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ment, le surlendemain de la pétition au roi, de jouer, sans en prévenir le public, les Amours de Bayard à la place du Vieux Celibataire. Mais cet escamotage avoit fi mal réussi, les battoirs du château avoient eu tellement le dessous, que MM. du Théâtre Français, pour se mettre bien avec tout le monde, crurent devoir donner lundi une représentation de Guillaume Tell, joué par la Rive. Cette tragédie, applaudie avec transport, marqua le dégré où en étoit le patriotisme, & fervit à rendre la cour un peu plus circonfpecte. Elle en fut pour ses avances, & vit qu'il n'y avoit pas plus à espérer du peuple au cœur de ville que dans les faubourgs, comme elle avoit éprouvé le matin que les cannoniers ne se laifseroient pas ébranler plus vite que les piques.

Il n'y auroit pourtant rien de surprenant d'apprendre que l'on ait proposé à ceux-ci de se laisser passer auffi en revue à leur tour, ainsi que les charbonniers avec leurs bâtons pointus, & les forts de la halle sous leurs grands chapeaux. Citoyens fans-culottes, vous ne vous laisserez pas prendre à cette amorce, & l'on ne vous entendra pas fans doute de long-temps crier vive le roi, en défilant devant sa majesté qui vous ferme ses portes & vous interdit sa présence comme à des brigands, devant ce prince qui commande à des juges de paix, ses commenfaux, un procès contre le patriote Santerre, & qui eft convenu avec le directoire du département de faire deftituer le sage Pétion & fes collègues, trop juste châtiment pour s'être refusés à lui demander la loi martiale.

Et que peut-on reprocher à la municipalité ? D'avoir laissé marcher les faubourgs avec leurs armes. Mais c'est précisément ces armes, prises bien innocemment, qui ont sauvé un grand crime aux administrateurs du département, aux officiers de l'état-major, coalisés avec l'intérieur du château. Sans les canonniers & leurs canons, ces messieurs euffent donné une seconde représentation de la tragédie du 17 juillet 1791 auchamp de mars; mais celle du 20 juin aux Tuileries eût été bien autre chose. Eh! quel si grand malheur quand on auroit posé le bonnet de la liberté sur la tête de celui qui s'en est dit le restaurateur, & une cocarde sur le sein de sa femme! Falloit-il, pour empêcher cet affront, faire assassiner un demi-million d'hommes les uns par les autres? Et qu'eût-on dit si, comme on en avoit fait courir le bruit dans l'armée de Monck-Lafayette, le roi eût été promené par tout Paris, un bonnet rouge fur la tête & une pique à la main? Il ne tenoit qu'aux fau

bourgs: au reste le spectacle eût mieux valu sans doute encore que celui d'une boucherie de 100 mille citoyens, car tout Paris se trouvoit là.

Ces raisonnemens ne sont pas en toute lettre dans la correfpondance du maire de Paris avec le conseil général du département, ni dans l'exposé naïf que M. Pétion a publié de fa conduite tenue le 20 juin, mais ils en font les conféquences; & aux yeux d'un obfervateur impartial, si on eût fait droit aux intentions hoftiles du directoire, fi la tranquille énergie du peuple n'eût point déjoué l'appareil formidable & injurieux dont on l'a menacé, des malheurs incalculables en seroient infailliblement résultés. Citons cette courte correspondance de M. Pétion indignement & traîtreusement inculpé; elle intéresse tous les citoyens, & fur-tout les fonctionnaires publics. Le maire de Paris à MM. du conseil du département (24 juin.) « Je reçois à l'instant, messieurs, l'arrêté par lequel vous dites : « Les événemens du 20 juin auroient été pré>> venus si les loix existantes, & notamment celles rela>> tives à la force publique avoient été mieux connues des

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citoyens, & mieux observées par les fonctionnaires publics >> chargés de leur exécution immédiate ». Cette inculpation faite aux fonctionnaires publics, eft extrêmement grave, elle tend à les avilir & à leur faire perdre une confiance fans laquelle ils ne peuvent plus fervir utilement la chose publique. JE VOUS INTERPELLE DONC, en mon particulier, de poursuivre d'une manière franche & directe le maire de Paris, s'il a manqué à ses devoirs; c'est une obligation impérieuse pour vous: la loi vous le commande, & fans doute vous aimez trop la loi pour ne pas lui obéir. J'espère que vous trouverez bon & convenable que je rende cette lettre publique ».

