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» Vous devez, meffieurs, les réprimer; & vous n'ent aurez la puiffance qu'autant que vous ferez conftitutionnels & juftes.

»Vous le voulez fans doute; mais portez vos regards fur ce qui fe paffe dans votre fein & autour de

vour.

» Pouvez-vous vous diffimuler qu'une faction, &, pour éviter les dénominations vagues, que la faction jacobite a caufé tous les défordres? C'eft elle que j'en accufe hautement. Organifée comme un empire à part dans fa métropole & dans fes affiliations, aveuglément dirigée par quelques chefs ambitieux, cette fecte forme une corporation diftinéte au milieu du peuple français, dont elle ufurpe les pouvoirs en fubjuguant fes représentans & fes mandataires.

» C'est là que, dans des féances publiques, l'amour des loix fe nonme ariftocratie, & leur infraction, patriotifme; là les affaffins de Defilles reçoivent des triomphes; les crimes de Jourdan trouvent des panégyriftes; là le récit de l'affaffinat qui a fouillé la ville de Metz vient encore d'exciter d'infernales acclamations.

» Croira-t-on échapper à ces reproches en fe targuant d'un manifefte autrichien où ces fectaires font nommés? Sont-ils devenue facrés, parce que Léopold a prononcé leur nom? Et parce que nous devons combattre les étrangers qui s'immifcent dans nos querelles, fommes-nous difpentés de délivrer notre patrie d'une tyrannie domef fique ?

Qu'importent à ce devoir & les projets des étrangers, & leur connivence avec des contre-révolutionnaires, & leur influence fur des amis tièdes de la liberté ? C'est moi qui vous dénonce cette fecte, moi qui, fans parler de ma vie paffée, puis répondre à ceux qui feindroient de me fufpecter: «Approchez dans ce moment de crife

où le caractère de chacun va être connu, & voyons » qui de nous, plus inflexible dans fes principes, plus » opiniâtre dans fa réfiftance, bravera mieux ces obfta»cles & ces dangers que des traîtres diffimulent à leur » patrie, & que les vrais citoyens favent calculer & affron» ter pour elle ».

» Et comment tarderois-je plus long-temps à remplir ce devoir, lorfque chaque jour affoiblit les autorités conftituées, fubftitue l'efprit d'un parti à la volonté du peuple; No. 154. Tome 12.

B

lorfque l'audace des agit ateurs impofe filence aux citoyens paifibles, écarte les hommes utiles, & lorfque le dévoûment fectaire tient lieu des vertus privées & publiques qui, dans un pays libre, doivent être l'auftère & unique moyen de parvenir aux premiéres fonctions du gouver

nement?

» C'eft après avoir oppofé à tous les obftacles, tous les piéges le courageux & perfévérant patriotime d'une armée, facrifiée peut être à des combinaifons contre fon chef, que je puis aujourd'hui oppofer à cette faction la correfpondance d'un miniftère, digne produit de fon club, cette correfpondance dont tous les calculs font faux, les promeffes vaines, les renfeignemens trompeurs ou frivoles, les confeils perfides ou contradictoires; où, après m'avoir preffé de m'avancer fans précautions, d'attaquer fans moyens, on commençoit à me dire que la réfistance alloit devenir impoffible, forfque mon indignation a repouffé cette lâche affertion.

» Quelle remarquable conformité de langage, meffieurs, entre les factieux que l'ariftocratie avoue, & ceux qui ufurpent le nom de patriotes! Tous veulent renverser nos loix, fe réjouiflent des défordres, s'élèvent contre les au torités que le peuple a conférées, déteftent la garde nationale, prêchent à l'armée l'indifcipline, fèment tantôt la méfiance & tantôt le découragement.

