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fur l'efprit du roi un pouvoir abfolu, & tel qu'il n'avoit qu'à parler pour le faire marcher contre les ennemis à la tête de nos armées.

Infenfés partifans de cet homme hypocrite! direz-vous encore qu'il n'alloit à la cour que pour épier fes mouvemens & fervir la nation? Direz-vous que ce n'eft pas lui, conftamment lui, qui a créé ou changé le ministère? Direz-vous qu'il n'eft point un intrigant, lorsque vous avez la preuve écrite qu'il careffoit tous les partis? Direz-vous que la cour le haïffoit alors qu'il ftipuloit fi bien fes intérêts? Il n'y a de différence entre la conduite actuelle de Lafayette & celle qu'il tenoit au mois de mars 1791 que dans fon fyftême envers les Jacobins. Il les aduloit en 1791 pour s'établir médiateur entre l'affemblée conftituante & le roi ; il les diffame en 1792 pour protéger le roi contre l'affemblée légiflative: mais Lafayette n'en hait ni plus ni moins les Jacobins ; ce n'eft ici qu'une des froides combinaisons de fa miférable politique. Nous espérons qu'enfin tous les bons citoyens, défabulés par la comparaifon réfléchie de deux conduites auffi oppofées, ouvriront les yeux, verront clair, & fauront à l'avenir fe défendre du preftige incroyable de fa grande réputation.

La mémorable féance des amis de la conftitution, du 21 juin 1791, répand un nouveau jour fur le caractère & fur les crimes de Lafayette. Le roi étoit parti, la capitale étoit en infurrection Lafayette trembloit pour fes jours; & où cherche-t-il un refuge? Dans le fein des Jacobins. Il y entre accompagné de Bailly, des Lameth & du minif tère. Le courageux Danton monte à la tribune, & dit :

Meffieurs, j'ai les plus grands intérêts à traiter dans cette affemblée; & en effet, quel que foit le réfultat de cette séance, elle doit, j'ofe le dire, décider du fort de l'empire.

"Au moment où le premier fonctionnaire public vient de difparoître, ici fe réuniffent ces hommes chargés de régénérer la France, dont les uns font puiffans par leur génie, & les autres par leur grand pouvoir.

S'il étoit poffible que toutes divifions fuffent celées, la France feroit fauvée. Quoi qu'il en foit, je dois parler, & je parlerai comme fi je burinois l'hiftoire pour les fiècles à venir.

"

D'abord j'interpelle M. Lafayette de me dire pourquoi lui, fignataire du fyftême des deux chambres, de ce fyfteme deftructeur de la conflitution, vient-il fe réunir aux amis de la conftitution, dans les malheureufes circonstances où le roi fuit, pour changer, dit-il, la face de l'empire?

M, Danton a dit enfuite à M. Lafayette, que, dans les confé

rences qu'il avoit eues avec lui, lorfque les amis de la conftitution fe flattoient d'éteindre toutes femences de difcorde & de divifions, M. Lafayette lui avoit paru défirer un changement à peu près femblable à celui propofé maintenant par M. Syeyes, & qu'à cet égard il lui avoit formellement dit que le projet de M. Mounier étant trop exécré pour penfer à le faire revivre, il feroit poffible cependant de faire adopter à l'affemblée quelque chofe d'équivalent. M. Danton a défié M. Lafayettte de lui nier ce fait.

