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part grenadiers. Plufieurs gens à croix de Saint-Louis & à cordons rouges fe promenoient fous les fenêtres des appartemens de leurs maîtres. Ils vont aux grenadiers qui fe repofoient fur leurs armes, en leur difant: Ah! mes amis ! comme on vient d'épuiper vos pauvres camarades! ils font là-haut à fe laiffer panfer fous les yeux mouillés de larmes du roi & de la reine; fans doute que vous n'êtes pas d'humeur à laiffer impunies la mort & les bleffures de vos frères d'armes. Vincent (1) fe voit entouré, carreffé par ces mêmes courtisans qui venoient d'haranguer les foldats. On le fait monter au château; un quart-d'heure après, il en defcend, & fans perdre de temps il conduit fa troupe fur Ja place du théâtre Italien, où plufieurs autres détachemens pareillement exhortés ne tardèrent pas à fe rendre, tous avec leurs canons. Beaucoup d'entr'eux chargèrent leurs armes, & attendirent ainfi jufqu'à minuit l'arrivée des Marfeillois, qu'on difoit être allés prendre leurs armes à leur caferne. C'étoit une calomnie infigne qu'on faifoit courrir parmi les détachemens accourus au bruit de la générale, & qui ne favoient encore rien de pofitif fur l'affaire des Champs-Elysées. Il faut bien le dire, la plupart étoient tous difpofés à faire feu fur le premier groupe de Marfeillois qui fe feroit préfenté, n'importe à quelle inten-, tion; & c'étoit là la grande mefure du château, mais elle fut déjouéc cette fois-ci encore. Les Marfeillois, à la voix du fage Pétion, rentrèrent chez eux à la nouvelle France, & le mirent à table fraternellement avec Santerre & d'autres patriotes, qui eurent foin de faire transporter leur dîner fi mal à propos interrompu.

Pendant qu'ils le calmoient au fein de l'amitié, on prenoit contre eux les précautions les plus outrageantes; on garnisfoit les poftes les plus importans, fur-tout celui de la trésorerie nationale, afin de faire paffer les Marfeillois pour des voleurs, après avoir tâché de les donner pour des affaffins. Dès le lendemain le brave Regnaud de Saint-Jean-d'Angély prit fa revanche dans le journal de Paris; il ne tint pas à ce miférable que tout Paris ne

(1) Vincent vient d'être mandé à la fection pour dire de quel droit il a fait battre la générale, & pourquoi il a été prendre des ordres au château des Tuileries.

fermât fes magafins, pendant tout le temps du féjour des Marfeillois, en publiant que, le fabre à la main, ils avoient pillé la boutique d'un chapelier, au coin de la rue Saint-Florentin, à deux pas du café où Duhamel avoit rendu fon ame à Dieu dans un ruiffeau; mais l'honnête marchand, M. Adam, fe hâta de donner à Regnaud le démenti le plus formel.

