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confpirateur; enfin, difoient les habitans du faubourg, nous voulons qu'il entende toutes fes vérités. L'hiftoire porte que ce langage, appuyé de l'idée de ce qui s'étoit paffè la veille au Palais-Royal, où l'on avoit brûlé l'effigie du faux Washington, a fait dire au général que jamais il ne rentreroit dans la Villette que pour mettre ce faubourg en cendres.

Lafayette a donc eu encore la douleur de voir échouer ce fecond projet de guerre civile; il a regagné fon camp; on l'y a reçu avec froideur; l'état-major a fait l'empreflé, mais le refte de l'armée l'a jugé où le jugera bientôt. Toutes les lettres particulières qui en arrivent dépolent que ceux qui n'ont pas encore prononcé fur fon compte, font au moins en méfiance & en obfervation. Législateurs! frappez; rien ne s'oppofe aux coups de votre Juite vengeance; une diffimulation plus long-temps prolongée feroit croire ou qu'il n'y a pas de crime à punir, ou que vous le partagez encore.

Tandis que l'affemblée nationale dort, le traître veille. Un voyageur, parti de la capitale le premier juillet, nous écrit, de l'armée de Maubeuge, que les bataillons ignorent ce qu'eft devenue la groffe artillerie; nous fommes autorifés à dénoncer ce fait, & à appeler l'attention des citoyens & des foldats fur un crime auffi grand qu'inoui, mais qui ne doit pas étonner les Français, puifqu'il s'agit de Lafayette. Quand il feroit vrai qu'il eût fait difparoître la groffe artillerie, qu'il l'eût livrée à l'ennemi, cette trahiton ne feroit ni plus forte, ni plus odieufe que celle par laquelle Luckner vient d'évacuer les villes qu'il avoit prifes dans la Flandre. Toutes les villes du Brabant étoient prêtes à faire éclater l'infurrection; plufieurs régimens de la garnifon belgique étoient prêts à feconder l'effort des habitans; la défertion devenoit journellement plus nombreufe; les volontaires brabançons groffiffoient l'armée françaife; Gand, Bruxelles, Anvers, nous tendoient les bras; quoique l'armée du général Luckner ne fût pas très-nombreufe, elle étoit le double de celle que les Autrichiens avoient à lui oppofer; nous occupions Ypres, Menin, Courtray; nos troupes ne demandoient qu'à pénétrer plus avant dans le pays; enfin tout annonçoit une prompte & grande victoire; la Belgique alloit être délivrée du joug de l'Autriche, & nous allions acquérir un allié qui nous eût fourni un fecours N°. 156. Tome 13. D

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de cinquante à foixante mille hommes bien foldés, bien difciplinés, bien armés: mais cette victoire eût exafpéré l'émulation liégeoife, françaife & brabançonne; elle eût peut-être mis fin à la guerre; elle eût fait rentrer les tyrans dans leurs états, en aflurant en France le règne de la conftitution. Or cette perspective, confolante pour P'humanité, ne pouvoit flatter ni Lafayette, ni Louis XVI, ni fon comité autrichien, ni cette minorité impudente de la nobleffe, qui tous veulent renverfer la conftitution par la conftitution. En conféquence on intrigue pour faire évacuer les villes prifes fur l'ennemi; les agens de Lafayette, Berthier, Lameth, Montmorency, & ce Grave, ce prétendu patriote qu'avoit remplacé Servant, tous ces ferpens de la calomnie, fifflent autour de Luckner. Grave le difoit chargé par le roi de l'infpection des trois armées, afin d'en rendre compte; mais la véritable miffion étoit d'intriguer par-tout; il a fait entendre à Luckner qu'il étot malheureux que nous n'ayions pas de capitaines expérimentés; que tous nos anciers officiers étoient paffés à l'ennemi, que les Autrich ens étoient aguerris, que notre armée étoit indifciplinée, que les volontaires n'avoient pas eu le temps d'apprendre leurs manoeuvres, que ces circonftances empêchoient d'aller en avant, que ce feroit s'expofer à de grands revers, que la carte blanche qu'il avoit reçue ne valoit rien, parce que les miniftres qui l'avoient délivrée étoient plus en place. Sur quoi Luckner eut la foiblefle de figner une lettre au roi, écrite en entier de la main du fieur Grave, & dans laquelle les intrigons faifoient due au maréchal qu'il n'agiroit pas avant d'avoir reçu des ordres; c'eft cette même lettre qui a été communiquée à l'aflemblée nationale, & inférée dans tous les journaux. Or le courrier, porteur de cette lettre, qui devoit être de retour en deux fois vingtquatre heures au plus tard, a tardé huit jours; au moyen de quoi les opérations du général ont été paralytées, jufqu'au moment où il reçut l'ordre de fe replier fur Lille. Il alloit le faire exécuter, lorfque la préfence & la fermeté de Biron l'empêchèrent de figner fon dés-. honneur.

