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Marquant,l'un des valets degarde-de-robe de Médicis-Antoinette, & le même qui le 21 juin 1791 fut chargé de l'enlévement des bijoux de la couronne, reçut au bras & à la cuiffe une touche dont il fe fouviendra. Beaugé, fon compagnon de domefticité, fans égard pour l'élégance de fa coiffure, fe vit rouler dans la boue. Un officier des canonniers des Filles de Saint-Thomas en fut quitte pour fes épaulettes, qu'on lui arracha avec plus de mépris encore que d'indignation. Quant à Perrez, ci-devant valet-de-chambre, aujourd'hui commandant des PetitsPères, fon agilité à fauter dans le foffé du pont tournant le mit à l'abri d'une pareille flétriffure. Quelques coups de canne tombèrent au hafard; fur Blouet, le boiffelier de la rue Montmartre, fur Berger, attaché aux ci-devant domaines du roi; fur Blondel, du directoire du département de Paris; fur Solior, le juge de paix, & même auffi fur un ci-devant confeiller au châtelet. Un autre individu laiffa 4 doigts fur le champ de bataille. Duhamel perdit la vie dans cette affaire, où il voulut jouer le rôle principal. Pourquoi auffi cet agent de change lieutenant du bataillon des Petits-Pères, s'avifa-t-il de tirer deux coups de piftolet, l'un fur le peuple fans défense, l'autre fur un Marseillois qui n'avoit d'autre arme que fon fabre? Il montra du moins un peu plus de courage que fes collègues ; mais il reçut le falaire dû à fes provocations criminelles; il fut l'un des premiers à braver les trop juftes murmures du peuple aux ChampsElyfées.

Les Marfeillois ont eu à peine quelques égratignures: ils n'avoient rencontré dans cette affaire perfonne capable de les regarder en face, fi on en excepte pourtant ce Duhamel.

Pour compléter l'hiftorique de la journée du 30 juillet, il faut dire que dans l'auberge des grenadiers des Filles de Saint-Thomas & conforts, il fe trouva, à la même heure, d'anciens gardes du corps du roi, laissant voir fur leur nouvel habit les boutons de leur uniforme d'autrefois. Quelqu'un s'en étant apperçu, ils répondirent qu'ils étoient de retour à l'inftant de Coblentz, qu'ils rentroient au fein de leur patrie, bien repentans de l'erreur où on les avoit induits, & qu'ils en pouvoient offrir une preuve non équivoque, en montrant d'autres

boutons,

boutons, qu'ils fe propofoient de fubftituer à ceux qu'ils portoient encore; mais ils ne répliquèrent rien à l'obfervation qu'on leur fit qu'ils auroient bien pu changer de boutons avant d'entrer à Paris.

Il eft probable que ces meffieurs en agiffoient ainfi pour attendre l'événement; en cas de fuccès, ils aufoient paru au château en uniforme décent, c'est-à-dire, avec la décoration contre révolutionnaire; autrement, ils tenoient en réserve une garniture de boutons nationaux pour se tirer de la bagarre fans avoir les étri vières.

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Mais ce dernier incident n'étoit pas même néceffaire pour nous apprendre que le hafard feul n'a point été la caufe première de la catastrophe de lundi 30 juillet. Le feul récit en indique affez la fource. Depuis plufieurs jours on annonçoit avec affectation l'arrivée des Marfeillois. On groffiffoit leur nombre; on en faifoit un épouvantail pour la cour; on parloit diversement de leurs intentions. D'une part, on les repréfentoit comme des brigands, ne reconnoiffant d'autres principes que le droit de la force. D'une autre part, au contraire, on les annonçoit comme des patriotes chauds, en conféquence du climat qu'ils habitent, fiers de leurs exploits civiques devant Arles & dans le Comtat, fe propofant de remonter l'efprit public des Parifiens fatigués, & de porter le dernier coup de maffue à la royauté, dans la perfonne du parjure & ftupide Louis XVI. Il n'en falloit pas tant pour porter la terreur dans le château des

Tuileries.

Dès la furveille on avoit pris la précaution de faire arracher quelques cocardes de ruban au Palais Royal & fur la terraffe des feuillans, afin de pouvoir mettre ce délit fur le compte des Marfeillois à leur entrée à Paris. On montroit des lettres qui difoient que tout le long de la route ces factieux du midi effaçoient le mot de roi par-tout où ils le trouvoient, & brifoient les images du prince.

On fait de refte que le bataillon des Filles SaintThomas eft le chien couchant de la cour. Déjà, avant cette dernière aventure, le peu de patriotes qu'il renferme n'ofoit s'en dire volontaires publiquement; plufieurs même avoit quitté l'uniforme de honte; & fans C

No. 169. Tome 13.

doute qu'il faudra ou licencier ce bataillon; ou le déci mer & lui faire porter un autre nom. Celui des PetitsPères n'est guères moins entaché.