» J'interpelle, a-t-il ajouté, les membres qui font ici préfens & qui ont joué un grand rôle dans la révolution, qui connoiffent les liaisons que nous avons eues avec M. Lafayette, de dire fi ce qu'ils favent n'est pas conforme confirment ce que l'opinant avance). Par quelle étrange finguce que je dis. (Plufieurs membres larité fe fait-il, a repris M. Danton, que le roi donne pour raison de fa fuite les mêmes motifs qui vous avoient déterminé, vous, M. Lafayette, à favoriser l'établiflement de fociétés d'hommes qui étant, difiez-vous, intéreffés comme propriétaires au rétablissement de l'ordre public, balanceroient bientôt, & feroient enfuite difparoître ces fociétés de prétendus amis de la conftitution, prefque entièrement d'hommes fans aveu, & foudoyés pour perpécompofées tuer l'anarchie? Que M. Lafayette m'explique comment il a pu inviter par un ordre exprès, fans être l'ennemi de la liberté de la preffe, les gardes nationales en uniforme, même sans être de garde, d'arrêter la circulation des écrits publiés par les défenfeurs de la liberté du peuple, tandis que protection étoit accordée aux lâches, écrivains détracteurs de la conftitution. Ce n'eft pas des crimes que je cherche, mais la vérité dans fon plus grand éclat. Comment fe fait-il que M. Lafayette ait laile fubfifter les apparences du crime qu'il a commis envers la fouveraineté de la nation ne défavouant pas avec la plus grande publicité le ferment individuel dont lui a fait hommage une portion égarée de la garde nationale de Paris? Qu'on m'explique comment M. Lafayette qui, depuis le 18 avril, a fait connoître qu'il étoit inftruit du projet de la fuite du roi, a pu vouloir, dans ce jour fameux du 18 avril, employer la force publique pour protéger cette fuite vers SaintCloud, qui étoit évidemment le point central du ralliment de la famille royale & de ceux qui dirigeoient ce projet funefte. Comment le fait-il, M. Lafayette, qu'après avoir enchaîné à votre char de triomphe foixante-quatre citoyens du faubourg Saint-Antoine, entraînés par le befoin de détruire le dernier repaire de la tyrannie, le donjon de Vincennes, vous ayiez, le même foir, mis fous votre protection les affaffins armés de poignards qui vouloient protéger la fuite du roi? Je vous demanderai encore comment il peut le faire que la compagnie des grenadiers de l'Oratoire, de garde le 18 avril, jour que le roi avoit choifi pour aller à SaintCloud, & d'où vous avez chaffé fi arbitrairement quatorze grenadiers qui s'étoient oppofés au départ du roi, fût la même compagnie de garde le 21 juin?

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en

"Ne nous faifons pas d'illufion, meffieurs; la fuite du roi n'eft que le résultat d'un vafte complot. Des intelligences avec les premiers fonctionnaires publics en ont pu feules affurer l'exécution. Et vous, M. Lafayette, vous qui nous répondiez encore dernièrement de la perfonne du roi fur votre tête, paroître dans cette affemblée, est-ce avoir payé votre dette?

Vous avez juré que le roi ne partiroit pas. Ou vous avez livré votre patrie, ou vous êtes stupide d'avoir répondu d'une perfonne dont vous ne pouviez pas répondre; dans le cas le plus favorable, vous vous êtes déclaré incapable de nous commander ».

M. Lafayette, appelé à la tribune par un grand nombre de voix qui l'invitoient à répondre à M. Danton, y eft monté; il a dit à peu près : " Meffieurs, l'un des préopinans me demande pourquoi je viens me réunir à cette fociété. Je viens me réunir à cette fociété, parce que c'eft dans fon fein que tons les bons citoyens doivent fe trouver dans ces circonftances où il faut plus que jamais combattre pour la liberté; & l'on fait que j'ai dit le premier, que lorfqu'un peuple vouloit être libre, il le devenoit ".

Il a ajouté qu'il n'avoit jamais été auffi sûr de la liberté, qu'après avoir joui du fpectacle que venoit de lui offrir dans cette journée le peuple de la capitale.

M. Lafayette ne fit pas d'autre réponse; il ne répondit pas un mot aux interpellations de M. Danton: mais qu'eûtil répondu ? Comment pouvoit-il fe juftifier de crimes notoires? Le tyran n'a su que fe venger; il a fait décréter for généreux accufateur de prife-de-corps, dans l'horrible procédure du champ de Mars. Je viens me réunir à cette jo-· ciété, parce que c'est dans fon fein que tous les bons citoyens doivent fe trouver dans ces circonftances où il faut plus que jamais combattre pour la liberté.... Et dans fon manifefte à l'affemblée nationale La faction jacobite a caufé tous les défordres; c'est elle que j'en accufe hautement.... Qui croiroit que c'est le même homme qui parle ?