M. Valence part auffi-tôt pour Paris, & Luckner promet bien à Biron qu'il ne bougera pas avant fon retour. A peine Valence eft-il hors du camp, que les intrigans affiégent de nouveau le maréchal, pour effacer de fon ef

prit toutes les bonnes impreffions qui venoient de s'y imprimer. Valence arrive; il n'apporte d'autre ordre que h confirmation de la carte blanche; mais on afte qu'outre cette lettre, contre-fignée du miniftre, le maréchal en a reçu une particulière, fignée du roi feu! qui lui confeille de te replier & d'évacuer les Pays-Bas, Dès lors les repréfentations de Biron, de Valence, de Labourdonnaye, de tous les officiers patriotes, deviennent inutiles, & l'armée fort de Courtray; elle en fort en incendiant quatre faubourgs, par l'ordre d'un nommé Jarry, maréchal-de-camp & l'une des créatures de Lfayette. Oui, les Français, plus forts en nombre, plus forts en courage, les Français ont abandonné leur première conquête. Auffi barbare que lache, un de leurs officiers généraux a marqué fon paffage par le fléau de la deftruction. Infortunés Belges, comment ne nous haïriezvous pas ? Nous vous avons fait plus de mal que les Autrichiens. Si l'accent de la vérité pa vient à fe faire entendre, fi ceux qui ont ordonné la retraite & l'incendie de Courtray ne font iminolés à la jufte fureur des Belges, la poftérité ne les b'âmera pas de devenir à l'initant les plus cruels, les plus implacables ennemis de la nation françaife. Le corps légiflatif n'a qu'un moyen de fatisfaire les Brabançons, c'eft de faire tomber la tête des coupables; s'il ne le fait pas, fi cet horrible forfait demeure impani, le corps légiflatif lui-même partagera le crime de ce cruel abandon. Repréfentans du peuple ! ne vous croyez pas acquittés envers les Flamands pour avoir décrété une indemnité de cent mille écus: cette indemnité leur rend-elle les époux, les jeunes gens qui font tombés fous le fer aflaffin des foldats du tyran de Bohême La Flandre avoit reçu votre armée, elle avoit adopté vos foldats; la Flandre faifoit caufe commune avec vous; l'élite de fa jeuneffe marchoit à la tête de vos légions; vous aviez, par le fait, contracté un pacte avec elle, & vos généraux n'ont pu les abandonner à la fureur de l'ennemi fans violer la foi promife, fans fouler aux pieds les droits des gens & de la fainte humanité : encore un coup, empreffez- vous de les punir, ou vous acquérez des droits légitimes à la haine & à la vengeance d'un peuple qui n'eft pas fait pour être méprifé, & vous confpirez vous-mêmes avec vos ennemis, avec Lafayette, avec les valets de fes intrigues,

qui n'ont facrifié la gloire des armes françaifes & la vie & les propriétés des Flamands, que pour vous attirer l'animadverfion de toute la Belgique, & empêcher l'infurrection qui étoit prête à s'y manifefter.

