"Adressfe du faubourg Saint-Antoine, lue dans la séance d'hier; par le brave GONCHON. « Législateurs! l'on menace de poursuivre les auteurs du rassemblement qui a eu lieu mercredi. Nous venons les dénoncer & les offrir à la vengeance des malveillans. C'est nous..... C'est nous, pères de famille, citoyens, foldats, vainqueurs de la bastille; c'est nous, qui fatigués de tant de complots, des outrages faits à la nation & au corps législatif, de la division que des hommes perfides semoient entre les deux pouvoirs ; c'est nous, qui voyant l'incivisine lever depuis quelques jours un front audacieux, avons rassemblé tous les hommes du 14 juillet, pour renouveler un pacte d'alliance; c'est nous qui avons désiré l'honneur de défiler devant vous, comme tant d'autres bataillons, pour vous rendre témoins de l'harmonie qui régnoit entre les amis de l'égalité; c'est nous qui, indignés du renvoi des ministres patriotes, des bassesses & des perfidies de la cour, des entraves mises aux travaux du corps légifslatif, avons voulu présenter au roi le spectacle de 20 mille bras armés pour la défense de l'assemblée nationale.... C'est nous qu'on a outragés, calomniés, insultés; c'est nous que les valets de la cour ont voulu porter aux derniers excès, en nous traitant de brigands & de séditieux; c'est nous qu'ils ont peints comme des cannibales affamés du fang de nos frères d'armes; c'est nous qu'ils ont placés entre le feu de la garde nationale que nous estimons, avec laquelle nous voulons faire qu'un, & l'indignation du corps législatif que nous. venions défendre.... , >> Nos crimes, il est vrai, sont impardonnables. Après avoir sonné le tocfin de la liberté, après avoir brise le premier anneau de la chaîne qui pesoit sur la France, nous avons soutenu notre caractère d'hommes libres nous n'avons pas voulu composer avec la tyrannie, nous avons voulu jouir de la plenitude de nos droits, nous avons livré tous les partis & toutes les factions au mépris & à la haine. Oui, nos crimes envers la tyrannie font nombreux. Lorsque les janissaires de Versailles obligèrent vos prédécesseurs à se réfugier dans un jeu de paume, feuls, contre une armée de tyrans & d'esclaves, nous encouragions l'assemblée nationale, nous lui faisions, avec les braves grenadiers de la gendarmerie, un reme , part de nos corps; nous applaudissions à fon zèle nous réveillions le patriotisme des Francs; lorsque le démon de la cour étendoit un crêpe funèbre sur la capitale, nous prenions la cocarde nationale, nous forgions des piques, nous reppellions les foldats à leurs devoirs de citoyens, nous renverfions la bastille, & nous jetions les fondemens de l'autel de la liberté..... Et alors aussi, législateurs, nous violions les loix!... & alors aussi nous refiftions à la volonté d'un roi!... Depuis trois ans que les ennemis de l'égalité cherchent à écrafer les citoyens qu'ils n'ont pu séduire, & à nous diviser d'intérêt; depuis trois ans que l'ambition active des partis emploie tantôt la force, tantôt la ruse pour nous faire fervir leurs paflions, incorruptibles & fiers, nous nous rallions fans ceffe de l'assemblée nationale qu'on veut abfolument avilir & diffoudre.... Voilà nos crimes.... & voici les services rendus à la cause de la liberté par ceux qui veulent toute la constitution. autour C'est >> Cachés dans les anti-chambres de Versailles lorsque la hache populaire brisoit en éclats le trône du despotisme, ils ne fortirent de leur repaire qu'au moment où ils virent leurs idoles renversées; ils formèrent le projet de se partager les dépouilles de l'aristocratie. Notre infurrection fut alors le plus faint des devoirs, le fupplice des valets du despotisme un tyrannicide digne d'eloges, le peuple des faubourgs une famille de héros. Insensés!... auffi crédules que des rois, nous les jugeâmes dignes d'être nos mandataires. Places, couronnes civiques, tout devint le prix de leur agitation révolutionnaire.... Ils commencèrent bientôt à réduire l'intrigue en systême, & à éteindre