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tribuai à plufieurs membres des exemplaires de la dé claration des droits de l'homme, avec quelques articles additionnels propres à une convention nationale & fignés de moi. On difcutoit ces articles, loriqué M. le prélident vint nous prier de ceffer notre difcuffion, pour ne pas retarder les opérations d'un fcrutin qui étoit commencé.

Nous nous retirâmes. J'allai difpofer nos affaires pour partir auffi-tôt. Ce fut à ce moment que nous fumes ar rêtés..

D'après la délibération de la municipalité, on nous conduifit donc au corps électoral, où nous nous rendîmes, au milieu de quelques gardes & d'un peuple nombreux qui vouloit nous couper le cou & porter nos têtes aux frontières. Ces propos tenus à nos oreilles, nous ont fait craindre un inflant que quelques fcélérats ne fouillaffent la ville dé Bernay d'un meurtre infâme; car pour la mort nous ne la craignons pas ; & après l'avoir bravée plufieurs fois dans la révolution, on s'eft aguéri: c'eft ce que j'ai dit au corps électoral.

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Rendu au corps électoral, & placé en face du bureau, vingt dénonciateurs fe préfentent. Le procureur de la commune monte à la tribune, & nous dénonce comme de faux commiffaires, des incendiaires, des féditieux & des fcélérats qui cherchoient à exciter une guerre civile. D'autres nous dénoncent comme n'ayant que de faux paffe- poris, attendu qué notre fignalement n'y étoit point défigné, & que nous ne les avions point fignés. D'autres nous dénoncent comme des cfpions. Un autre dit que notre domeftique vient de fair. Un autre nous dénonce pour avoir foupé avec un électeur & fon époufe. Un autre, & celui-ci eft un des députés qu'ils ont nommé à la convention, (il s'appelle Duroy) ce nom eft bon à retenir, nous dénonce comme de faux commiffaires, & appelle la déclaration des droits de l'homme, avec les articles additionnels propolés & fignés de moi pour la convention nationale, un libelle. Enfin, après bien des dénonciations, tant de la part des prêtres que de celle des ariftocrates, aucun patriote n'ayant le courage 'de s'élever contre de femblables horreurs, je prends la parole pour répondre à toutes les dénonciations. Nos ennemis fe voyant pouffés à bout, demandent qu'on fépare mon collègue d'avec moi. Je m'écrie auffi-tôt, & j'interpelle le président de faire déclarer à l'affemblée électorale fi elle entend nous faire fubir un interrogatoire, N°. 166. Tome 13

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ou fi elle entend nous demander des renseignemens pofitifs fur la légitimité de notre miffion. Dans le premier cas, nous confentons, fur votre refponfabilité, à être féparés; dans le fecond cas, je requiers à l'inftant qu'on fafle vérifier, en notre préfence, le fceau de l'état appofé à nos commiffions, celui appofé aux loix que nous dépofons fur le bureau, en les confrontant avec de pareils fceaux qui font dans les archives de la municipalité ou du district.

On le récrie, on s'y refuse; j'insiste, & je dis à l'affemblée électorale, aux officiers municipaux, que fatigués après trois heures d'interrogatoire, il falloit prendre un parti. Ou nous fommes réellement les agens du pouvoir exécutif, ou nous ne les fommes pas; dans le premier cas je requiers promptement notre liberté ; dans le fécond, faites-nous conduire en prifon, & écrivez au confeil exécutif; je ne réponds plus dès-à-préfent à aucune dénonciation.

Alors M. Buzot, qui fouffroit réellement de voir l'erreur volontaire & prolongée du corps électoral, prit la parole pour citer une loi dont je n'avois pas voulu parler, parce qu'il n'en étoit pas temps encore, & que j'attendois qu'ils priffent une délibération quelconque; il leur dit qu'il ne pouvoit prendre aucune part à une délibération qui compromettoit tous les citoyens qui arrêtoient la marche du pouvoir exécutif, attendu qu'une loi du 3 feptembre les déclaroit puniffables de mort; & que s'ils vouloient prendre une délibération, ils la figneroient individuellement. Alors les citoyens dénonciateurs & autres ariftocrates n'osèrent plus infifter.