On s'attendoit bien à voir la barre de l'assemblée nationale affiégée de pétitionnaires au fujet de ces événemens; il en vint à plufieurs reprifes; la plus curieuse des députations des plaignans eft celle de mercredi ; ils n'ofèrent tenir précisément le même langage qu'au château les couards pour calonnier plus à leur aile, ils feignirent n'avoir point eu affaire aux véritables Marfeillois; en parlant de la mort de leur camarade Duhamel,; ils n'eurent garde de dire que s'il n'eût point commis l'imprudence, ou plutôt s'il n'eût point eu l'indignité de tirer fur des femmes & des enfans, les Marfeillois eux-mêmes euffent pu le fauver, comme ils eurent le bonheur de le faire à l'égard d'un lieutenant des canonniers & d'un autre victimes fans eux de l'indignation univerfelle. Les lâches! ils n'avoient qu'un moyen pour le faire pardonner; c'étoit d'avouer leurs turpitudes, & la fcélérateffe du château qui les mettoit en œuvre; ils aimèrent mieux avoir la gaucherie d'avancer qu'il s'étoit gliffé parmi eux un furieux en habit national qui provoqua le peuple & les Marfeillois. Quelle pitoyable juftification! elle confirme le délit, & ne fait que prouver l'embarras des coupables. Les lâches! en qualifiant de brigands ceux qu'ils appellent les foi-difant Marseillois, ils n'eurent garde de nommer Santerre, qui pourtant fe trouvoit avec eitx, étoit pour ainfi dire à leur tête, & ordonna un rappel qui rallia auffi-tôt tous les Marfeillois, plus dociles à la voix d'un patriote qu'à celle de leur trop jufte reffentiment. La crainte feule du faubourg Saint-Antoine leur épargna une calomnie envers fon commandant. Lâches mal-adroits! vous avez eu la platitude de dire à la face de la nation: la preuve que les foi-difant Marfeillois font des affaffins, c'eft que toutes nos bleffures fe trouvent par derrière. Eh non, miférables cifaires! s'ils n'euffent point eu affaire à des lâches, ils vous euffent frappé par-devant; ils ne font pas plus des affaflins, que vous n'êtes des braves;

cachez-vous dans les garde-robes du château des Tuileries; fi le plus grand nombre parmi vous n'eft point gardes du roi, vous êtes bien dignes d'en être. Allez vous n'êtes pas faits pour vous melurer à des citoyens-foldats qui ont foutenu la révolution dans tout le midi de la France, & qui n'ont pas fait 200 lieues pour fouffrir que des foldats d'anti- chambres ou de ruelles ofaffent bien devant eux ravaler la nation, & faire honneur à une cour éhontée.

Le roi n'a dit mot fur l'ancien & le nouveau camp de Jalès, fur la rébellion de Dufaillant, fur la confpiration fourde de Lyon, fur les troubles de Bordeaux au fujet des prêtres, & fur la conjuration découverte à Marseille tout récemment, & dans laquelle tant de gens. fe trouvent compromis; il laiffe tout dire, tout faire; fa follicitude ne s'étend pas fi loin; mais fes entrailles paternelles traffaillent quand il s'agit d'un pot de chambre volé à fa femme le 20 juin. Le 27 juillet, Duval Déprémenil reçoit une correction populaire bien due à tes provocations d'une guerre civile dans Paris; le 30, quelques coups de canne & de plat de fabre font diftribués à d'infolens valets de cour narguant le peuple, & provoquant de braves volontaires qui travertent toute la France pour venir à Paris faluer le berceau de la liberté: vite & vite le lendemain 31 une lettre du ministre de la juftice, écrite au nom du roi à M. le commiffaire du roi près le tribunal criminel du département de Paris; vîte une lettre du roi au fidèle Aclocque, commandant de la garde nationale; & vite une proclamation du roi pour le maintien de la tranquillité publique, fignée Champion.

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Le roi, (y dit Louis XVI à l'aide de fon teinturier qui n'écrit guère mieux que lui) n'a pu voir fans une indignation profonde, les actes de violence par lesquels la tranquillité eft depuis plufieurs jours troublée dans la capitale, la liberté individuelle outragée, la sûreté des perfonnes & des propriétés compromife.

Il fe trompe, le bon roi Louis XVI, ce n'eft pas dans la capitale, c'eft chez lui-même, dans le jardin qu'il dit être à lui feul, que la liberté individuelle eft outragée, que la sûreté des perfonnes eft compromife dans celles de plufieurs fédérés que des janniffaires ont maltraités,

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parce qu'ils ne s'étoient point découverts devant une femme & fon marmot. La propriété eft violée par lui même, le bon roi Louis XVI, qui ofe bien fermer les portes d'un jardin public au nez du peuple de qui il tient tout ce qu'il a & tout ce qu'il eft. Dans tout Paris il ne s'eft pas commis un feul viol de la propriété.