dès le principe le flambeau de l'égalité. alors qu'on les vit adopter l'uniforme, inventer le titre de citoyens actifs, substituer au crédit de la naissance Paristocratie des richesses, & imprégner ainsi la conftitution naissante du poifon corrofif de l'anarchie. L'opposition du peuple & des hommes éclairés les rendit bientôt furieux. Trop foibles pour résister à la volonté nationale, ils se réconcilièrent, avec nos anciens tyrans, & jurèrent la perte des amis de l'égalité. Pour devenir les maîtres du peuple, ils confentirent à se rendre esclaves d'une faction. C'est à eux que nous devons les troubles, la mifère & l'agitation qui désulent la France. C'est à eux qu'il faut attribuer ces confpirations toujours décou .. vertes & fans cesse renaissantes; ces libelles gratuits & périodiques, dont les auteurs mercenaires calomnient tous les jours l'A. N., insultent au pauvre qu'ils ont dépouillé de ses biens & de ses droits, attisent le feu de la guerre civile, & cherchent à tourner le glaive des loix contre les lix elles mêmes. C'est être honnête homme & bon citoyen que d'applaudir à leur fausse modération, à leurs principes erronés, à leurs brigandages politiques, à leurs intrigues de cour, à leurs bases contitutionnelles. Auprès de ces hermaphrodites révolutionnaires le royalisme tient lieu de toutes les vertus. Ofez croire que le monarque est entouré d'hommes interessés à le tromper, ofez révoquer en doute l'existence des complots aristocratiques, vous n'êtes plus qu'un féditieux, un brigand, un perturbateur du repos public, un scélérat qui veut renverser la conftitution. >> Oui, législateurs, tout ce qui flatte les petites paffions & les vues ambitieuses de ces vils intrigans eft conforme à la loi; ils appellent violation des principes tout ce qui peut diminuer leur influence, éclairer le peuple & découvrir les conspirations.... Lorsqu'on dénonçoit les minifires coupables, vous les avez entendus faire l'apologie de toutes les prévarications.... Le roi choisit des agens patriotes: auffi-tôt la horde que nous vous dénonçons va plus loin que les hommes zélés dont ils blâmoient les reproches.... Oui, ceux qui regardoient les ministres comme une chose sacrée, ont été les premiers à demander un décret d'accufation contre M. Servan, parce qu'il avoit proposé de lever un camp de 20 mille hommes. Est-il un crime, une faute, une négligence du conseil royal qu'ils n'aient pas excusée ? Est-il un seul décret du corps legislatif dont ils n'aient pas cherché à calomnier les difpositions? Pétitions, placards, libelles administratifs & militaires, lettres d'un général fameux ; ils ont tout mis en usage pour avoir un ministère vendu à la faction antipopulaire, pour rendre nulles les décisions du corps légillatif, pour protéger les scélérats qui, l'évangile à la main, prêchent l'affaffinat & la guerre civile! Et les intrigans, dont nous vous retraçons la conduite, osent dire qu'ils ne forment pas un parti!..... C'est nous, artisans honnêtes; c'est nous, pauvres citoyens, étrangers à la cour & aux intrigues ministérielles; c'est nous qui sommes des factieux, des régicides, des brigands, des ennemis .... de la constitution! Et grand Dieu! si nous méritions ces noms infâmes, répondez, vils scélérats, lâches calomniateurs, où en feriez-vous? Quoi! depuis trois ans des assaffins trament contre leur patrie, des prêtres couvrent le royaume de sang, & ils font protégés! & ceux qui nous dépouillent, ceux qui veulent notre perte, ceux qui cherchent à nous avilir ofent encore nous menacer! & l'on appelle ces horribles manœuvres la constitution, la justice, l'ordre, les loix ! Au reste, toutes les mesures leur paroissent bonnes pourvu qu'elles amènent le succès.... & ceux-là fans doute ne doivent pas être scrupuleux fur le choix des moyens qui, pour arriver plus tôt que d'autres à la cour du roi constitutionnel, ont marché fur les cadavres d'un millier de pétitionnaires.... Eh! quand l'œil impartial de la postérité se promenera sur les pages de