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J'ignore quelles étoient les intentions de vos aides de camp en venant chez moi, & je ne prétends pas les deviner; mais j'ai été étonné de leurs difcours, comme de leur vifite, & je vous ai expofé ce qui s'étoit palé pour que vous le jugeaffiez vous-même. One M. Lacolombe n'ait connu mon nom que dans la gazette, depuis que celui de ministre y a été joint, cela peut prouver, tout au plus, fa prédilection en fait de lecture, & la nécellité de la recommandation d'une place pour lui faire diftinguer mon nom; nous n'avons jamais marché, fur la même ligne, & nous ne fommes pas faits pour nous rencontrer. Mais feroit-ce bien l'élève de Washington, le défenfeur de la liberté française, qui s'exprime comme pourroit faire un courtisan de l'ancien régime?

Jeune encore, & appelé à des destinées brillantes dont il ne tient qu'à vous d'immortaliter l'éclat, ne craignez pas, monfieur, d'entendre dire à un homme auftère, vieilli dans l'application des principes de la philofophie, & connu dans ce monde où les fciences & les travaux utiles offroient quelques confolations aux ennemis de l'esclavage, ne craignez pas d'entendre dire que le premier figne du caractère & du génie de l'homme conftitué en autorité, eft dans l'excellent choix des dépofitaires de fa confiance, des hommes chargés de tranfmettre les ordres, ou de manifefter fes intentions.

Je préfère vous rappeler, monfieur, cette utile reflexion, à me prévaloir des avantages avec lefquels il me feroit fi facile de réjeter fur autrui je ne fais quel dédain, enveloppé dans la dèfignation d'un nom qu'on ne connoiffoit pas à la cour.

Vous auriez pu, monfieur, vous dispenser d'affirmer une chofe dont il n'a jamais été question. Vos aides-de-camp n'ont parlé ni de votre croyance, ni de vos doutes, ni même de votre perfonne; je ne vous ai mandé que ce qu'ils avoient dit, & lorfque vous vous écriez à l'occafion de M. Lacombe, non certes, il ne vous a pas dit que je doutois de mes braves foldats, on fe demande, pourquoi vous paroiffez faire une fuppofition toute gratuite, & mettre ainfi à la difcuffion ce qui n'y étoit nullement, en laillant de côté ce dont il s'agiffoit.

Encore une fois, monfieur, & tout ce réduit à ceci, j'ai été étonné de voir chez moi deux de vos agens, s'annonçant de la part du miniftre de la guerre, qui ne me les avoit pas adreffés, paroître n'y venir que pour s'exprimer avec indécence fur le compte des foldats; j'ai preffenti que cette inconfidération, s'ils la portoient ailleurs, devoit produire un mauvais effet, dont il falloit vous prévenir, & je vous ai prévenu. J'ai fu depuis que ma préfomption n'évoit que trop juftifiée, & que les mêmes propos, tenus publiquement par M. Lacombe, avoient fourni de nouveaux argumens à ceux qui, vous connoiffant mal fans doute, ne s'uniflent pas, monfieur, aux perfonnes qui font hautement votre éloge.

Il ne m'appartient pas de fonder la profondeur des trames qui ont amené les revers de Mons & de Tournay; mais je ne connois qu'une règle, 4 loi, & je ne vois contre elle en France, comme au-dehors, qu'une faction, celle des ennemis de Pégalité.

Ces ennemis, ouverts & francs au commencement de la révolution, s'appeloient alors partifans de l'ancien régime, ariftocrates. Diffimulés aujourd'hui, fous une apparence de patriotifme, parce que la conftitution étant faite, il faut avoir l'air de l'adopter pour

l'altérer

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Paltéter plus furement, ils fèment avec fracas les idées & les noms de factieux pour en faire naître.

Républicain étoit l'année dernière le mot en faveur pour prof crire l'opinion d'un homme avant qu'il eût parlé, ou pour jeter de l'odieux fur les bons citoyens dont on redoutoit la vigueur. Le vide de l'expreffion s'eft fait fentir, on ne parle plus maintenant que de fadieux, & c'eft infiniment commode pour les calomniateurs. Mais les applications menfongères ne peuvent long-temps abufer le public; il finit par connoître, punir ou méprifer fes prétendus défenfeurs qui fe fèparent de lui pour avoir l'air de le protéger. & qui ne paroiffent le fervir que pour mieux le régir ou l'infulter. Jé partage avec vous, monfieur, la haine des partis, le mépris pour leurs chefs. Je ne connois rien de plus vil après eux, que ces hommes fans talens & fans caractère, incapables de bien fervir aucune caufe, & réduits à être les agens d'un parti.