Un feul électeur s'éleva pour demander que nous fuffions auffi-tôt mis en liberté; & l'affemblée confultée fur le tout paffa à l'ordre du jour en nous renvoyant à la municipalié, & en nous faifant accompagner de plufieurs de fes membres, afin qu'il ne nous arrivât rien de fâcheux, attendu que nos jours avoient été menacés. On nous reconduifit donc à la municipalité, où le peuple nous attendoit. Là M. le procureur de la commune déclara qu'une loi condamnoit à la mort quiconque entraveroit la marche du pouvoir exécutif national, que nous étions fes agens, & que le peuple devoit nous respecter.

Nous fortimes enfuite au milieu des acclamations du peuple, & accompagnés d'une garde d'honneur, à la tête de laquelle étoit le commandant de la garde nationale."

Voilà un récit fidèle de ce qui nous eft arrivé à Bernay : nous en fommes partis vers quatre heures de l'après-dîner pour nous rendre à Tiberville, où nous avons trouvé beaucoup de patriotifme, & où nous aurons plus de deux cents hommes armés & équipés, & beaucoup d'argent pour les volontaires.

Je vous donne le falut fraternel & patriotique, MoмORO, commiffaire du pouvoir exécutif national provifoire DUFOUR l'aîné, commiffaire du pouvoir exécutif national provisoire.

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Evreux, 8 Septembre. Arrivés à Houdan, pour procéder à la crémonie de la proclamations des loix d'une ma→ nière fructueuse, nous avons cru devoir y mettre quelque folennité; en conféquence nous avons requis le corps. municipal de faire battre la générale de grand matin, faire affembler tous les citoyens, hommes, femmes & enfans dans la principale églife de cette ville. Là nous fommes montés en chaire; nous avons fait lecture des décrets, & enfuite nous avons harangué le peuple avec force & onction. C'est alors que nous avons vu combien l'ame de ce peuple eft pure, bonne, excellente; l'attendriffement & l'enthoufiafine ont faifi tous les coeurs ; c'étoit à qui dépoferoit le plus de contributions civiques fur l'autel de la patrie; en un clin d'œil toutes les épaulettes & dragones en or ont difparu de deffus les épaules & des épées des officiers. Le peuple a multiplié fes offrandes le plus qu'il a pu, & nous n'avons pas dédaigné le denier de la veuve. Le commandant général de la gardé nationale, âgé de 58 ans, & chevalier de St. Louis, s'eft le premier enrôlé, après avoir dépofé fa croix; une ving taine de jeunes gens l'ont fuivi. Malheureusement c'étoit jour de foire à Dreux, & beaucoup de citoyens manquoient à Houdan; mais nous avons engagé la municipalité à renouveler la même cérémonie le lendemain & jours fuivans, afin d'obtenir des enrôlemens & des contributions civiques le plus qu'il feroit poffible, & ils nous ont promis de le faire. Les bénédictions s'élevoient de toutes parts fur notre miffion, & fur ceux qui nous l'avoient donnée; les cœurs s'ouvroient à la confiance en faveur des nouveaux miniftres; & les cris de vive la nation, vive la liberté, vive Pégalité retentiffoient fous les Voutes de ce temple; nous en fortimes au milieu des acclamations, & nous fumes affifter à un dîner vraiment fraternel., Toute la ville étoit électrifée, & les enrôlemens & les contributions patriotiques alloient en augmentant

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car vous jugez bien que les registres étoient toujours ou verts. Pendant ces fcènes touchantes, tout le monde voulo nous embraffer, & nous ne faifions que paffer des bras des uns dans ceux des autres; jugez pendant ce temps-là du fupplice des contre révolutionnaires qui gémiffoient dans leurs repaires; l'enfer étoit dans leurs cœurs.