Mais il ne fuffit pas de le connoître, lui, individuellement; il est également utile que le public fache apprécier les perfonnages qui l'entourent, & l'on verra par les pièces fuivantes fi les aides-de-camp d'un tel général font faits pour infpirer plus de confiance que leur maître, & furtout quelle opinion l'armée doit fe former d'un maître dont les valets s'en vont prêchant par-tout la diffamation & la

calomnie.

Extrait de la correfpondance du miniftre de l'intérieur Roland, avec le général Lafayete. Première lettre du miniftre au général, Paris le 23 mai 1792, l'an quatrième de la liberté.

Je crois devoir vous rendre compte, monfieur, d'une conversation que j'ai eue avec deux officiers de votre armée :

pour

MM. Lacolombe & Berthier fe font préfentés chez moi, hier, se difant venir de la part de M. le miniftre de la guerre conférer fur le choix des bataillons qu'on pourroit retirer des environs de Paris, & dont il étoit befoin d'augmenter votre armét. J'ai répondu que M. le miniftre de la guerre avoit fait fans doute, à cet égard, des difpofitions que je ne traverferois point, ma is que vous aviez déjà, monfieur, des forces de l'ufage defquelles on devoit beaucoup efpérer. Cette propofition parut étonner aflez ces

avec

meffieurs, , pour que je duffe la juftifier; j'obferveai donc, qu'à la tête de 64,000 hommes, dont environ la moitié étoit répartie dans des places qu'elle fervoit à conferver, Lafayette fauroit, avec l'autre moitié, faire voir ce qu'on doit attendre des défenfeurs de la liberté; que d'ailleurs cette armée pouvoir fe concerter celle du Nord, & qu'enfin nos forces fur la frontière préfentoient environ cent mille hommes armés, auxquels les ennemis ne pouvoient en oppofer actuellement plus de quarante. Ces meffieurs répartirent que la fupériorité du nombre ne fauroit être trop grande; que les foldats étoient des lâches; que les gens qui difent tant qu'ils verferoient, pour la liberté, jufqu'à la dernière goutte de leur jang, ne voudroient feulement pas en répandre la premiere.

Je l'avouerai, monfieur, & la chofe & le ton dont elle fut prononcée, me causèrent autant d'indignation que de furprise. Je manifeftai l'une & l'autre avec la franchife qui eft également dans mes principes & dans mon caractère. Cette propofition, dis-je, à ces meffieurs, eft auffi fauffe en général,à l'égard de la nation qu'elle outrage, qu'elle l'eft par rapport aux foldats en commun, auxquels vous en faites une application immédiate. L'échec de Mons (que ces meffieurs voulurent citer en preuve) n'eft point un échec militaire, mais l'effet évident d'une odieufe machination. Les láches ne font point les foldats, qui depuis le commencement de la révolution n'ont ceffé de montrer leur zèle, malgré les perfécutions dont ils ont été les victimes; infultes, mauvais traitemens, cartouches jaunes, fupplices, tout a été employé contre eux, pour les détacher de la caufe dont ils font les défenfeurs, & qu'ils feront triompher. Les lâches ne font point les foldats qui, défefpérés de l'erreur de quelques-uns d'entre eux, brûlent de la réparer, de voler à l'ennemi, & feront bientôt leurs preuves fi les généraux, renonçant à une défenfive qui nous mine & nous tue, profitent de leurs avantages avant que la réunion des troupes étrangères nous oppofe des forces fupérieures. Vous parlez des fréquens exemples d'infubordination; où en eft donc la caufe? Dans l'incivifme des officiers, dans la méfiance qu'il doit faire naître. Voilà l'unique fource des irrégularités, des fautes dont on fait des reproches fi amers, & de la rareté defquelles on peut encore s'étonner. Les láches font les officiers eux-mêmes, indignes d'avoir une patrie qu'ils trahiffent; déferteurs odieux, ou démiffionnaires infidèles, ayant joui dans la paix de leur traitement, de leurs avantages, mais abandonnant leur pofte en face de l'ennemi. Dans quelle nation fut-il jamais permis de quitter ainfi l'armée au moment de l'action, fans encourir l'infamie & mériter une éclatante punition? Ils ofent encore parler d'honneur! ce nom magique avec lequel on éblouiffoit la tourbe imbécille, & qui ne fignifioit ordinairement qu'une illufion mife à la place de la vertu, eft employé dans le même inftant où ces hommes paflent à l'ennemi, avec les gratifications reçues pour leur équipage, & même en emportant le prêt de leurs foldats! Voilà les láches.

