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vez à l'inftant où nous venons d'obtenir la caffation dẹ l'état-major parifien, rempli de petits Boullés impatiens de laver dans le fang du peuple l'outrage prétendu fait à

leur maître.

Ah! foyez les bien venus; nos bras & nos cœurs vous font ouverts, ainfi que nos maifons. Mais nos fections de 1792 n'imiteront pas les diftricts de 1790; la fraternité peut fe paffer de ces banquets (1) fomptueux, de ces bals, de ces concerts qui furent donnés fur nos places publiques aux fédérés, comme pour les diftraire des grands intérêts de la patrie, & pour infulter à la mifère du peuple, qui fembleroit n'avoir fait la révolution que pour compte & les menus plaifirs des riches.

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Tout le monde cependant ici ne vous verra pas d'auffi bon œil que nous. Notre ennemi domeftique & conftitutionnel veille aux Tuileries. Votre préfence fubite lui caufera des inquiétudes de plus d'une espèce. Il a tout fait pour vous éloigner du champ de la fédération; attendez-vous qu'il fera tout pour rendre votre voyage au moins inutile. Se promettroit-il les mêmes fuccès qu'il obtint fi facilement des fédérés de 1790 !

Mais pourquoi vous rappeler la conduite de vos prédéceffeurs? Venus ici comine des Spartiates, s'ils s'en retournèrent comme des Sybarites ou des Ilotes, c'eft qu'il y avoit alors des idoles à Paris ; c'eft que Louis XVI & Lafayette n'étoient encore bien connus que de ces obfervateurs pénétrans qui n'attendent pas les événemens pour juger les hommes; c'eft que l'austérité des principes d'un peuple libre & la gravité des événemens qui ont fuivi la conquête de la liberté n'avoient pas encore eu temps d'influer fur notre caractère & fur nos mœurs. Nous ignorions alors que fi l'enfantement de la liberté fut prefque fans douleur, il nous falloit veiller autour de fon berceau, dans la crainte que des ferpens ne s'y glif faffent, comme on le raconte d'Hercule nouveau né, leque! étouffa deux monftres que l'altière & vindicativeJunon avoit détachés pour le perdre. Ce que nous n'avions pas prévu alors arrive aujourd'hui. Nos ennemis

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(1) Plufieurs de ces repas & de ces fêtes font encore dus aux fourniffeurs.

ne font pas tous aux portes de l'empire; il en eft un que nous avons réchauffé dans notre fein, & à qui nous avons accordé la plus belle place dans notre conftitution & le traître s'y tient renfermé comme dans un fort inexpugnable. Hélas! le ver a déjà piqué l'arbre de la liberté.

Braves compatriotes, il ne faut pas que le 14 de juillet 1792 fe paffe d'une manière auffi infignifiante, foit auffi hoid que le 14 de juillet 1791; il ne faut pas non plus qu'il dégénère en vain appareil & en cérémonial superstitieux

comme en 1790.

Un général beaucoup trop fameux ne s'y trouvera point fans doute cette fois, comme aux deux années précédentes, pour y concentrer fur fa perfonne & fon cheval blanc les regards de toute une multitude ébahie. Lafayette n'y fera point, diftribuant à droite & à gauche fur son paffage ces fouris perfides, & développant ces graces maniérées qui lui ont valu les bravo des femmes. Quoi qu'en ait dit à la tribune de l'assemblée nationale l'éloquent Vergniaud dans un réfumé peu digne de fon beaut difcours, nous n'y verrons pas non plus Louis XVI y renouveler fon ferment civique qu'il a déjà fauffé tant de fois. Ce tartuffe couronné jurera tant que nous le voudrons; les prêtres ont donné à fa confcience toute latitude néceffaire en pareil cas. Mais fans attendre le meffage conciliatoire propofé à l'affemblée nationale, voilà que Louisle-Faux demande à fe préfenter à l'autel fédératif, pour y tendre à la nation une main facrilége. Citoyens des quatre-vingt-trois départemens, vous êtes le plus lâche, le plus vil de tous les peuples fi vous êtes capables d'honorer encore cette fois-ci de vos applaudiffemens une démarche tout au moins fufpecte, & dictée par les circonftances! Immobiles & dans le filence le plus morne, que plutôt Louis XVI life fur vos fronts févères l'irrévocable arrêt que cette même conftitution, dont il invoque fi fouvent la lettre, pour en tuer l'efprit, a décrété contre tout fonctionnaire public parjure & traître à la nation. Qu'un maintien grave & ferme lui apprenne que les beaux jours du royalifme font paffés; que vous n'êtes point accourus du fond de vos départemens, & que nous ne fommes pas raffemblés devant lui comme un fot bétail qui fe preffe autour du berger, en attendant l'heure d'être livré au boucher. Que Louis XVI contemple tout à loisir

