Les factions de Paris, à l'unanimité, redemandèrent leur Vertueux maire; la barre de l'affertiblée nationale n'étoit plus occupée que par des pétitionnaires qui venoient de mander justice du directoire du département, & dans cette circonflance la cour ne fe trouva pas médiocrement em barraffée: elle favoit bien que Pétion & Manuel feroient rétablis par l'affemblée nationale; mais elle vouloit faire différer cet acte de vengeance jufqu'après la tédération; it entroit dans fes projets que le municipal Baury eût à fa difpofition le figne fatal de la mort, quand le corps législatif & les fédérés feroient confondus au champ de mars; mais le ciel en avoit ordonné autrement, il n'a pas voulu que le fang coulât, & il n'a pas coulé, car Pétion a été rendu dès le 13 à fa place & à fes concitoyens. Voyez le décret, page 96 de ce numéro. Ce décret fut à Paris le fignal de l'allégreffe publique; les rues, les affemblées du peuple ne retentirent que des cris de vive Petion, & le foir une grande portion des citoyens illumina fes croifées. Nous difons cependant que le décret de l'affemblée nationale n'eft qu'un oeuvre imparfait. Pourquoi le département n'eft-il pas puni? Pourquoi l'affemblée nationale laiffe-t-elle les autres citoyens qui n'ont pas plus démérité que Manuel & Pétion fous le couteau non des loix, mais des juges? La prévarication du département étoit fi bien prouvée! il n'avoit pas même pris la précaution d'avoir pour lui la forme, car Pétion a été fufpendu en vertu d'un prétendu arrêté qui n'exiftoit pas, puifqu'il a été conftaté par l'infpection des regiftres du département, qu'il n'y étoit ni infcrit, ni figné. Le pouvoir exécutif, auquel cette affaire avoit d'abord été déférée, aux termes de la conftitution, auroit difpu fimuler, & rétablir lui même Pétion, par ce défaut de forme; mais le ciel, qui veille fur la France, n'a pas permis que Louis XVI fe repopularisât par cet acte d'hypocrifie; il a permis au contraire qu'en préfence des fédérés & de la nation entière, il fe déclarât une guerre ouverte entre le roi & les patriotes; mais nous espérons que cette injuftice fera la dernière pour le peuple. Quand un ennemi eft fi bien connu, quand il frappe avec fi peu de melure, & quand d'un feul mot on peut le terrailer on le prononce ce mot, & l'ennemi difparoît. Nous prions les fédérés d'obferyer que Louis XVI, à l'exemple de Louis XI, fe fait entourer de canons, de baïonnettes, de remparts & de grilles: Louis XI s'eft tenu pendant fix ans en état de guerre défenfive contre fes fujets; mais quelle différence entre le fiècle de Louis XI & le dix-huitième fiècle! Ces deux époques de l'histoire de France ne fe reffemblent que par les crimes des nonarques. Mais Louis XI étoit maître, & Louis XVI n'eft plus lui-même qu'un fujet; & le véritable maître, la nation, ce fouverain ne fouffrira pas long-temps un fujet rebelle; d'autres temps, d'autres mœurs; & d'autres mœurs, d'autres dénoûmens. Prefque par-tout & de tout temps les fans-culottes font les révolutions. Prefque par-tout & de tout temps auffi ce font les prêtres qui fe chargent des contre-révolutions. un Notre pays, depuis quatre ans, en offre la preuve. On a guillotiné jeudi 12 de ce mois, place de Grêve, fabricateur de faux affignats. C'étoit un prêtre, ci-devant grand vicaire, nommé (1) Geoffroi. Il a dépofé, avant de laiffer fa tête fur l'échafaud, avoir eu des liaisons avec un certain Laqueille, correfpondant de Calonne, de Poix & autres fcélérats émigrés tout à fait. Geoffroi, le grand-vicaire, & non l'ami du roi, s'occupoit d'une émiffion de 500 millions d'affignats faux, dans l'espoir d'amener la banqueroute, & par fuite néceffaire