<< Nous avons reçu, monsieur, votre lettre du 24. L'arrêté dont vous vous plaignez n'inculpe personne individuellement. Quand vous aurez fait parvenir au département les procès-verbaux qu'il vous a demandés plusieurs fois, il fera ce que la loi lui prescrit ».

Les membres compofant le conseil général du département, fignis, LA ROCHEFOUCAULT, président; BLONDEL, fecrétaire.

Réponse de M. le maire, à la lettre de MM. du conseil du département.

Paris, le 27 juin 1792; l'an 4 de la liberté,

votre

> Je réponds, messieurs, en peu de mots à
ettre très-laconique. Vous observez que votre arrêté

n'inculpe personne individuellement, & que vous ferez ce que la loi vous prescrit lorsque les procès-verbaux vous feront parvenus.

>>> Vous me permettrez de vous faire deux réflexions très-simples, & dont vous sentirez la justesse.

>> 1°. Pour n'inculper personne, vous inculpez tout le monde; vous reprochez aux fonctionnaires publics fans diftinction de n'avoir point fait observer la loi. Cet anathême porte fur tous, & il n'est pas de genre d'attaque plus dangereux, puisqu'il met à l'abri celui qui frappe, fans laisser une véritable défense à celui qui est frappé.

>>> 2°. Vous attendez les procès-verbaux pour vous instruire, & à l'avance vous jugez, vous mettez les fonctionnaires publics sous le poids d'une accufation. Il y a au moins de la précipitation dans cette conduite ».

Le maire de Paris, PÉTION.

Que répondra le député Laureau, qui depuis trois ou quatre mois remplit les colonnes du Logographe des calomnies les plus amères contre le peuple & les magiftrats. II s'appitoye sur le fort du roi, & traite les Parifiens d'an tropophages. Les ingrats! s'écrie-t-il, les barbares ! encore tout couverts des bienfaits de sa majesté, les voilà qui vont par bande de dix mille l'infulter jusque dans fa demeure, qui devroit être aussi inviolable que fa perfonne!

Vil esclave de la liste civile! réponds à ce fait autrement que que par des invectives. Aclocque, pour regagner l'estime de fon faubourg, qu'il a perdue pour toujours, demande au roi une somme de 1800 liv. en faveur des pauvres de sa section, & l'obtient. Prenez, dit-il aux indigens & aux citoyens peu aisés de fon voisinage, ce font les épargnes de votre bon roi. Quelle fut la surprise du braffeur courtisan quand il s'entendit répondre: vous avions-nous chargé de lui mendier des secours? gardez vos 1800 livres, le moins pauvre soulage celui qui l'est davantage; fans culottes, fans pain, il ne nous faut que la iberté & une pique!

Bas valet de la cour, c'est toujours à toi, Laureau que nous nous adressons, de préférence à tes pareils, parce que tu as un grief de plus qu'eux; tu fouilles le plus facré de tous les caractères, celui de représentant d'un peuple libre! réponds encore à ce trait: un fansculotte se présente au procureur de la commune; je vous Ipporte, lui dit-il, un fufil enlevé au château des Tuileries a journée du 20; je me reprocherois de le garder plus ...g-temps, & je craindrois de m'en servir; il tromperoit

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mon courage. Honnête homme, lui répondit Manuel, je me charge de faire rendre ce fufil à qui il appartient; mais j'espère en obtenir un autre de la commune, qui vous fera laifié en toute propriété; il n'est pas convenable qu'un aussi bon citoyen reste sans armes.

Malheureusement ces miférables à gages qui s'enrouent à crier vivele roi, vive la reine, aux Champs-Élysées, aux spectacles, &c. se répandent aussi dans les ateliers des faubourgs, y prêchent la misère, découragent les mères de famille, embauchent leurs enfans fans ouvrage, & ne trouvent pas toujours sur leur chemin des hommes du 14 juillet pour les confondre & les chasser.

