîtreffe ce qu'il avoit vu & entendu. Sans doute qu'à l'avenir il ne fe chargera plus de pareille commiffion. A la fin du repas, qui fe prolongea bien avant dans la nuit, plufieurs convives un peu échauffés propofèrent de convoquer dês le matin tous les fédérés actuellement à Paris, tous les chauds patriotes des deux faubourgs Saint-Antoine & Saint-Marceau, ainfi que de la garde nationale Parifienne & de celle de Verfailles. On parloit même de s'emparer du canon de plufieurs poftes. Le projet étoit de fe préfenter dans cet appareil à l'affemblée nationale & au château des Tuileries. Le maire de Paris en fut inftruit; toute la nuit il courut d'un faubourg à l'autre; fa feule préfence rétablit l'ordre; il n'eut qu'un mot à dire, comme à l'affaire du famedi 21 dans les cours du manége. Le tocfin avoit fonné; on avoit battu la générale; tout annonçoit une journée de trouble & même de deuil: elle fe paffa dans le calme jufqu'au foir; mais les événemens de la terraffe des Tuileries font l'ouvrage & un crime de plus du château. En conféquence du décret de la veille, le Louis XI (1) du dix-huitième fiècle fut obligé d'ouvrir les portes de la terraffe des feuillans au public qui s'empreffa d'en jouir, curieux d'ailleurs de voir comme on s'y prendroit pour lui interdire le refte du jardin. Un mur de baïonnettes nationales régnoit d'un bout à l'autre depuis le pavillon jufqu'au cul-de-fac de l'orangerie. Les volontaires de garde ce jour-là, commandés par Lachenaye, fous les ordres d'Acloque, fembloient pour la plupart fort fots & fort peinés du fervice qu'on exigeoit d'eux en ce moment. Plufieurs pourtant, fans doute du bataillon des Filles Saint-Thomas, paroiffoient tout fiers de leur configne. Ces meffieurs, fur-tout les grenadiers, faifoient des patrouilles nombreuses & fréquentes au bas de la terraffe › apparemment pour fendre l'air, car il n'y avoit point là de groupes à divifer; mais ils n'oferent pas fe promener ainfi fur la terraffe même. D'ail (1) Eft-ce en effet par analogie des deux rois Louis XI & Louis XVI, ( au génie près) que ce dernier, dit-on, fe propose d'aller s'enfermer dans le château fort Dupleffis-les-Tours où mourut fon devancier, après avoir obtenu de l'affemblée qu'elle viendroit fiéger à Blois. un leurs, ils y euffent été infailliblement étouffés par l'affluence du monde qui s'y portoit. Cependant ils eurent la lâcheté d'attirer à eux, par l'un des efcaliers, jeune colporteur, publiant les crimes de Lafayette. Ill le maltraitèrent & le conduifirent au milieu d'eux à un comité voifin. Le peuple indigné fe contint & recourut à un officier municipal pour leur faire lâcher proie. Pareille fcène fe paffoit au même moment dans le jardin du Palais-Royal. On vouloit préluder à une guerre civile, en portant le peuple à perdre patience, à la vue des difpofitions hoftiles étalées avec affectation de toutes parts. Deux pièces de canon étoient pointées dans la cour des princes fur la porte principale du Carroufel, fans préjudice aux deux autres qui défendent à l'ordinaire le veftibule du château, Quantité de croix de Saint-Louis & autres chevaliers du palais étoient répandus dans l'intérieur des appartemens, mais n'avoient garde de fe montrer, encore moins de tenir leurs conciliabules accoutumés dans le bois du jardin des Tuileries; les huées du peuple les euffent atteints & déconcertés; au plus petit bruit on battoit le rappel. Le roi n'a pas befoin d'avoir des amas d'armes cachés dans fon palais, puifque des milliers de volontaires le prêtent à tout ce qu'il exige d'eux, & ont le courage ou plutôt la lâcheté de fe placer entre un tyran foupçonneux & le peuple. Coblentz n'offre pas un appareil de guerre plus complet; auffi le peuple difoit-il en fe promenant fur la terraffe des feuillans: nous fommes ici fur les terres de France, à la lifière du pays d'Autriche; & voici les houlans & les pandours, en mor trant le bonnet des grenadiers du bataillon des Filles Saint-Thomas. Quelques volontaires, officiers & fufiliers voulurent comme s'excufer auprès de la multitude; ils furent renvoyés rudement à leur pofte. Lâches ! leur difoit-on, vous déshonorez l'habit national, en fervant de janiffaires à un defpote craintif. Un fapeur, au beau milieu de la terraffe, fe dépouilla de fon uniforme, & le foula à fes pieds dans la pouffière, aux applaudiffemens & aux bravo de tous les fpectateurs. Le projet des deux chambres fe mûrit dans le filence & dans l'ombre du mystère. Déjà Necker & Mounier travaillent l'opinion publique par d'énormes brochures, pour amener la nation à ce but tant défiré des ci-devant de toutes les couleurs & de toutes les claffes. Lally-Tollendal fait des apparitions fubites à Paris; on le ren contre deux ou trois fois la femaine fur la route de SaintGermain |