Nous quittâmes enfin cette ville, & nous fûmes à Yvri. nous defcendîmes devant la porte du maire; nous lui fimes connoître l'objet de notre miffion, & nous lui communiquâmes nos pouvoirs. Nous l'engageâmes à faire battre Ja générale & à faire raffembler les citoyens dans l'églife. Nous fûmes très-furpris du peu de monde qui s'y rendit. Ayant appris que les habitans étoient infoucians & difficiles à mettre en mouvement, nous ufâmes d'un ftratagême qui nous réuffit à merveille: nous envoyâmes des lettres circulaires dans les vingt-quatre communes qui compofeut ce canton, avec ordre aux maires de faire battre la générale, & de faire fonner le tocfin. Le branle de vingt-quatre cloches qui toutes à la fois fonnoient le tocfin, répandit l'allarme par-tout, & tout le monde accourut; & malgré que l'églife d'Yvri foit vafte, elle avoit peine à contenir les citoyens. Alors nous annonçâmes l'objet de notre miffion; nous promulgâmes les loix dont nous étions porteurs, & l'un de nous, M. Chaumette parla avec force pour exciter les enrôlemens & les contributions civiques. Je fus on ne peut pas plus furpris de voir que perfonne ne bougeoit, aucune contribution, aucun er gagement ne fe préfentoient. Douloureufement affecté de ce mauvais fuccès, je montai en chaire; je peignis avec un cœur pénétré les dangers de la patrie; je pénétrai dans l'ame de ces hommes fimples; je m'élevai contre ces diftinctions orgueilleufes qui brillolent fur les épaules des officiers, & cela dans un moment où nous venions de jurer de maintenir l'égalité. Ces moyens firent effet; les épaulettes furent bientôt fur le bureau; les contributions arrivèrent, & les regiftres d'enrôlement furent couverts du nom de trente-cinq volontaires. Ce n'étoit pas néanmoins fort confidérable; alors nous imaginâmes un moyen d'enrôleur, Nous fimes donner à dîner à nos enrôlés au milieu de la place publique; ce moyen nous réuffit, & les enrôlemens augmentèrent. Preffés de reinplir notre miffion, nous laiffames les chofes dans cet heareux état, & nous partimes pour Evreux, où étoit le rendezvous général. L'accueil qu'on nous avoit fait à Yvri étoit aufli flatteur que celui que nous avions reçu à Houdan,

malgré les manœuvres des malveillans qui, furieux de la manière dont nous avions traité leurs amis à Houdan nous avoient fait précéder par des émiffaires qui répandoient les calomnies les plus atroces contre nous; mais cet infâme manège a tourné complètement à leur honte. Au refte, vous voudrez bien obferver que les enrôlemens dont nous vous parlons font furérogatoires au contingent que tous ces cantons devoient fournir. Nos fuccès n'ont pas été moins brillans à Evreux, qui a fourni cent hommes au-deffus de fon contingent & beaucoup de contributions patriotiques. A ce fuccès s'en eft joint un autre: des jeunes gens font venus nous trouver pour nous demander la permiffion de former une compagnie de chaffeurs. Il n'y avoit dans ce moment à Evreux que mon collègue & moi; & vous jugez avec quel empreffement nous avons accueilli leur demande. Nous avons engagé le département à favorifer de tout fon pouvoir le civisme & le dévoûment de ces jeunes citoyens, qui fe font forts de complèter cette compagnie tant dans la ville que dans les environs, & partir auffi-tôt pour le camp de Meaux. Leur patriotisme est brûlant, & nous les avons comblés d'éloges.

Enfin nous avons par tout trouvé le peuple dans les meilleures difpofitions; l'efprit qui l'anime eft celui du plus pur civifme, & il n'eft point de facrifice qu'il ne faffe pour fauver la patrie.

Notre joie feroit entière & notre bonheur complet, s'ils n'étoient pas quelquefois altérés par les gémiffemens de la misère, occafionnée par l'exceffive cherté des grains Dans le canton d'Yvri nous l'avons trouvé à 48 liv. le fac, tandis que le prix ne devroit être que de 20 à 24 liv. Le peuple s'eft plaint à nous avec amertume; nous l'avons confolé en l'affurant que nous en écririons au pouvoir exécutif, & nous nous acquittons de ce devoir. Nous vous prions done, monfieur, de vouloir bien engager le confeil à prendre cet objet en confidération, & à y porter le plus prompt remède poffible; la juftice & l'humanité le réclament, & le dévoûment du peuple le commande.

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Nous fommes avec le dévoûment le plus fraternel; monfieur, vos concitoyens & frères, BAUMIER, miffaire du pouvoir exécutif provifoire; CHAUMETTE, commiffaire du pouvoir excutif provifoire.

Metz, ce 9 Septembre. Nous fommes enfin arrivés à Metz, après fix jours de marche, à travers le double danger d'être faits prifonniers par l'armée pruffienne, ou

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