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légiflatif s'eft écarté de fes devoirs, & il le rappelle à Fordre; il lui dénonce la fociété des Jacobins & toutes les fociétés d'amis de la conftitution de l'empire; il le fomme pour ainfi dire de les empêcher de s'affembler: Cromwel, s'adreffant au parlement d'Angleterre, a débuté avec moins d'éclat. Principiis obfta: il est temps que l'af femblée nationale réponde à ce téméraire; Lafayette eft le chef de la faction coupable de la minorité de la nobleffe; Lafayette fe déclare l'ennemi de la chofe publique; fa lettre tend à avilir le corps législatif; elle n'est d'un bout à l'autre que le langage d'un oppreffeur: fi l'affemblée nationale ne mande pas fon auteur à la barre, fi elle ne prend demain le parti d'humilier ce front fuperbe, fi elle ne déclare que Lafayette a perdu fa confiance & celle de la nation, fi, après qu'il aura légalement reconnu fa fignature, elle ne le décrète pas d'accufation, la liberté n'est pas anéantie, car tous les efforts humains ne l'anéantiront point en France; mais elle est à coup sûr opprimée.

Lorique les généraux de Rome devenoient dangereux pour la liberté, lorfqu'ils menaçoient la franchife des fuffrages ou des délibérations; que faifoit le fénat? il les rappeloit, & les tribuns les citoient devant les affemblées du peuple. Serons-nous moins Romains que les habitans de Rome? & nous laifferons-nous dompter par nos propres forces? C'est peut-être du parti que prendra l'affemblée nationale à l'égard de Lafayette que dépend", non la destinée de la France, mais la destinée de deux millions de Français qui doivent périr, qui périront victimes de la guerre civile toute prête à s'allumer, & dont la lettre de Lafayette eft la première étincelle. Lafayette n'aura de force qu'à proportion que l'affemblée nationale montrera de foibleffe. Si elle ne le frappe pas, fon audace & fon infolence ne connoîtront plus de bornes. Voilà, voilà pourquoi Lafayette & l'état-major de la garde parifienne & tous les ennemis de la révolution fe font fi fortement oppofés au décret du camp de vingt mille hommes: ce camp eût protégé l'affemblée nationale, il eût protégé les fociétés populaires, tous les citoyens honnêtes, tous les amis de la liber é; & ce ne font pas là les vues de la faction de la minorité de la noblesse, dirigée par le directoire du département de Paris, & commandée par Lafayette: nous oferions prefque affurer

que c'eft lui feul qui a fait frapper du veto cette mefure inftante de falut public; nous en trouvons la preuve dans fa lettre au roi, que voici toute entière; elle eft de la même date que celle adreffée à l'assemblée natio nale.

SIRE, j'ai l'honneur d'envoyer à votre majefé la copie d'une lettre à l'affemblée nationale, où elle retrouvera l'expreffion des fentimens qui ont animé ma vie entière. Le roi fait avec quelle ardeur, avec quelle conftance j'ai de tout temps été dévoué à la caufe de la liberté, aux principes facrés de l'humanité, de l'égalité, de la juftice. Il fait que toujours je fus l'adverfaire des factions, l'ennemi de la licence, & que jamais aucune puifance que je penfois êtré illégitime, ne fut reconnue par moi il connoît mon dévoument à fon autorité conftitutionnelle, & mon attachement à fa perfonne, Voilà, fire, quelles ont été les bafes de ma lettre à l'aflemblée nationale: voilà quelles feront celles de ma conduite envers ma patrie & votre majefté, au milieu des orages que tant de combinaifons hoftiles ou fafticufes attirent à l'envi fur nous,

Il ne m'appartient pas, fire, de donner à mes opinions, à mes démarches une plus haute importance que ne doivent avoir les aftes ifolés d'un fimple citoyen; mais l'expreffion de mes pensées fut toujours un droit, & dans cette occafion devient un devoir; & quoique je l'eufle rempli plutôt, fi ma voix, au lieu de fe faire entendre au milieu d'un camp, avoit dû partir du fond de la retraite à laquelle les dangers de ma patrie m'ont arraché, je ne pense point qu'aucune fonction publique, aucune confidération perfonpelle me difpenfe d'exercer ce devoir d'un citoyen, ce droit d'un homme libre.

