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il fit un mauvais calcul. Dans tel parti que ce foit les modérés font égoïftes, tous les égoïftes font lâches, & dès qu'il a fallu déployer de l'audace, l'ambitieux s'eft trouvé abandonné de tous fes fuppôts. Si, dans fa lettre à l'affemblée nationale il eût parlé avec refpect des fociétés, s'il n'eût dénoncé que quelques patriotes qu'on y diftingue, enfin s'il n'eût défigné à la profcription que les Jacobins de Paris, s'il n'eût fignalé que quelques têtes, le bandeau ne feroit pas encore tombé, & fes nombreux & lâches amis euffent dit que cet homme de bien ne youloit que la paix, l'ordre & le règne des loix; qui fait même fi les objets particuliers de fa vengeance n'euffent pas été facrifiés? Mais quand on l'a vu dénoncer tout ce qui s'honore de porter le titre d'ami de la conftitution tous ces foyers falutaires où s'entretient perpétuellement le feu facré du patriotifme, toutes ces pépinières d'hommes d'état où le corps législatif doit fe repeupler d'âge en âge; quand on l'a vu demander la difperfion de plus de deux mille rassemblemens autorisés par la conftitution, alors il a été défavoué par tous fes partifans de bonne foi, & délaiffé par ceux-là mêmes qui, n'étant pas de bonne foi, ne fe font fenti ni la force ni le courage de lutter contre tous les patriotes de l'empire.

Ce n'eft pas cette feule circonftance qui a fait échouer le projet imaginé par la Fayette de diffoudre les fociétés populaires; fes émiflaires auprès du général Luckner étoient parvenus à perfuader à ce bon Allemand qu'en effet les Jacobins étoient la caufe de tous les maux qui affligent la France; & Luckner leur avoit, pour ainfi dire, promis de joindre fa dénonciation à celle de fon jeune collègue: la Fayette n'a fait partir fa lettre que dans cette confance; mais Luckner, rendu à lui-même par de bons avis, leur a un jour déclaré qu'il n'entendoit pas fe rendre complice de cette intrigue, qu'il lui étoit difficile d'imaginer que les ennemis du roi de Hongrie fuflent fes ennemis & ceux de l'armée françaife, & que d'ailleurs MM. Lameth & la Fayette ayant été Jacobins eux-mêmes, il ne vouloit pas fe mêler d'une querelle qui reflembloit beaucoup trop à un reffentiment perfonnel de leur part.

Ajoutez à cela que beaucoup de fous-officiers & foldats des régimens de l'armée commandée par la Fayette ont

affifté aux féances des fociétés dans les villes de garnifon; ajoutez que tous les officiers, que prefque tous les volontaires des bataillons de garde nationale font membres de ces mêmes fociétés; & il eft de fait que la dénonciation du 16 juin a effuyé l'improbation prefque géné rale de l'armée.

Il a donc fallu changer de batterie. Cette première tentative n'ayant pas réuffi, le général en a imaginé une autre. Les événemens du 20 juin en fournirent le prétexte. Dès que Louis XVI vit le peuple rentré dans fes tranquilles foyers, il imagina de faire faire de cette journée mémorable un récit tronqué, falfifié, injurieux, attentatoire à la dignité du peuple. On y peint les dignes habitans des faubourgs comme des brigands, des factieux, des régicides; les jours du roi ont été en danger, il n'a dû fon falut qu'à fa préfence d'efprit & à fa grande fermeté, &c. Or, ce récit impofteur, confié aux preffes d'un certain Pelletier, & couvert de la boue du mépris, fut tiré à plus de cent mille exemplaires qu'on expédia gratis dans tous les départemens & dans l'armée; en outre len fut tiré vingt mille fur du papier très-fin, que l'on inféra dans des lettres, & qu'on envoya dans tous les pays étrangers. Le fieur Terrier, miniftre de l'intérieur, fit plus, il adreffa une lettre circula re à tous les directoires de département & de diftrict, pour les inviter à réclamer contre cet attentat à la dignité royale; & ce fut d'après cette invitation ministérielle que beaucoup d'adminiftrateurs, fidèles amis de la lifte civile, adreffèrent au corps législatif les libelles & les calomnies dont les patriotes ont entendu la lecture avec tant d'indignation. La Fayette n'a pas manqué de profiter de cette circonftance; il s'est fait présenter quelques pétitions par fon état-major & par toutes les créatures qu'il falarie dans fon armée, & muni de ces pièces, voilà qu'il quitte fon pofte, qu'il expofe fes compagnons d'armes à la merci de l'ennemi, & qu'il fe préfente aux repréfentans de la nation comme l'accufateur de ceux qui ont excité cette émeute, qui, felon lui, déshonore le nom français. Ici se reproduit la dénonciation contre les Jacobins ; ce font eux qui ont excité l'infurrection, ce font eux qui ont voulu attenter aux jours du roi; mais la Fayette s'en déclare le protecteur, & il menace le corps législatif de