notre histoire, ce n'est pas la conduite de nos lâches calomniateurs qui surprendra nos enfans, mais bien la générosité du peuple!.... >> Avant de nous retirer, nous vous répéterons encore une fois la vérité: C'efl toujours du pied du trône que le fleuve de la corruption se répandra dans toutes les veines du corps politique. C'est le pouvoir exécutif qui est la cause de tous nos maux. Les troubles proviennent de l'anarchie; l'anarchie est le fruit des factions, & c'est la corruption de la cour qui enfante ces dernières. Tout le monde veut disposer du ministère. Il n'en feroit pas de même, si le monarque étoit moins riche & fi le peuple disposoit de toutes les places.... On peut nous infulter on peut divaguer sur l'indigence & la brutalité de la populace, on peut même se procurer le plaifir de faire tuer quelques - uns de ces miférables; mais enfin, tous ces outrages, tous ces assaffinats ne répondront pas à nos argumens: ce n'est pas avec le sang du peuple qu'on effacera les crimes de la tyrannie & les erreurs de l'assemblée conftituante. >> Vous êtes nos représentans.... Eh bien! songez aux moyens de fauver la patrie, de détourner les dangers qui la menacent. Que le péril commun vous réunisse.... Eh! pourriez-vous avoir des intérêts plus chers que ceux de vos concitoyens, de vos femmes, de vos enfans ?.... Si des hommes libres pouvoient être vaincus, ne feriezvous pas tous confondus dans les vengeances du despotisme?... Oui, ceux mêmes d'entre vous qui, par foiblesse, modération , modération ou prudence, auroient favorisé les projets des ennemis de l'égalité, périroient sur l'échafaud comme les plus zélés citoyens.... Et qu'importent aux rois de la terre quelques crimes de plus, quelques têtes de moins !.... Oui legislateurs, ne soyez pas insensibles à nos prières, à nos raifons.... Voyez le plus beau royaume du monde pressé autour de l'enceinte où vous vous rassemblez, excitant votre zèle, vous environnant de ses armes, n'attendant fon falut que de vous, mettant en vous toute fa confiance: feroit-il la proie des étrangers ou des brigands de l'intérieur ?.... Le ciel lui auroit - il réservé l'opprobre & la douleur de périr dans les angoisses de l'anarchie & les horreurs de la guerre civile?.... Vous frémissez, législateurs! Eh bien ! ce malheur est inévitable, fi vous n'êtes pas fermes & sévères, si le falut du peuple ne devient pas la base de vos délibérations. Ah! plutôt que d'être témoins de ce spectacle affligeant, plutôt que d'être les inftrumens de notre honte & de notre ruine, fouffrons toutes les horreurs de la misere & des combats; mourons s'il le faut.... Oui, mourons, législateurs! mais ne nous déshonorons pas ». A la même séance, d'autres pétitionnaires, qui se dirent auffi citoyens du faubourg Saint-Antoine, dénoncèrent M. Chabot comme un régicide & l'auteur du rafsemblement de mercredi, & cette étrange inculpation fut renvoyée au pouvoir, exécutif pour en être constatée. Nous aurons de la peine à nous familiariser avec un pareil mode de législation. Charger le roi du soin de découvrir & d'approfondir ces mêmes vils calomniateurs qui font à son service, & qui n'ont rien fait que par fes ordres & pour son argent! La fourberie pourtant fut découverte, & le député reconnu pour avoir prêché aux habitans du faubourg une doctrine toute oppofée. Louis XVI, ne voyant pas venir l'émeute dont on s'étoit flatté pour se dédommager de la journée paifible & non fanglante du 20, passa en revue, avant fon dîner dans la cour royale, la quatrième légion de la garde nationale. Sa femme n'y parut point; il n'y eut que fon fils, toujours en uniforme. Les Suisses & la gendarmerie eurent aufli l'honneur de défiler devant fa majesté défarmée. Des gens qui voient tout ont vu dans cette même journée, & très-distinctement, des ingénieurs lever avec mystères les plans du château & du jardin des Tuileries. Le foir compléta le triomphe des patriotes. Les comédiens ordinaites de la cour avoient reçu ordre tacite No. 155. Tome 12. B |