Perfifter, fire, fort de l'autorité que la volonté nationale vous a déléguée, dans la généreufe réfolution de défendre les principes. conflitutionnels contre tous leurs ennemis: que cette réfolution, foutenue par tous les actes de votre vie privée, comme par un exercice ferme & complet du pouvoir royal, devienne le gage de l'harmonie qui, fur-tout dans les momens de crife, ne peut manquer de s'établir entre les repréfentans élus du peuple & fon repréfentant héréditaire. C'est dans cette réfolution, fire, que font pour la patrie, pour vous, la gloire & le falut. Là, vous trouverez les amis de la liberté, tous les bons Français, rangés autour de votre trône pour le défendre contre les complots des rebelles & les entreprites des factieux. Et moi, fire, qui dans leur honorable haine ai trouvé la récompenfe de ma perfévérante oppofition, je la mériterai toujours par mon zèle à fervir la caufe à laquelle ma vie entière eft dévouée, & par ma fidélité au ferment que j'ai prêté à la nation, à la loi & au roi.

Tels font, fire, les fentimens l'hommage à celui de mon respect.

inaltérables dont je joins ici

Signé, LA FAYETTE,

Si cette lettre ne rend pas le général coupable du crime de haute trahifon, il n'y a pas de haute trahison en France. Dans quel moment eft-elle écrite Dans le me ment du renvoi de trois miniftres patriotes; dans le mo

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ment que le roi leur donnoit pour fucceffeurs les trois individus que nous venons de citer; dans le moment où le roi donnoit à fa garde licenciée pour cause d'incivisme des témoignages de fa fatisfaction perfonnelle; dans le moment où le roi défendoit lui-même le comité autrichien, en fe portant le dénonciateur des dénonciateurs de ce comité perfide; dans le moment où le comité de furveillance attefte qu'il a encore voulu fuir le 30 du mois de mai dernier; dans le moment où le roi eft plus fanatifé que jamais; dans le moment où il vient de publier un teflament fait en faveur de tous les partisans de fon autorité; dans le moment enfin où il menaçoit d'appofer fon veto liberticide à deux décrets commandés par l'opinion & le befoin publics. Et dans cet inftant qu'un général factieux, à la tête d'une armée nombreuse & pleine de valeur, dit au roi: Perfiflez, fire!.. perfifter dans l'exercice ferme & complet du pouvoir royal.... c'està-dire, paralyfez les décrets du corps légiflatif, entravez la machine du gouvernement, défolez l'empire, chaffez tous les miniftres qui feront honnêtes & patriotes, fuyez une deuxième fois, renouvelez les fcènes de Montmédi & Varennes, opprimez le peuple fous le joug de la loi, accablez-le de tout le poids de la prérogative royale, dégoûtez-le de la révolution, protégez-en tous les ennemis, & je volerai avec mon armée pour défendre votre trône contre les projets de tous ceux qui veulent vous faire marcher dans le fentier de la liberté. Et l'on dit que cet homme aime la révolution, l'égalité; qu'il eft le défenfeur des droits du peuple !... J'ai, dit-il, donné à l'affemblée conftituante un projet de déclaration des droits. Oui, il a donné un projet de déclaration des droits; mais n'a-t-il pas auffi figné la proteftation de la nobleffe en faveur des deux chambres ? n'a-t-il pas toujours été le partifan de ce fyftême aristocratique? & fon projet de déclaration, rejeté par les députés des communes, n'étoitil pas plutôt un projet de déclaration des droits de la nobleffe que des droits de la nation? Singe de Cromwel, tu en as tous les vices, fans en avoir le courage; va! tu ne feras jamais que le vil imitateur de Monck. Général factieux, protecteur de la tyrannie, naguère tu faifois publier par tes créatures que tu étois républicain; naguère tu flattois tous les amis de la liberté in

définie,

!

que

définie, & aujourd'hui l'élève de Wafingthon n'eft plus
le chevalier de Louis XVI, le défenfeur officieux du
veto & l'accufateur public des clubs. Cette métamorphofe
ne réalife que trop ce que nous difions il y a deux
mois, ce que nous avons toujours dit; favoir,
que
La-
fayette n'avoit jamais pris aucun parti décifif dans la
révolution, & qu'il n'avoit eu d'autre art que celui de
fe tenir en fituation de choisir le rôle qui flatteroit le
plus fon organe
ou qui feroit le plus conforme à fes
moyens. On va juger par la pièce fuivante de l'étendue
du caractère de ce grand homme. Cette pièce contient
les préliminaires d'un traité de paix propofé en 1791
entre les Jacobins, d'une part, & le club 89 & La-
fayette de l'autre. Tous les articles font tracés de la main
propre du général; le propriétaire de cet écrit l'a dé-
pofé en nos mains, en nous permettant de le garder
quinze jours, & d'en donner inspection à tous les incré-
dules qui voudront s'aflurer ex vifu,s'il eft vrai que celui
qui dénonce aujourd'hui les Jacobins avec tant d'achar
nement, a fait il y a quatorze mois, des démarches in-
croyables pour fe rallier à eux.