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un demi-million d'hommes debout, armés, réfolus de périr tous jufqu'au dernier avant qu'un feul d'entr'eux ait ceffé d'être libre. Que les piques & les baïonnettes, les fans-culottes & les uniformes, le pauvre & le riche, le citoyen éclairé & celui qui n'a, pour ainfi dire, que l'inftinét de la liberté & le fentiment de fes droits, que tout ce monde fans diftinction, fans barrière, fans lacunes, rempliffe fraternellement tout l'efpace du centre à la circonférence du champ, & ne fouffre point ce cordon inju rieux de fentinelles qui, les années précédentes, interdifoit à la nation l'approche de l'autel fédératif. Il faut que Louis XVI, avant de partir pour la tente de Monck qui l'attend, fe pénètre bien de ce grand spectacle; mais il ne faut pas qu'il puiffe dire en rentrant chez lui: cent mille citoyens ont tout quitté, & font accourus de tous les points de l'empire pour m'inviter, de concert avec les Parifiens, à tenir déformais une conduite plus loyale, eh bien! ils s'en font allés comme ils font venus; je leur en ai impofé affez pour les contenir dans les bornes du refpect & du filence que le peuple doit à la majesté royale.

Oh! non, fans doute, il n'en fera pas ainfi ; fans doute que du fein de la foule un chaud Marseillois ou un Dauphinois plein d'énergie, ou un Breton ardent, élevant au haut de fa pique le bonnet de la liberté, y fera lire ces mots écrits en gros caractères: Au nom de tous les départemens, un citoyen demande à porter la parole au roi. Décemment Louis XVI ne pourroit guère le refufer à l'entendre. C'eft alors que dans un difcours pofitif, qui ferviroit de complément à l'éloquente hypothèse de Vergniaud, il pourroit dire au roi, le bonnet de la liberté fur la tête: Louis, je viens te répéter en face ce que nos repréfentans ofent à peine hasarder dans la tribune fur ton compte; fans prendre, comme eux, de vains détours, je viens te déclarer que tu as perdu la confiance de la nation. Tu peux te difpenfer de renouveler ton ferment civique; ce ne font plus des fermens qu'il nous faut; nous ne favons que trop ce qu'ils valent dans la bouche des rois, & fur-tout dans la tienne. Les Cimbres, affligés d'une difette, traînèrent à l'échafaud leur roi pour n'avoir pas veillé mieux à leurs premiers befoins. Si nous reffemblions aujourd'hui aux Danois de ce temps-là, Louis, Téponds, à quel fupplice ne devrois-tu pas t'atendre ?.....

Cependant ne pális point, nous ne te voulons pas de mal; nous ferons généreux envers tei jufqu'au bout; ce n'eft pas d'aujourd'hui que tu as éprouvé notre clémence. Il te fouvient du voyage que tu fis à Varennes, déguisé en valet de chambre; nous te l'avons pardonné; nous respectons plus que toi le caractère augufte dont nous t'avons revêtu; nous ne te propoferons même pas de coiffer une feconde fois le bonnet de la liberté : tu t'y prêtas avec tant de mauvaise foi à la journée du vingt! Cependant quel diadême fied mieux fur le front du roi d'un peuple libre ?

