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des citoyens jaloux de combattre ou de braver aux frontières les dangers de la patrie.

L'idée en étoit heureufe & véritablement dans le goût antique cette tente du fond couverte de guirlandes de feuilles de chênes, chargée de couronnes civiques & flanquée de deux piques avec le bonnet de la liberté; le drapeau de la fection planté fur le devant, & flottant au-deffus d'une table pofée fur deux tambours; le magiftrat du peuple avec fon écharpe pouvant à peine fufhre à l'enregistrement des noms qui fe preffent en foule, fous fa plume; les balustrades, les deux efcaliers, le devant de l'amphithéâtre défendu par deux canons, & toute la place inondée d'une multitude jeune ardente & généreufe voulant fe faire infcrire tout à la fois; ce tableau neuf & plein de mouvement eft un des plus curieux & des plus touchans qu'ait offert la révolution.

Tout le monde pourtant n'éprouva point cette ivresse. Plufieurs citoyens dont nous refpectons le morif difoient tout haut: Eh! malheureux! où courez-vous ? Penfez donc fous quels chefs il vous faudra marcher à l'ennemi! Vos principaux officiers font prefque tous des nobles: un Lafayette vous menera à la boucherie. Eh! ne voyezvous pas comme fous les perfiennes du château des Tuileries on fourit d'un rire féroce à votre empreffement généreux, mais aveugle? Réfléchiffez donc.....

Difcours inutiles & incapables de ralentir l'ardeur gérale. La jeuneffe électrifée n'entendoit rien; l'amour de la patrie rendoit infenfible à toute autre affection. De vieux racoleurs ne favoient que penfer à la vue d'un fpectacle auffi nouveau, auffi étrange pour eux; les enrôlemens du quai de la Ferraille n'y reflembloient guère, Qu'on rapproche la preffe des matelots en Angleterre, & la milice en France fous Louis XIV, Louis XV & Louis XVI, des enregistremens du dimanche 22 & jours fuivans.

Ce n'eft pas, la proclamation du roi, placardée dès la veille avec la même affectation qu'elle eft écrite, qui put produire cette explofion de patriotifme. A plufieurs coins de rues on l'avoit arrachée, en difant: peut-on feindre aveccette effronterie? Mais c'eft qu'il n'est que la jeuneffe capable de ces fubites réfolutions, de ces élans hero iques qui toujours & par-tout ont déjoué les com-. plots réfléchis d'une cour perfide à loifir. Qu'on ouvre

à la jeuneffe une carrière honorable, qu'on lui montre de, loin un but qui lui promette de la gloire, impés tueufe dans tous les mouvemens, elle s'y porte avec rapidité, fans fe donner le temps de calculer l'efpace qu'elle a à parcourir, & de fe melurer avec les monftres qu'il lui faudra combattre fur la route. Dans les révolutions on ne peut, on ne doit guère compter que fur la génération qui s'élève; il fuffit de l'appeler & de la diriger.

Les enrôlemens furent nombreux, fur-tout parmi les fans-culottes; mais il s'en fit dans toutes les claffes des citoyens; on vit même, à la ci-devant Place Royale, trois jeunes lazariftes prendre parti: des hommes mariés, des fils uniques voulurent en être. Le foir du dimanche 22 & des jours fuivans, c'étoit un doux fpectacle que de voir le magiftrat du peuple quittant eniin la place pu blique, s'e retourner à la maifon commune, fon registre fous le bras, & fuivi d'une longue file d'enfans de la patrie de tout âge, depuis l'adolefcence jufqu'à la virilité, tous gais, l'oeil pétillant de courage & d'audace, fe tenant par la main, chantant, danfant au milieu de la foule des citoyens qui voulurent les accompagner jufqu'à la place de Grève. Voilà ma moiffon d'hommes d'aujourd'hui, difoit l'officier municipal au confeil affemblé. Toute cette jeuneffe qui s'eft levée au premier coup de tambour, demande des armes & veut partir.