Sur la néceffité de changer les miniftres & de les prendre hors l'affemblée nationale.

Sur les bruits d'une contre-révolution, fur les principes à établir pour terminer la conftitution.

Si l'on prend des miniftres dont je réponde, le club des Jacobins s'engage-t-il a les foutenir, & à leur donner confidération dans l'opinion publique parce que fi l'on les traite avec confidération on fera plus à portée de les choifir hors, ce qui formoit à peu près la première clatte.

?

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A quelle époque pourra-t-on faire la convocation de la première légiflature?

que

Il conviendra pour que M. L. F. aille aux Jacobins 2 que nous nous foyons rencontré quelquefois dans les mêmes principes dans la tribune de l'affemblée nationale, & dans quelque circonftance, comme d'une motion à foutenir, ou de quelque l'honnêteté de la part des Jacobins, le mette dans le cas d'y aller. L'occafion en fera très-prochaine fi les bruits de contre-révolution, fur la quelle il a déjà beaucoup de notions, font une commotion qui rallie tous les bons citoyens à fe rallier au général.

Au furplus, une fois convenu de tous les faits, & le ministère renouvellé, le prétexte de ce rapprochement fera facile à trouver. Je pourrai avoir une ou deux fois la femaine quelques comités des chefs de 89 à l'hôtel de la Rochefoucault, pour leur infpirer les idées adoptées entre nous, & quand M. L. F. fera des motions elles pafferont fans difficulté des deux côtés, fauf aux deux clubs à fe difputer fur les questions ordinaires; mais dans les importantes les Jacobins pourront s'expliquer, & fans paroître à 89, on les fera appnyer de manière à les faire adopter.

No. 154. Tome 12,

Convenu à mi-marge de quelques motions inftantes relatives à la difcipline de l'armée, au moyen de nous préparer à être en état de défense, & cependant de prendre beaucoup de précautions qui nous manquent contre l'abus que le roi pourroit faire de l'autorité qui lui eft confiée fur les troupes réglées, & qui doit être grande; celle, par exemple, qu'il ne pouifle pas raflembler une trop grande quantité de troupes, fans un décret du corps légiflatif.

Faire une définition du pouvoir exécutif, qui marque clairement ce qu'il doit être, ainfi que fes miniftres, dans la conftitution, & ce qui forme effentiellement la fonction royale, appelée par abus prérogative royale. C'eft de cette manière que nous pourrons montrer au roi ce qu'il demande depuis trés-long-temps, de favoir à quoi s'en tenir.

On ne laiffera rien dans fes mains fi l'on veut, mais il faut le Jui montrer pour le convaincre & l'aflurer que c'eft dans les mains de M. L. F. Il faura alors à qui il aura obligation; il fe défera de fes préjugés contre certains individus, & l'on peut par là le rendre inacceffible à toutes les infinuations, & répondre parfaitement de lui, au point de le faire combattre, fi l'on le veut, en cas d'invafion, à la tête de l'armée, pour foutenir la conftitution. Il fera toutes les chofes de détail qu'on défirera, & il faura enfin que c'eft au club des Jacobins, & non pas à celui de 89, que l'on doit la fin du travail; ce qui le tiendra très-difpofé à adopter nos mefures, & même à nous avertir fi l'on lui en préfentoit d'autres.

On voit par cet écrit que M. Lafayette fentoit dès ce mois de mars, (car l'écrit eft de cette époque ) que M. de Lafayette fentoit la néceffité de renouveler le ministère, qu'il avoit la puiffance d'opérer ce renouvellement, qu'il mendioit en faveur d'un miniftère de fon choix l'opinion de cette même fociété qu'il calomnie aujourd'hui avec autant de fureur que Léopold; que fon infinence dans l'affemblée nationale y étoit telle, qu'il croyoit pouvoir fixer le terme de la convocation de la première légiflature; qu'il étoit alors difpofé à régler fa voix fur le diapafon des Jacobins; qu'il ne prenoit ces difpofitions que pour rallier autour de lui tous les hommes puiffans dans l'opinion publique; qu'il n'étoit embarraffé que de trouver un pretexte pour retourner aux Jacobins ; qu'il vouloit faire adopter toutes fes motions tant par le club des Jacobins que par le club 89; que lui-même vouloit limiter l'autorité du roi fur la force armée; qu'il ne vouloit opérer cette réunion des Jacobins avec les 89 que pour s'en faire un mérite auprès du roi, à qui il auroit prouvé par écrit que lui, général de l'armée parifienne, étoit le dépofitaire & le difpenfateur du plus ou moins de force qui feroit attribuée. à la fandtion royale; enfin, qu'il fe vantoit dès-lors d'avoir

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