Honnêtes artisans, attendez vous même à voir venir à vous Louis XVI sur son cheval blanc on lui conseille de se populariser davantage, & ce n'est pas à bon escient. S'il pouvoit accaparer tout un faubourg, & le mettre aux prises avec un autre moins facile à endormir! Une petite guerre civile de quelques jours est nécessaire au parti de la cour, pour perdre tout à fait nos magiftrats, bouleverser le corps législatif, &, fur les ruines de la patrie, rétablir l'ancien despotisme.

Proclamation du roi; pétitions de quelques directoires de départemens; Lafayette à Paris.

Le lendemain de la mémorable journée du 20, tous les libellistes à gages renforcèrent leurs voix pour vomir des injures contre le peuple de Paris. On s'y attendoit; mais tout le monde ne s'attendoit pas également à la pu blication d'un libelle royal, répandu avec profufion, tous le titre emprunté de Proclamation du Roi. Nous avons promis de l'analyser.

<< Les Français, dit Louis XVI, n'auront pas appris fans >> douleur qu'une multitude, égarée par quelques factieux, est » venue, à main armée, dans l'habitation du roi, a traîné du >> canon jufque dans la falle des gardes, a enfoncé les portes > de fon appartement à coups de hache, & là, abusant >> audacieusement du nom de la nation, elle a tenté d'ob> tenir, par la force, la sanction que fa majesté a conf>> titutionnellement refusée à deux décrets ». Oui, une multitude armée est entrée dans l'habitation du roi, oui, cette multitude a porté du canon jusque dans la falle des gardes, oui, les portes de l'appartement de Louis XVI ont été enfoncées à coups de hache; mais celui qui dit que cette multitude étoit égarée, égarée Par des fallieux, dit une imposture. Cette prétendue

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multitude n'étoit pas seulement composée des citoyens du faubourg Saint-Antoine & du faubourg Saint-Marceau; c'étoit le rassemblement légal, autorisé par la municipalité, d'un grand nombre de citoyens de Paris, chacun dans ses bataillons respectifs & sous la conduite des chefs de la garde nationale; c'étoit la réunion d'une foule d'habitans de la capitale, qui, justement alarmés du renvoi des miniftres & des deux derniers veto, vouloient, par une démarche vigoureuse, prouver à Louis XVI que ces deux actes despotiques déplaifoient fouverainement à la majorité souveraine des citoyens ; c'étoit enfin une de ces sommations nationales, dont toutes les loix du monde ne fauroient interdire l'exercice au peuple, & auxquelles doivent s'attendre les fonctionnaires publics qui, comine Louis XVI, croiront pouvo'r impunement substituer leur volonté personnelle à la volonté générale; &, certes, il y a bien loin d'une sommation de cette nature à un égarement suscité par des factieux, des ennemis de la patrie & de la liberté. Louis XVÍ en impose encore plus hardiment, quand il ofe dire que la même multitude a voulu forcer sa sanction conftitutionnelle. D'abord cette supposition d'une fanétion constitutionnelle est fausse, car il n'y a rien de moins constitutionnel que le veto appofé à des décrets de circonstance. Il est également faux que le peuple ait tenté ancune espèce de violence fur la personne de Louis XVI: seulement on lui a dit d'opter entre la qualité de roi de Coblentz & celle de roi des Français; on lui dit qu'il étoit temps de faire marcher la conftitution; & à moins qu'il n'envisage comme moyens de force & de violence tout ce qui tend à donner à la constitution la marche droite & franche qu'on avoit droit d'en attendre, sa proclamation injurieuse renferme un menfonge absurde & attesté par quarante mille personnes. Il ne lui reste plus qu'à choifir entre le rôle d'imposteur & celui d'ennemi de la constitution. Peut-être feroit-il facile de lui prouver qu'il est l'un & l'autre ; mais fuivons-le dans sa proclamation.

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<< Le roi n'a opposé aux menaces & aux insultes des >> factieux, que sa confcience & fon amour pour le bien >> public ». Autre imposture! Il n'a pas plus subi de menaces & d'insultes que de violences, à moins toutefois que fa majesté ne regarde comme une infulte l'offrande de la cocarde tricoloré & du bonnet de la liberté. Nous concevons bien qu'un tyran peut regarder la journée du 20 juin comme une offense; toutes les vertus,

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