la contrerévolution. C'est encore un prêtre, l'abbé Sauvade, qui vient d'être condamné à la guillotine, de compagnie avec Vimal & le libraire Guillot, directeurs tous trois d'une grande manufacture d'affignats à Paffy, & toujours avec la perspective de faciliter la contre-révolution aux perfonnages du haut rang dont ils étoient les agens fecrets. Ce qui eft fort fingulier, c'eft que leur dénonciateur eft un prêtre, l'abbé de la Reynie, lequel femble avoir voulu expier, par le fervice qu'il vient de rendre à la patrie, le crime de lèze-nation dont il s'étoit rendu coupable, en rédigeant pendant toute une année le Journal des mécontens, imprimé chez le fufdit Guillot. (1) C'est encore un abbé de ce nom, occupant une chaire de rhétorique dans un collége de Paris, faubourg Saint-Germain, qui fervoit de clerc à l'abbé Royou pour prêcher la contre-révolution dans le journal de l'Ami du Roi. Règles générales de ma conduite; par M. Pétion. J'ai toujours penfe que l'homme en place devoit adopter des règles de conduite, dont il ne s'écartât jamais; que ces règles fimples devoient avoir pour base l'égalité & la juftice; pour but, le plus grand bonheur de tous &P'harmonie fociale." où Je ne concevrai jamais des hommes heureux & une fociété paifible, là où l'ordre ne peut s'établir que par la violence, où la force prend la place de la raifon, une grande partie des citoyens languit dans l'ignorance & dans l'aviliffement. Si nos loix nouvelles nous ont rendus égaux, nos préjugés fur l'inégalité ne font pas détruits; ils mettent encore une grande diftance entre un homme & un autre. Le jadis marquis ne fe perfuade pas que le bourgeois foit fon égal; & le bourgeois s'eftime au-deffus de l'honnête artifan. Ces différences font fenfibles dans tous les attes de la vie. Nos manières & nos mœurs n'ont point changé avec notre conftitution. Nous confervons toujours les mêmes idées far cette claffe nombreuse & infortunée de la fociété, & c'est avec ces idées que nous voulons la diriger fcus le nouveau régime. On croit généralement que la multitude eft aveugie, qu'elle ne peut être conduite que par la force, qu'il n'eft pas néceffaire, qu'il n'eft même pas bon de l'éclairer, que fi elle ne craint pas, elle eft dangereufe, que fi elle n'eft pas opprimée, elle opprime. Ce font là, on n'en peut pas douter, les fentimens qui font dans prefque tous les cours, que l'habitude y a gravés, qui s'y réveillent à chaque inftant à notre infu, & deviennent le mobile de nos difcours & de nos actions. C'est ici un point de la plus haute importance. Il explique comment des hommes, d'accord fur les principes le conduifent d'une manière fi diverfe dans leur application, lorfque les circonftances font abfolument feinbiables; il répand un grand jour fur la vie des hommes il fert à diftinguer ceux qui font vraiment à la hau eur d'une conftitution libre,. de ceux qui peuvent vouloir la liberté, mais qui ne la connoiffent pas, & publics; No. 157. Tome 12. D 1 qui n'ont pas même d'idée fur les moyens de la conferver. Le nombre de ceux qui étudient avec fruit la manière de conduire les hommes fous le régime de la liberté, eft infiniment petit. Les obftacles que l'on rencontre à l'établissement, à la confolidation des inftitutions nouvelles, tien-nent beaucoup à ce défaut d'habileté, d'inftruction, & à l'emploi qu'on fe permet des vieilles routines. Il faut donc être perfuadé qu'un pays où une claffe d'hommes eft plongée dans l'abjection & dans l'ignorance ne peut conferver long-temps fa liberté. C'est un ulcère qui attaque le corps le mieux organife. La réaction de cette claffe fur les autres, l'exemple de ce genre de fervitude, la