Effectivement dès le lendemain de leurs engagemens on vit fur les grandes routes de nombreufes phalanges de ces jeunes gens, le fac fur le dos, & vêtus encore des habits de la profeffion qu'ils quittent pour entrer au fervice de la patrie. Il étoit difficile de retenir fes laimes au paflage de ces jeunes hommes, l'espoir de la nation, s'arrachant aux liens les plus ch rs de la nature; plufieurs donnoient le bras à leurs amies de cœur, quelques-uns à leurs mères; celles-ci forçoient leurs pas pour fuivre la marche de la troupe, & voir le plus long-temps poffible l'enfant qu'elles n'ofent fe flatter de revoir un jour. Mais pour faire diverfion à la trifteffe du dernier adieu, les enrôlés crioient vive la nation, & invitoient tous les voyageurs qu'ils rencontroient à faire chorus avec eux.

Jeunes hommes! à la voix de la mère cominune de tous les citoyens, vous quittez vos familles & les lieux qui vous ont vu naître, fur la foi de vos magiflrats, Veus partez libres, réfolus de mourir plutôt que de revenic

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efclaves. Au moment même de votre enrôlement, les mots de trahison, de perfidie, de roi parjure ont frappé vos oreilles, vous n'en avez tenu compte; vous partez. pleins de patriotisme & de courage, mais dépourvus d'expérience: il faut que vous foyiez prévenus du moins fur les différentes fortes de danger que vous allez courir & braver les cohortes autrichiennes qui bloquent nos frontières ne font pas ce que vous aurez le plus à redouter. Donner ou recevoir la mort pour la patrie, n'aura rien de difficile pour vous; vous y êtes tout préparés d'avance. Cependant, qu'il eft profondément pervers celuilà qui, des fenêtres de fon château, vous voyant quitter Paris, médite peut-être déjà de vous facrifier à l'ennemi, dans l'efpoir de forcer la nation à un honteux accommodement! Soyez fur vos gardes; des Lafayette vous attendent pour s'emparer de vous, & pour vous royalifer à leur aife. Dans vos ames neuves, il ne fera que trop facile de jeter les femences du foupçon contre vos députés fidèles, vos magiftrats intégres & les meilleurs citoyens; en vous donnant des armes, on vous défignera ceux contre qui vous' devez les tourner, & ce ne fera pas toujours contre les Pruffiens ou les Sardes. On ofera peutêtre vous dire plus encore; on vous propofera de revenir fur vos pas, & d'aller protéger le château des Tuileries contre les factieux, c'eft-à-dire, contre vos parens & vos amis, vos mères & vos époules, en un mot contre tous ceux de vos concitoyensqui montreront le plus d'attachement à la patrie. On vous dira que le roi, comme premier représentant de la nation, eft celui qu'il faut écouter, fuivre, fervir de préférence à tout, de préférence à la patrie elle-même; on vous laiffera peut-être le choix d'être les foldats de la révolution faite par le peuple & pour lui contre les defpotes, ou d'être les foldats de la conftitution faite & révisée pour le roi contre la liberté nationale. Répondez que vous tenez pour la révolution toute entière, & non pour une demi-liberté; que Paris, dont vous êtes les enfans, n'a point fait tant de facrifices pour retrouver le même roi qu'il avoit anparavant; dites que vous partagez l'indignation & le mépris que la grande majorité de tous les départemens a voués à un monarque qui a provoqué fur nous toutes Yes horreurs de la guerre, mais que le fang qui va couler retombera fur la tête & celle de fes allies; dites,

enfin que vous êtes prêts à répandre tout le vôtre, plutôt que de confentir au retour de l'ancien régime, fous des formes & des noms différens; qu'en vous féparant de vos familles, vous avez renouvelé dans leur fein le ferment de combattre pour les affranchir de la fervitude étrangère ou domeftique, & que vous tiendrez parole jufqu'au dernier d'entre vous. Les ennemis ont parmi nous leurs otages les plus précieux; vous y avez la flé auffi les vôtres. Jeunes foldats de la patrie! fongez que vous êtes le rempart entre les Autrichiens, les houtans, les Sardes, & vos mères, vos fœurs, vos jeunes époules, vos vieux parens & vos frères au berceau. Vous êtes les premiernés de la révolution, vivez pour elle, ou mourez avec elle!