Vous profeffez, monfieur, le refped pour les loix, l'amour de la Liberté, fans doute auffi de l'égalité? car elle eft le gage de la li berté, & la bafe de notre conftitution. Vous avez jure de les fervir, vous vous devez tout entier à leur défenfe, & d'après ce que vous avez fait & promis, ce qu'on efpère & ce qu'on a droit d'exiger de vous, il ne vous eft plus poffible d'avoir de gloire, ni d'exif tence que par elles. Il n'y a plus de milieu pour vous; il faut que vous foyez l'un des héros de la révolution, ou que vous deveniez le plus infâme des Français; il faut que votre nom foit à jamais béni ou abhorré. Dans cette fituation, il faut enfin que tout ce qui vous environne annonce votre cívifme, attefte votre fincérité; c'eft à caufe de cela même que, moins prévenu, vous m'auriez remercié; & quand vous l'aurez reconnu, c'est vous seul qu'il faudra féliciter; car j'ai fait tout ce que je veux, & tout ce que je devois en vous difant la vérité.

Le miniftre de l'intérieur, ROLAND.

Cette correfpondance honore peut-être autant M. Roland que fa lettre au roi ; & d'après la vigueur qu'il a mise dans les réponses aux impertinences du marquis Lafayette, on ne doit plus refter étonné de fon expulfion.

Ici chacun fe demande fi M. Roland eft l'ami intime de M. Briflot, fi M. Briffot eft l'ami de M. Condorcet, & fi MM. Briffot & Condorcet étoient ou croyoient être les amis de Lafayette? Oui ; & quelles que foient aujour d'hui leurs déclamations contre le général, il n'en refte pas moins vrai que les francs patriotes avoient eu raifon de les foupçonner d'intelligence avec lui. La défenfe conftante des principes & des déprédations du sieur Narbonne ne laiffoit aucun doute fur la manière de penser de M. Condorcet à fon égard; mais fi on veut lire l'article de la Chronique, figné de lui dans le n°. 681, on reftera convaincu que ce qui fâche le plus M. Condorcet dans la conduite audacieufe du fieur Lafayette, c'eft de voir que Lafayette fe fépare ouvertement de ca N°. 154. Tome 12.

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qu'on nomme le parti Briflot. « M. de Lafayette, dit » M. Condorcet, eft-il l'ennemi de la liberté? Non; » mais la préférence conftante qu'il accorde aux intrigans » fur les honnêtes gens, aux gens adroits fur les hommes » éclairés, aux valets complaifans fur des amis même indul»gens, mais fermes, lui a fait commettre bien des fau»tes, & celle-ci eft la plus grave de toutes. Il lui refte un » moyen de la réparer; c'eft de rompre hautement, pu»bliquement, fans aucune réserve, avec les agens im» bécilles ou fripons qui en ont été les complices ».

N'eft-ce pas comme s'il eût dit : La préférence que M. de Lafayette accorde aux intrigans fur MM. Condorcet & Briffot, aux gens adroits fur nous hommes éclairés, aux yalets complaifans fur nous fes amis même indulgens, lui a fait commettre bien des fautes, & le feul moyen de réparer celle-ci, la plus grave de toutes, eft de rompre hautement avec les fripons qui règnent aujourd'hui, pour revenir férieusement à nous? Eft-ce là le langage d'une fainte & patriotique indignation? Eft-ce ainfi que vous voulez punir Lafayette? Jean Pierre Briflot, & vous, Condorcet, fon ami, vous, membres de la députation de la Gironde, vous tous qui avez quelque influence dans l'affemblée nationale, confeffez que vous avez été trompés par un général hypocrite & ambitieux. Vous avez été trompés, mais l'erreur n'eft point un crime. Quel eft l'homme qui n'a point été trompé dans fa vie? Sans doute Lafayette eft puiflant; ifolés, vous n'avez pas fa force; mais ralliés à la maffe des patriotes, vous l'écraferez fous la hache des loix & de l'opinion publique. Légiflateurs patriotes! ceux-là qui avoient le plus à fe plaindre de vous, vous ont foutenus dans ce moment de crife; ils ont fait le premier pas, & vous ne pouvez plus vous refufer à une réconciliation éclatante, fans trahir vos devoirs, fans trahir la patrie en danger. Soyez donc fenfibles à fa voix; entendez les accens de fes enfans de Marfeille; leur patriotisme eft bien fait pour raffurer le vôtre. Voici comme ils s'exprimoient à l'affemblée nationale, la veille du jour de 'cette infurrection tant calomniée, dont l'effet inévitable doit être, ou d'affurer ou de détruire à jamais la liberté.