«Sa Majeflé fe croiroit complice de tant d'excès, fi » elle fouffroit en filence qué le fang des Français re» jaillit pour ainfi dire fur les murs de fon palais. »

Louis, il te fied bien de parler ainfi dans un palais teint encore aujourd'hui du tang des Français, que l'un de tes prédéceffeurs, que tu brûles fans doute d'imiter, du haut de fon balcon, canardoit lui-même fur le quai du Louvre.

Il'te fied bien de parler ainfi dans un palais d'où tu feignis de vouloir fortir pour aller à Saint-Cloud, afin de ménager à Bailli & à Lafayette l'occafion de déployer le drapeau rouge, & de baigner le pied de tes chevaux dans le fang des patriotes.

Il te Led bien de parler ainfi dans un palais rempli de tes chevaliers du poignard, qui attendent leur revanche de la foirée du 18 avril, & le moment de laver les marches de ton trône avec le fang des meilleurs citoyens.

Il te fied bien de parler ainfi dans un palais, où toi, ta femme & les tiens vous paffez les jours & les nuits à nous attirer, d'intelligence avec l'ennemi à qui tu fais communiquer nos plars, de honteufes & meurtrières défaites fur nos fror tières; dans un palais où fut arrangée fous tes yeux l'orgie du 30 juillet aux Champs-Elysées, où toi & ta femme attendites avec une impatience féroce que vos coupe-jarrets vinflent rouler à vos pieds les têtes fanglantes de ces Marfeillois qui n'aiment point les rois parjures; mais dorénavant choifis pour de telles exécutions des gens qui aient au moins l'énergie du crine.

Nous n'avons pas le courage de poursuivre l'analyfe de cette nouvelle proclamation royale, dont d'ailleurs perfonne, nous aimons du moins à le croire, ne fera la dupe.

- Le

Le confeil général du département du Morbihan vient de défendre dans toute l'étendue de fon reffort la circulation de treize feuilles périodiques, qu'il qualifie d'incendiaires, telles que l'Ami du Roi, le Mercure de France, la Gazette Univerfelle, celle de Paris; & cet arrêté, lu à l'affemblée nationale, y reçut des applaudiffemens; le renvoi à la commiffion des vingt-un en fut décrété, & le rapport fans doute n'en fera que la confirmation. N'a-t-on pas, il y a un mois ou deux, lancé un décret contre Malle: Dupan?

Sans nous diffimuler que de tels papiers peuvent faire & n'ont fait déjà que trop de mal, que la révolution a déjà affez d'ennemis, & que la patrie n'a peut-être jamais été plus en danger, nous ne pouvons nous abftenir de rappeler aux principes le corps légiflatif lui-même, perfuadés comme nous le fommes que le falut public dépend de la liberté indéfinie de la preffe, que la plus légère restriction mife à la publicité des opinions eft fans comparaifon plus funeste à la chofe commune qu'une latitude fans bornes, & qu'enfin fans même en excepter les calomnies perfonnelles contre les citoyens de condition privée, les loix font incompétentes pour connoître des délits réfultans des opinions dites ou imprimées, quelles qu'elles foient, & fans confidération pour les circonftances.

-D'heureux effets momentanés ne feront pas prendre le change; ce font les fuites éloignées qu'il faut envifager. Le confeil général du Morbihan profcrit dans fes arrondiffemens tous les journaux ariftocrates; cette mefure fans doute eft due à des intentions patriotiques; mais eft-elle bien réfléchie? Qui nous prouvera que tous les membres du confeil général de ce département ont été de bonne foi? Quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas bien pu fe dire : Accordons aujourd'hui cette petite fatisfaction aux citoyens, pour avoir demain le droit de ménager le même triomphe aux écrivains de notre parti; & de fait, cette atteinte tée à la liberté de la preffe en faveur des journalistes patriotes, donne aux ennemis en place du bien public l'autorifation d'y faire eux-mêmes une brèche à leur tour en faveur des champions de l'ariftocratie; & tout de fuite voilà que Ordinaire & Goiffet, commiffaires du roi près les triN°. 160. Tome 13.

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por

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