fon reffentiment s'il ne punit pas les citoyens paifibles qui ont défilé devant Louis XVI, & dont tous les poignards étoient renfermés dans une pétition qui follicitoit le rappel des ex-miniftres, & la levée de deux veto appofés à des décrets que le peuple vient de fanctionner de fon approbation active & fouveraine.

Combien grande eft l'énormité du crime de Lafayette ! La diffamation & la cale mnie en font les moindres caractères. Nous le voyons coupable du crime de défertion; nous le voyons coupable d'un attentat formel à la conf titution, qui ne permet pas que la force armée délibère; nous le voyons coupable d'une ufurpation de pouvoirs qui le place comme médiateur armé entre les représentans du peuple & le pouvoir exécutif. Tandis que Louis XVI trahit toutes les loix, appelle la guerre civile & la guerre étrangère, que la volonté nationale est entravée par fes efforts, qu'il donne à la nation des miniftres pervers, qu'il infulte au peuple par des proclamations calomnieutes, qu'il fait la guerre au pouvoir légiflatif; tandis qu'un cri général d'indignation fe fait entendre contre les abus de fon pouvoir, un général fac tieux vient prendre fa défenfe & fe conftituer le protecteur de toutes les machinations du comité autrichien ; & cet homme vit encore! il eft encore général d'armée ! l'asfemblée nationale l'a laiffé retourner fous fa tente!..... Céfar fut affaffiné dans le fénat, & le fénat de Rome ne crut pas que Décimus-Brutus eût commis un crime; & Décimus-Brutus fut proclamé reftaurateur de la liberté publique.

Pendant que la Fayette dénonçoit à Paris les prétendus attentats da 20 juin, fon complice, Charles Lameth, colportcit dans tous les régimens de l'armée de Luckner des exemplaires de la proclamation inconftitutionnelle & calomnieufe du roi, avec un projet d'adreffe à Louis XVI, tendant à exiger des fignataires une improbation formelle de ces prétendus attentats, & une proteftation aveugle d'obéiffance aux ordres du roi. Ii fe trouva dans quelques régimens des manouvriers qui appofèrent docilement leur fignature; mais l'on en compte un plus grand nombre parmi lesquels il ne fe trouva pas un feul individu qui confentit à renier ainfi la conftitution; il y eut même un lieutenant général & plufieurs maréchaux-de-camp qui refufèrent d'entrer dans ce nouveau complot.

La miffion de Charles Lameth étoit plus particulière ment de féduire le général d'armée. On fit entendre au bon Luckner qu'il n'y avoit forte d'infamie & de dérifion à laquelle le roi n'eût été livré; on lui dit que les factieux l'avoient confpué, maltraité, frappé, qu'on l'avoit proméné dans les rues de Paris monté fur un âne, la tête tournée vers la queue, &c... & ce n'est que fur ces affertions, l'ouvrage de la Fayette, que Luckner fe décida enfin à fouferire auffi fa lettre d'improbation.