» Quant à moi, meffieurs, qui époufai la caufe américaine au moment même où fes ambaffadeurs me décla rèrent qu'elle étoit perdue, qui dès-lors me vouai à une perfévérante défenfe de la liberté & de la fouveraineté des peuples, qui, le 11 juillet 1789, en préfentant à ma patrie une déclaration des droits, ofai lui dire: Pour qu'une nation foit libre, il fuffit qu'elle veuille l'ête, je viens aujourd'hui, plein de confiance dans la juftice de notre caufe, de mépris pour les lâches qui la défertent & d'indignation contre les traîtres qui voudroient la fouiller; je viens déclarer que la nation françaife, fi elle n'eft. pas la plus vile de l'univers, peut & doit réfifter à la conjuration des rois qu'on a coalifés contre elle.

Ce n'eft pas fans doute au milieu de ma brave armée que les fentimens timides font permis: patriotifme, energie, difcipline, patience, confiance mutuelle, toutes les vertus civiques & militaires, je les trouve ici. Ici les principes de liberté & d'égalité font chéris, les loix ref

petées, la propriété facrée; ici l'on ne connoit mi les calomnies, ni les factions; & lorfque je fonge que la France a plufieurs millions d'hommes qui peuvent devenir de pareils foldats, je me demande: à quel degré d'aviliffement feroit donc réduit un peuple immenfe, plus fort encore par fes reffources naturelles que par les défenfes de l'art, oppofant à une confédération monftrueufe l'avantage des combinaisons uniques, pour que la lâche idée de facrifier fa fouveraineté, de tranfiger für fa liberté, en négociation la déclaration des droits, ait pu paroître une des poffibilités de l'avenir qui s'avance avec rapidité fur nous !

de mettre

» Mais pour que nous, foldats de la liberté, combattions avec efficacité, ou mourrions avec fruit pour elle, il faut que le nombre des défenfeurs de la patrie foit promptement proportionné à celui de fes adverfaires; que les approvifionnemens de tout genre fe multiplient, & facilitent nos mouvemens; que le bien-être des troupes, leurs fournitures, leur paiement, les foins relatifs à leur fanté ne foient plus foumis à de fatales lenteurs, ou à de prétendues épargnes qui tournent en fens inverse de leur but.

»Il faut fur-tout que les citoyens ralliés autour de la conftitution foient affurés que les droits qu'elle garantit feront refpectés avec une fidélité religieufe qui fera le défelpoir de fes ennemis cachés ou publics.

»Ne repouffez pas ce vou: c'est celui des amis fintères de votre autorité légitime. Affurés qu'aucune conféquence injufte ne peut découler d'un principe pur, qu'au cune mefure tyrannique ne peut fervir une caufe qui doit fa force & fa gloire aux bafes facrées de la liberté & de l'égalité, faites que la juftice criminelle reprenne ía marche conftitutionnelle; que l'égalité civile, que la liqerté religieufe jouiffent de l'entière application des vrais principes.

"Que le pouvoir royal foit intact, car il eft garanti par la conftitution; qu'il foit indépendant, car cette indépendance eft un des refforts de notre liberté; que le roi foit révéré, car il eft invefti de la majefté nationale; qu'il puiffe choifir un ministère qui ne porte les chaînes d'a cune faction; & que s'il exifte des confpirateurs, ils ne périffent que fous le glaive, de la loi.

» Enfin, que le règne des clubs, anéanti par vous,

faffe place au règne de la loi, leurs ufurpations à l'exercice ferme & indépendant des autorités conftituées, leurs maximes déforganifatrices aux vrais principes de la liberté, leur fureur délirante au courage calme & conftant d'une nation qui connoît fes droits & les défend; enfin, leurs combinaisons fectaires aux véritables intérêts de la patrie, qui, dans ce moment de danger, doit réunir tous ceux pour qui fon afferviffement & fa ruine ne font pas les objets d'une atroce jouiffance & d'une infâme fpéculation. »Telles font, meffieurs, les repréfentations & les pétitions que foumet à l'aflemblée nationale, comme il les a foumis au roi, un citoyen à qui l'on ne difputera pas de bonne foi l'amour de la liberté; que les diverfes factions haïroient moins, s'il ne s'étoit élevé au - deffus d'elles par fon défintéreffement; auquel le filence eût mieux convenu, fi, comme tant d'autres, il eût été indifférent à la gloire de l'affemblée nationale, & à la confiance dont il importe qu'elle foit environnée, & qui luimême, enfin, ne pouvoit mieux lui témoigner la fienne, qu'en lui montrant la vérité fans déguisement.