De la néceffité de fufpendre les fonctions exécutives dans les mains de Louis XVI.

Sufpendra-t-on le roi? deftituera-t-on le roi? Telles font Les queftions qui occupent maintenant tous les Français, telle eft la matière que tous les partis mettent à l'ordre du jour, telles font les bafes qui doivent faire l'objet d'un rapport de la commiffion de fûreté générale. Déjà M. Vergniaud, membre de cette commiffion, s'eft attiré les éloges des écrivains de la cour, en énonçant publiquement que lui & fes collègues étoient bien éloignés de penfer à une de ces mesures extraordinaires, que femble vouloir l'opinion publique, que commande le vœu fpontané des 83 départemens; déjà M. Briffot dit ou fait dire dans fon Patriote Français, qu'il offrira inceffamment à fes lecteurs quelques réflexions fur les piéges qu'on tend au peuple, en le portant en ce moment des opinions EXAGÉRÉES. Tout s'émeut, tout s'agite; les uns veulent la fufpenfion du pouvoir exécutif, les autres la fufpenfion du pouvoir légiflatif, d'autres veulent la fufpenfion du roi & de l'affemblée nationale pour faire place à une dictature abfolue.

Les écrivains qu'on nomme patriotes votent journellement la fufpenfion, même la déchéance de Louis XVI; ils offrent de prouver qu'il l'a encourue, & cependant ces mêmes hommes parlent d'opinions exagérées, ont des frayeurs de guerre civile; un autre propofe de mettre la couronne de France fur la tête du duc de Brunswick. Quel est donc e patriotifme-là? Que fignifient ces éternelles vacillations,

politiques? Mais laiffons le duc de Brunswick à la tête de fon armée, laiffons également ceux qui, crainte d'allumer la guerre civile, refufent d'en éteindre le foyer, & voyons cet apperçu d'une grande mefure pour fauver la patrie, apperçu qu'on a fait inférer à deffein dans un journal moitié modéré, moitié patriote, & auquel le fupplément n'a pas tardé de paroître.

« 1°. Attendu qu'il eft notoire que des malveillans veulent enlever le roi, & joindre à nos maux le fléau d'une guerre civile, l'affemblée nationale nomme au plutôt un commandant général de la garde parifienne, qui répondra fur fa tête de la perfonne du roi & de celles de la famille royale.

» 2°. L'aflemblée nationale, pour tout le temps de la guerre avec les ennemis extérieurs, nomme dictateurs MM. R....d,, S.... & P...., ces vrais & incorruptibles amis du peuple. Elle les inveftit de tous les pouvoirs donnés par la conftitution au pouvoir exécutif. Quant à ceux du corps légiflatif, ils font fufpendus jusqu'à la paix avec les puiffances ennemies.

»Pour tout ce qui appartient à l'ordre judiciaire, les dictateurs feront exécuter les loix exiftantes; fur tout le refte, ils n'en reconnoîtront point d'autres que le falut de la patrie.

»Les trois dictateurs nommeront les fix miniftres, lef- quels réunis à eux formeront le confeil fuprême. Ils feront maîtres de choifir les miniftres parmi tous les citoyens, fans avoir égard aux loix qui excluent de ces places les membres de l'affemblée conftituante & les députés actuels; ils feront libres de les changer toutes les fois qu'ils le jugeront convenable.

» 3°. L'affemblée nationale s'ajourne, & renonce au pouvoir de s'affembler jufqu'à la paix; les propofitions lui en feront préfentées par les dictateurs, & devront être acceptées par elle.

» 4°. L'affemblée nationale retire au roi l'exercice du pouvoir exécutif pour tout le temps que durera la guerre extérieure, faite fous le prétexte de le rétablir dans fon ancienne & injufte autorité.

» Pendant cet interrègne, le roi jouira d'une penfion de fix millions, & les dictateurs chacun d'un traitement de cent mille liv. par an.

5. Lapaix fignée, & fes principales conditions exécu

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