dépravation de la morale publique qui en eft la fuite, font des caufes de deftruction fans celle agiffantes. Il y a d'ailleurs ici une femence de divifion que rien ne peut étouffer, une lutte perpétuelle & forcée entre cette clafle qui tend à fortir de la pofition pénible où elle fe trouve & les autres citoyens qui veulent. l'y retenir. La lutte devient plus forte & plus dangereufe, fi les hommes de cette claffe commencent à avoir les fentimens de leurs droits, & affez d'inftruction pour comprendre qu'ils font citoyens, & font partie de l'affociation. La force alors ne peut plus rien; la force eft une injuftice; la force d'ailleurs eft contraire à l'effence de tout gouvernement libre. Il faut fe hâter, par tous les moyens, d'inftruire cette claffe d'hommes, au lieu d'épaiflir tous les nuages qui obfcurciffent fon intelligence. Il faut l'élever, au lieu de l'abaiffer. Il faut lui infpirer l'eftime d'elle-même, au lieu de la dégrader. Il faut employer la raifon qui éclaire, au lieu de la force qui irrite. : Ce font là les principes confervateurs des gouvernemens libres il faut l'avouer, la plupart des fonctionnaires publics, ceux dont les rapports adminiftratifs & judiciaires avec les citoyens font de tous les momens n'en font pas affez pénétrés. Ils les avouent; mais ils les oublient à chaque inftant dans la pratique. Ils font tellement habitués à regarder cette clafle de ci toyens, (qu'on appeloit, dans l'ancien régime, le peuple) comme une bête dangereufe qu'il faut enchaîner, qu'ils ne peuvent pas fe guérir de cette impreffion. Qu'on examine avec foin leur conduite à fon égard, les mefures qu'ils prennent, les moyens qu'ils emploient, & on demeurera convaincu de ce que j'avance. S'ils ménagent quelquefois ces citoyens, c'eft bien plus par le fentiment de la peur, que par amour pour la juftice, que par refpect pour la dignité de l'homme. J'ai la conviction la plus intime que, dès le moment actuel, rien n'eft plus facile que de porter le peuple à la hauteur de fa' destinée. J'ai la conviction la plus intime qu'on peut le maintenir dans les bornes de fes droits & de fes devoirs, qu'on peut diriger fes démarches vers le bien, le garantir de tout excès, fans faire ufage de la force. Je ne parle pas ici de quelques malfaiteurs particuliers, qui forment exception à la maile du peuple. Qui, la grande police de Paris, celle qui tend à la confervation des mœurs, à rendre les hommes juftes à empêcher ces querelles qui rendent le citoyen: l'ennemi du citoyen, qui refferre les liens de cité, qui porte au respect des propriétés, & à cette tranquillité que la connance infpire; cette police, dis-je, peut s'exercer fans violence, fans aucune effufion de fang. Il faut uniquement pour cela, que ceux qui font revêtus d'une autorité qui agit fans ceffe & immédiatement fur le peuple, foient pénétrés d'une morale pure qui fait qu'on aime les hommes, & qu'on veut leur bonheur. Mais fi celui qui exerce momentanément le pouvoir, n'a ni fageffe, ni habileté, s'il fe livre à des emportemens, s'il eft dur, arrogant, injufte, il aigrit les efprits, il les foulève, il fe plaint enfuite d'un manque de foumiffion qu'il a provoqué. Ici les détails échappent par leur variété, par leur multiplicité même, & cependant on les conçoit. L'émeute qui auroit pu être appaitée facilement, prend un caractère grave, parce qu'un officier imprudent, & d'un caractère violent, aura fait des menaces inconfidérées, aura refufé d'entendre, fe fera laiffé aller à des préventions, & ne fe fera pas donné la peine d'être conciliateur. Ceux qui portent les armes pour la loi, peuvent fur tour avoir un grand afcendant pour prévenir des défordres |