Du moins fixe les yeux un moment fur cette maffe, impofante, compofée de citoyens de tous les départemens. Ce million d'hommes t'en représente 24 autres millions. Depuis quatre années révolues, (nous voulons bien në pas remonter plus haut) n'eft-il pas inoui que tout ce monde, qu'une nation toute entière foit dans des tranfes continuelles, fouffre & s'épuise à caufe de toi? N'est-il pas honteux que nos familles, nos biens, nos travaux notre commerce, l'existence de tout un peuple foit à la merci d'un individu tel que toi? Nos neveux ne dront pas le croire.

vou

En nous donnant une conflitution, nous pouvions nous paffer d'un roi, & nous devions peut-être détruire la race des Bourbons jufqu'au dernier; les maux qu'ils nous ont faits méritoient ce falaire. Indulgens jufqu'à la pufillanimité, nous avons daigné oublier les crimes de tes prédécefleurs & les tiens; nous avons été jusqu'à te conferver ta place; ce que tu défiras de biens & d'honneurs nous te l'avons accordé, fans calculer nos intérêts. Nous t'avons rendu le plus légitime & le plus fortuné des monarques de la terre. Ingrat! pour prix de tant de bienfaits, tu protéges ouvertement nos ennemis domeftiques, tu nous calomnies chez nos voisins, & tu te ligues en fecret avec ceux du dehors! Tu appelles les armées étrangères, & nous livres fans défense à leur invasion, tandis que dans l'intérieur tu attifes avec art les feux d'une guerre civile! Aurois-tu donc l'intention de nous régénérer au defpotifme dans un baptême de notre fang? Toi, ta Médicis, ton Monck, tes prêtres & tes nobles, vous n'exiftez que pour le malheur de la nation. Défunis par vos foins, à chaque inftant nous fommes prêts à

nous

nous égorger fous vos yeux. Nos villes & nos campagnes font dans une anarchie complète, graces aux agens obscurs que vous lâchez parmi les citoyens, pour nous empêcher de nous entendre & de nous rallier. Vou drois-tu donc régner fur des cadavres & des décombres? C'en eft trop; c'est être trop long-temps le jouet & la victime d'une cour profondément perverfe, où le génie du mal invente chaque jour des forfaits nouveaux. Nous voulons la liberté, & nous avons befoin du repos. Chaque matin, chaque foir, uos femmes, nos enfans, nos vieillards nous le demandent à grands cris. Hélas! quand donc, nous difentils, vivra-t-on tranquille dans fa chaumière? Bientôt, leur avons-nous répondu. Nous ne fortirons pas d'ici que nous n'ayions obtenu, à quelque prix que ce foit, le repos & la liberté.

Louis! ne crois pas que nos départemens ne nous aient envoyés dans ce champ que pour renouveler un ferment qui n'a pas besoin de l'appareil d'une folennité pour ne point s'effacer de nos cœurs, comme il l'eft du tien. Ne crois pas non plus que nous ne foiyons accourus ici que dans l'efpoir de contempler un moment ta majefté dans tout fon éclat, & pour partir de fuite à Soiffons. Apprends que le camp de Soiffons couvre toute la furface de l'empire; tout le peuple français que nous représentons eft en ce moment debout & fous les armes, & il y reftera tant que la patrie fera en danger, jufqu'à ce que les factieux royaliftes foient réduits à l'impuiffance de faire le mal & d'empêcher le bien; enfin jufqu'à ce que la conftitution qui te fert tour à tour de mafque & de bouclier, ait été revifée dans nos affemblées primaires, autrement qu'elle ne l'a été l'an dernier, à pareille époque, par nos premiers législateurs.

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Louis! profite du pardon que la nation généreuse t'offre encore une fois; c'est pour la dernière : n'attends pas les jours de fa juftice; elle fera terrible n'abufe pas plus long-temps de fa longue patience; elle touche fon terme nous fommes las de fouffrir; fois le de nous tromper.

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Hâte-toi de nous remettre toi-même ces droits ridi cules d'initiative & de veto, par lefquels la nation confent à être ftationnaire toutes les fois qu'il plaira à son chef de ne pas avancer. Rends-nous encore cette invioNo. 156, Tome 13.

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