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MM. Lacolombe & Berthier me parurent étonnés de ce langage, & fe retirèrent avec quelque embarras. J'ignore s'ils étoient venus pour me connoître, car j'ai appris de M. le miniftre de la guerre qu'ils ne m'avoient point été adreffés par lui, quoiqu'ils fe fuffent annoncés de fa part. Ils m'auront vu tout entier; rien n'eft fi facile; je n'ai jamais rien à cacher, rien à quoi je ne puiffe & ne veuille donner la plus grande publicité, même au récit de cette

conversation, dont je pourrois feulement retrancher le nom de ccs metheurs, vis-à-vis de tout autre que de leur général. Au reste, eux-mêmes fe font exprimés chez moi en préfence d'un témoin; j'ai du croire que des officiers qui accufoient hautement de lacheté les foldats, devant moi qu'ils n'avoient jamais vu, & devant une perfonne qu'ils ne connoiftoient point, ne fe gênoient pas pour tenir dans Paris le même langage. Je vous laifle à juger, monfieur, de l'effet qu'il doit produire, & combien il doit étonner de la part de vos agens. Le miniftre de l'intérieur, ROLA n d.

Lettre du général au miniflre reçue le 3 juin, sans enveloppe, nontimbrée; au camp de Rancennes, le 30 mai 1792, Pan quatrième de la Liberté.

Je n'examine pas, monfieur, dans quelles vues votre lettre a été écrite, mais je ne puis croire que mon aide-de-camp ait été chez un homme dont l'existence lui étoit inconnue, avant que la gazette eût appris qu'il étoit ministre, & qu'aujourd'hui il connoît à peine de nom, tout exprès pour calomnier la nation française & l'armée de fon général.

Non certes; il ne vous a pas dit que je doutois de mes braves soldats, dont le patriotifme combat auffi courageufement les ennemis du dehors, que leur difcipline défcfpère ceux du dedans, & dont l'attachement aux principes qu'eux & moi profeffons, dérangent les vues inconftitutionnelles de plus d'un parti. Peut-être MM. Lacolombe & Berthier vous ont-ils exprimé leur indignation contre les fuyards de Mons & de Tournay, effet funefte, mais prévu, d'une infernale combinaifon entre les coupables agens du defpotifme & de l'ariftocratie, et ces vils hypocrites de la liberté qui concourent avec eux à notre déforganisation.

Perfonne n'a plus éprouvé que moi, monfieur, la lâcheté des officiers déferteurs. Mes explications avec eux avoient été fi franches, fi impartiales, malgré l'oppofition de ces fentimens, qu'une telle perfidie ne peut pas même, dans leurs préjugés, échapper au déshonneur qui les attend par-tout.

Quant à mon armée, telle qu'elle exifte aujourd'hui, je compte fur elle autant qu'elle compte fur moi; notre confiance réciproque eft fondée fur l'amour de la liberté, le refpect des loix, la haine des factions & le mépris pour leurs chefs. Le général d'armée, figne, LAFAYETTE.

P. S. Je me difpenfe, monfieur, de relever vos erreurs militaires, elles font réfutées d'avance dans la correfpondance de M. le maréchal Luckner & la mienne avec le miniftre de la guerre. LAFAYETTE. Le ministre au général. Paris, le 6 juin 1792, l'an 4 de la liberté. Vous n'examinez pas, monfieur, dans quelles vues je vous ai écrit. Je crois qu'un examen n'étoit pas néceffaire pour les reconnoitre; un fentiment jufte & prompt pouvoit aifément les faifir, & vous ne fauriez vous diffimuler quelles étoient celles d'un citoyen qui connoît fes droits & fes devoirs, d'un ami de la liberté qui s'étonnoit de ne pas entendre fon langage dans la bouche de vos agens, & d'un homme en place qui aimoit à avoir pour vous l'égard de vous prévenir de ce que vous deviez être intéreffé à

connoître.

Quant à ce que vous ne pouvez croire, monfieur, il s'agit d'un fait, auquel votre incrédulité, comme ma furprife, ne pourroit rien changer.

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