» Meffieurs, j'ai obéi à ma confcience, à mes fermens: je le devois à la patrie, à vous, au roi, & fur-tout à moi-même, à qui les chances de la guerre ne permettent pas d'ajourner les obfervations que je crois utiles, & qui aime à penfer que l'affemblée nationale y trouvera un nouvel hommage de mon dévoûment à fon autorité conflitutionnelle, de ma reconnoiffance perfonnelle, & de mon respect pour elle.

Signé, LAFAYETTE ».

Avant d'entrer en difcuffion fur l'efprit de cette lettre; il eft bon d'obferver qu'elle est datée du 16 juin, au camp de Maubeuge; que le 18 matin elle a été remise à un huifier de l'affemblée nationale par un domestique dui fieur la Rochefoucault, préfident du directoire du département qu'il en a été donné lecture vers une heure après midi, & que dans la matinée du même jour 18 plufieurs journaux ariftocratiques avoient annoncé le contenu de cette même lettre dont ils donnoient des extraits. Lifez la nouvelle correfpondance, politique par Pelletier, & le journal de Fontenai, page 687, vous verrez la preuve de cette affertion: ces deux journaux, qui valent la Gazette de Paris & l'Ami du Roi, difoient le 18

matin tout ce que les journaux, qui n'étoient point initiés, n'ont fu & n'ont pu favoir que le 18 après diner. Il eft matériellement néceffaire que la lettre de Lafayette à l'affemblée nationale leur ait été communiquée; & par qui le fut-elle, fi ce n'eft par le fieur la Rochefoucault, qui eut la gaucherie de la faire remettre à l'affemblée par fon domeftique? Ces petits rapprochemens prouvent jufqu'à l'évidence que le département de Paris, que fon préfident fur-tout font les complices de Lafayette. Refte à examiner fi celui-ci eft coupable, & nous ne penfons pas que cet examen doive être ni long, ni férieux. Avant de l'aborder, nous obferverons que dans le commencement de fa lettre, datée du 16, près Maubeuge, M. Lafayette fuppofe affirmativement la retraite du fieur Dumourier; çar c'eft fûrement l'amant de la fœur de Rivarol qu'il notoit par ces mots: Equivoque & fcandaleufe exiflchce; or le fieur Dumourier n'a donné fa démiffion que ce même jour 16 juin; donc il y a lieu de croire & même d'affurer que le directoire du département avoit ici la fignature de Lafayette en blanc, pour s'en fervir à la première occafion favorable: mais c'est une bien grande mal-adresse que d'avoir ainfi fait du général un prophète; le directoire s'eft démafqué lui

même.

Nous ne rappellerons pas ici que la force armée eft effentiellement obéiffante; que les généraux, fubordonnés au miniftre de la guerre, ne doivent correfpondre qu'avec lui; qu'ils doivent refpecter aveuglément les décrets des repréfentans de la nation; qu'un général d'armée n'est point un citoyen ordinaire; que tout ce qui émane de lui imprime néceffairement un caractère de menace & de terreur; que les confeils d'un général en fonctions ne font plus que des ordres, & qu'un général qui donne des confeils aux repréfentans dn peuple n'eft plus qu'un tyran. Le peuple eft aujourd'hui familier avec ces grands. principes de politique; mais ce que nous dirons, c'eft que Lafayette eft dans tous les cas ci-deffus prévus. On par adreffe affecté de douter que cette lettre fût de lui; mais la fignature eft bien de fa main; Lafayette à la tête d'une armée fait à cette armee l'injure de ne plus la regarder comme une armée nationale, il l'appelle mon arme; Lafayette s'établit en puiffance médiatrice entre l'affemblée nationale & le roi: il prétend que le corps

a

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