«Législateurs, la liberté française eft en péril. Les hommes libres du Midi font tous levés pour la défendre. Le jour de la coère du peuple eft arrivé.

en

» Ce peuple qu'on a toujours voulu égorger ou » chaîner, las de parer des coups, à fon tour eft prêt » à en porter; las de déjouer les confpirations, il a jeté. » un regard terrible fur les confpirateurs. Ce lion gé»néreux, mais aujourd'hui trop courroucé, va fortir

de fon repos pour s'élancer contre la meute de fes » ennemis. Favorifez ce mouvement belliqueux, vous » qui êtes les conducteurs, comme les repréfentans, » du peuple, vous qui avez à vous fauver ou à périr » avec lui. La force populaire fait toute votre force, vous » l'avez en main, employez-la; une trop longue con

trainte pourroit l'égarer ou l'affoiblir. Plus de quartier, » puifque nous n'en avons plus aucun à attendre. Une. » lutte entre le defpotifme & la liberté ne peut être » qu'un combat à mort; car la liberté eft généreufe »le defpotiíme fera tôt ou tard son affaffin. Qui pense » autrement, eft un infenfé qui ne connoît ni l'hiftoire, » ni le cœur humain, ni l'infernal machiavélisme de la » tyrannie. »

» Repréfentans, le peuple français forme un vou, » celui de fecourir la patrie. Il vous demande un dé»cret qui l'autorise à marcher, avec des forces plus impo» fantes que celles que vous avez créées, vers la capitale » & les frontières. Le peuple veut abfolumens finir une » révolution qui eft fan falut & fa gloire, qui eft l'hon · »neur de l'efprit humain; il veut fe fauver & vous » fauver. Devez-vous empêcher ce mouvement fublime? » Le pouvez-vous, législateurs ? Vous ne refuferez pas » l'autorité de la loi à ceux qui veulent aller mourir pour la défendre ».

L'affemblée nationale a décrété l'impreffion de cette adreffe avec la mention honorable; elle en a décrété l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens; elle a donc reconnu elle-même le danger de la patrie & la légitimité des grandes mefures propofées par nos braves frères de Marteille. Courage, légiflateurs! De la fermeté, de l'énergie; il ne faut plus que cela pour achever la révolution. Patriotes de tous les départemens, le fignal du combat est prêt à fe donner; Marfeille vous le dit; ce fera un combat à mort; mais venez, quand il en fera temps, mourir avec nous : c'eft fur le berceau de la liberté qu'il faut que les patriotes expirent, s'ils ne peuvent la fauver.

Le peuple de Paris, cui, le peuple, & non la classe

ariftocratique du bourgeois, le peuple de Paris vient de donner à la France un grand exemple. Le roi, à l'inftigation du fieur Lafayette, a renvoyé fes miniftres patriotes; il a paralyfé du veto le décret du camp des vingt mille hommes, & celui fur la déportation des prêtres. Eh bien! le peuple s'eft levé, & lui a fignifié fon vœu fouverain de la réintégration des anciens miniftres & de la levée de ces deux veto affaffins. Il est effentiel de faire connoître les détails de cette journée mémorable.

Les faubourgs Saint-Antoine & Saint-Marceau avoient annoncé plufieurs jours d'avance une réunion confidérable de bons citoyens, pour aller, le 20 juin, anniversaire du ferment du jeu de paume, le renouveler au sein même du corps législatif, & de là au château des Tuileries, préfenter à Louis XVI une pétition qui l'engageât à fanctionner le décret contre les prêtres & celui du campement. Tous ces braves gens, la plupart fans culottes, fi l'on veut, parce qu'ils n'ont pas de honteufes nudités à cacher, avoient prévenu la municipalité de leurs réfolutions; & celle-ci, auffi loyale qu'eux, étoit paffée à l'ordre du jour, toutefois en fe propofant d'en référer au département; ce qu'elle fit.

La veille de cette espèce de fête populaire, le directoire, qui craint toujours le peuple, parce qu'il n'en est pas aimé, porta fes inquiétudes à l'affemblée nationale qui paffa auffi à l'ordre du jour. Le directoire revint à la charge le lendemain, au moment même du raffemblement; mais Rhoderer en perfonne n'eut pas plus. de fuccès que l'arrêté de la veille, & le fanctuaire des loix ne fe ferma point aux nombreux pétitionnaires qu'un autre arrêté bien plus fage de la maifon commune justifioit, en leur adjoignant tous les citoyens fous les ordres du commandant général.

En conséquence, les faubourgs réunis fur l'emplacement de la Baftille partirent en bon ordre fur les dix heures, les tables des droits de l'homme à leur tête, placées entre plufieurs pièces de canon. On rendit les mêmes honneurs à l'arbre de la liberté qu'on fe propofort de dreffer dans le jardin des Tuileries, en face du château.

Plufieurs infcriptions, qui n'annonçoient point des brigands cachant de noirs deffeins, étoient parfemées çà & dans la longueur du cortége. On y lifoit:

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