Quelle que foit la manière dont s'inftruira ce grand procès, le crime du fieur Jarry eft palpable & notoire; il doit être puni comme un incendiaire. Ceux qui font coupables du crime de la retraite, doivent également fubir la dernière peine; mais peut-être il y aura plus de difficulté à les convaincre. Examinons. Ou le général Luckner avoit carte blanche, ou il a reçu l'ordre exprès d'évacuer Courtray. S'il a reçu cet ordre, qu'il le communique, & ceax qui l'ont figné font jugés. S'il avoit carte blanche, & que cependant le roi lui ait enjoint particuliérement de fe replier fous Lille, qu'il faffe connoître la lettre du roi, & le roi eft déchu de la couronne. Si Luckner n'a pas reçu de lettre particulière du roi, s'il a cédé aux infligations des agens de Lafayette, qu'il nomme ces agens, qu'il nomme les Lameth, les Berthier, les Mathieu-Montmorency, les Grave, & le fang de ces confpirateurs fubal-, ternes effacera l'injure faite aux Brabançons. S'il pouvoit être vrai que Luckner n'eût ici confulté que fon caprice, nous dirions également que fa tête doit tomber. Il nous en coûte de dire notre façon de penfer fur ce général, mais nous devons à nos concitoyens la vérité toute entière. D'abord nous ne croyons pas que Luckner foit un traître; nous croyons qu'il a été trompé dans l'affaire de Courtray; nous fommes perfuadés que cette retraite, que l'incendie qui l'a accompagnée ne font que l'ouvrage de la cour & de Lafayette; nous croyons Luckner un boa foluat, mais nous le croyons moins bon général. Les bulletins de fon armée,avoués par lui,atteftent qu'il eft ignorant en politique, foible dans fa conduite, mal-adroit dans la manière de s'entourer, & toujours prêt à donner raifon à celui qui parle, & à fuivre les derniers avis: or, un tel général, au milieu des factieux, des intrigans, eit prefque auffi dangereux que s'il étoit factieux & intrigant fui-même. La bravcure & la probité ne font pas les feules qualités d'un bon général, & Luckner avoue luimême qu'il n'a que ces qualités-là.

Mais quel fouvenir affreux vient obfcurcir la perfpective des mefures que le patriotifme peut indiquer. Suppotons Lafayette décrété d'accufation; fuppofons Jarry condamné à mort; fuppofons les Lameth, Berthier,

Grave, Montmorency dépouillés de leurs emplois, & par conféquent de leur influence: tous ces remèdes ne font que des palliatifs; c'eft la fédération prochaine qui doitdécider les repréfentans du peuple à frapper un bien plus grand coup. Tant que Louis XVI régnera, nous n'aurons ni paix ni bonheur: nos armées ne feront commandées que par des membres de la ci-devant noblesse; & tant qu'il y aura un feul noble à la tête de la force militaire ou des adminiftrations civiles, il eft impoffible que la France évite l'anarchie ou le defpotifine. Le voeu des 83 départemens eft manifefté; & lorfque 200 mille fédérés entoureront le corps législatif, ce fera à lui qu'il appartiendra de décréter les grandes mefures qui peuvent feules opérer le falut de la patrie. Nous en fommes au point de ne pouvoir plus nous diffimuler qu'une feconde révolution eft devenue indifpenfable; le fort de cette révolution dépend du 14 juillet; fi elle n'eft pas entière, la France eft fubjuguée. Lorfque les Grecs défirent une armée de plus de deux millions d'hommes, ils n'avoient qu'un feul & même efprit, c'eft un roi de Sparte qui fignala la plus grande intrépidité: mais fi la nobleffe d'Athènes eût penie autrement que le peuple, fi Léonidas eût été un Louis XVI, fi Themistocle eût été un Lafayette, la nation grecque eût difparu toute entière de la furface du globe.

Eh! n'avons-nous pas fous les yeux un exemple plus récent, un exemple journalier? La république de Pologne remporte des victoires contre la Ruffie; fes fuccès font comptés par le nombre de fes actions; l'armée polonaife fait des prodiges: pourquoi? parce qu'elle eft foutenue du chef de la république. L'accord qui règne entre le roi & la nation & l'armée eft le garant de cette fupériorité. Si Stanislas protégeoit les émigrés polonais, l'ambitieufe Catherine feroit déjà maitrefie de Varfovie.

Français des 83 départemens, généreux fédérés que nous allons bientôt ferrer dans nos bras, c'est à vous de voir fi vous voulez être libres : vous ne pouvez le devenir que par une révolution, une révolution toute entière! Si votre intention n'eft pas de l'opérer, retournez dans vos foyers, les fers & l'ignominie vous y attendent. Vous devez avoir appris qu'on ne tran geoit pas impuné ment avec la tyrannie; fignez une nouvelle tranfaction, & vous êtes perdus à jamais.

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