D'un côté on voit par-tout l'art de la calomnie mis en ufage pour égarer & tromper les hommes crédules; de l'autre on voit que le centre de toutes ces trames eft la Fayette il veut la guerre civile avec la guerre étrangère; il avoit cru l'opérer par fes déclamations contre les Jacobins; mais cette efpérance ayant été deçue, il fe flatta que le peuple fe partageroit fur les événemens du 20 juin & fur le fort du roi, & fon projet étoit de fe déclarer le chef du parti royaliste. Qui croiroit que Berthier, Mathieu-Montmorenci, les Lameth en étcient parvenus au point de décider Luckner à fe replier fur Paris avec fon armée, pour protéger les diffamations & les prétentions de la Fayette? Ce n'eft qu'à M. Biron que la France eft redevable du contre-ordre, car l'ordre en avoit été donné: oui, fans Biron, l'armée de Luckner cût quitté Courtray fix jours plus tôt, & elle l'eût quitté pour faire venir faire le fiége de Paris: voilà ce qui a retenu la Fayette quatre jours dans nos murs; il attendoit un courrier qui lui apportât cette horrible nouvelle. Armer les citoyens contre les foldats, dégarnir des frontières menacées par l'ennemi, pour faire maffacrer le frère par le frère, & faire exécuter ce maffacre par une armée qui n'eft pas la fienne, voilà l'analyfe du plan que s'étoit propofé la Fayette. Il fallut que Biron remontrât à Luckner que l'ennemi alloit faire une invafion auffi-tôt après fa retraite; qu'il alloit déshonorer fon nom; qu'il alloit devenir un objet d'horreur pour tous les Français; il fallut toutes ces remontrances pour opérer fur le vieux général la conviction que la préfence de fon armée étoit plus néceffaire à Courtray que fous les murs de Paris.

Enfin las d'attendre Luckner, la Fayette eft parti dans la matinée du famedi, 30 juin. On croit peut-être qu'il s'eft empreffé d'aller joindre fon armée dont l'avantgarde s'étoit battue pendant fon abfence? Non, il s'eft

fait accompagner jufqu'au Bourget, à quatre lieues de la capitale, par un cortége nombreux. Son digne confident Lajard a lui-même quitté fon pofte pour faire à fon protecteur les honneurs de la conduite. La Fayette eft refté quatre heures au Bourget; il y a reçu un premier courrier venant du château, de-là il eft allé au relai fuivant, où il s'est encore arrêté pendant quatre heures, & où il a reçu un deuxième courrier: plus de douze voitures accompagnoient le fatrape. (1); le tout étoit précédé par une trentaine de gardes nationaux, parmi lesquels on a remarqué deux grenadiers du bataillon des FillesSaint-Thomas. Ces vils fatellites prenoient les devants & fommoient les timides villageois de fe mettre fous les armes pour recevoir le général la Fayette. Ce fauveur de la patrie vient, difoient-ils, de faire un nouvel acte de patriotisme, il vient de faire punir les FACTIEUX que les Jacobins ont ofé conduire chez le roi; il est prêt à venir les foudroyer avec fon armée. Ce difcours en impofa ; des pay fans trompés prirent les armes, les femmes firent d. s bouquets, & le héros des deux mondes recevoit avec complaifance ces triomphes ruftiques arrachés à la timidité & à la bonne foi de l'habitant des campagnes.

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Ce fut autre chofe à Senlis on feignit que la voiture du général étoit caffée, & M. le maire vint offrir la fienne. Le général reçut cette offre avec bonté; il cajola M. le maire, il le fit affeoir, lui frappa fur l'épaule, fi bien que le magiftrat du peuple, tout lafayetife, fit affembler la garde nationale, & décerna à l'illuftre voya geur toutes les marques d'adulation & de baffeffe dont un peuple efclave eft capable envers les maîtres.

Ce n'eft que quatorze heures après fon départ de Paris, que Lafayette fut rencontré dans le bois de Compiegne. Ceux qui l'ont vu lui ont remarqué un air trifte & profondément occupé; fans doute que les horneurs qu'il avoit efcroqués à Senlis & dans les villages de la route n'effaçoient pas dans fon ame le fouvenir des huées dont il avoit été couvert dans le faubourg de la Villette, en fortant de Paris; il y fut appelé fcélérat, traître, factieux,

(1) C'étoit un bon moyen pour n'être point obfervé ni fuivi que celui de retenir d'avance aux poftes des chevaux pour quinze voitures.

confpirateur,

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