Or, qui voudra croire que c'eft par un pur hafard que les grenadiers aristocrates de ces deux bataillons, de compagnie avec les gens du château, ont été faire une orgie au jardin royal des Champs - Elifées, en mêmetemps que les Marfeillois, encore tout poudreux, & dont on ne pouvoit depuis plufieurs heures ignorer l'arrivée. D'ailleurs ce repas, commandé par la cour, devoit avoir lieu la veille, dimanche 29. Le contre-ordre qui le recula au lundi, pouvoit-il avoir d'autre motif que la pré-, fence des Marfeillois à Paris?

Si l'on confidère en outre qu'au repas de ces modernes Centaures (1) les principaux convives étoient Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, Parifot, Pigeon, Moreau de SaintMéry, bien connus par la haine qu'ils profeffoient dans toutes leurs converfations, & dans leurs écrits périodiques contre les braves de Marfeille; depuis plufieurs femaines ils n'épargnoient rien pour les mettre en horreur dans l'efprit des citoyens, & fur-tout des propriétaires; ils les repréfentoient comine une horde de scélérats, dont la ville de Marseille fe félicitoit d'être délivrée. Lâches valets aux ordres de la cour, vous n'auriez pas été vous inftaller au jardin royal, prévenus que les Marfeillois devoient fe trouver dans l'auberge voifine, fi vous n'aviez efpéré avoir affaire à des gens haraflés de fatigue, & leur impofer par une contenance arrogante, & par la crainte qu'ils auroient de fignaler les premiers momens de leur féjour à Paris d'une manière déshonorante! Mais ils ont fait preuve de prudence autant que vous de lâcheté. C'est vous qui fûtes aggreffeurs, vous qui eûtes la platitude de tirer vos fabres contre des citoyens fans armes fcandalifés de vos propos

(1) Monftres moitié hommes, moitié animaux, qui, dans un repas, châtiés de leur infolence par les Lapithes, prirent lâchement la fuite, & allèrent fe cacher dans le palais d'une firène dangereufe, au fervice de laquelle ils avoient voué leur vile existence. (Voyez le dictionnaire de la Fable).

dignes de Coblentz, vous qui vous mîtes plufieurs für un feul Marseillois, & qui l'auriez maffacré bravement à vous tous, s'il n'eût appelé fes frères. Ils ne favoient pas ce qu'on leur vouloit, ils font arrivans: les parriotes du faubourg Saint-Antoine vont au-devant d'eux, ils fe préfentent à la mairie, & fe rendent auffi-tôt après à leur caferne, qu'ils préfèrent à des logemens chez les bourgeois, auxquels ils veulent épargner de l'embarras. Santerre leur offre, & ils acceptent un dîner cordial aux Champs-Elyfées. A peine font-ils à table, ils s'entendent appelés par le peuple; quelques-uns d'entr'eux fortent, & voient des fabres nus levés fur une multitude fans défenfe. Leur premier mouvement ne put être douteux. Lâches ficaires foudoyés par le château, pas un de vous n'y eût reporté fes oreilles, fi les braves de Marseille ne fe fuffent rendus à la médiation de MM. Gaston, Merlin & Santerre, implorant leur clémence en votre faveur,

Quelques-uns bien échinés, mais la plupart couverts de fange, & dans un défordre affecté, nos preux grenadiers s'acheminèrent comme ils purent droit au château à travers le jardin des Tuileries, dont on s'empreffa de leur ouvrir le pont tournant. Quelques-uns redoutant la terraffe des Feuillans, aimèrent mieux prendre le plus long, & arrivèrent par le quai. Là, comme des écoliers hargneux qui vont fe plaindre à leur maître ou maîtreffe d'école, introduits fans avoir befoin de carte d'entrée, ils fe préfentèrent au roi. Sire! fire! justice & vengeance; fept cents brigands de Marseille ont voulu nous obliger à crier avec eux vive la nation; nous avons perfifté à ne répéter autre chofe que notre refrein chéri vive le roi, vive la reine...., Vous voyez, fire, l'état dans lequel ils nous ont mis.

Mais eft-ce que des gardes nationales ont befoin qu'on les force à dire : vive la nation? dit une fentinelle présente. Pour ne plus être interrompu auffi incongrument, Louis XVI tira à part les plaignans, & leur demanda à l'oreille de quelle fection ils étoient.

Il ne s'en tint pas là, fa main royale étancha elle-même avec fon mouchoir le fang qui couloit fur le vifage de l'un d'eux, mais il eut foin de donner cette marque de fenfibilité en présence de deux officiers de paix, & des fieurs Hervilly, Boiffieux, d'Offonville, d'Orval, Soto, Douglas, &c. &c. témoins.

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Mais voici Médicis Antoinette, fuivie de la prude Eliza beth, qui accourt en fanglottant, & criant d'un air effaré: Mon mari, le rei mon mari! eft-il tué auffi? où est-il?

Mais, madame, dit un garde à fon pofte, votre douleur vous égare; voilà le roi, & perfonne ne l'a approché que ces meffieurs.

Qu'on les panfe bien vite, ces pauvres bleffés, dans mon appartement; en voici les clefs.

Quelques fuivantes de Médicis Antoinette crièrent aufsi pour leur part; & mon mari, M. le duc!... M. le marquis n'eft-il pas bleffé? Leur maîtreffe eut la complaifance de répondre à l'une d'elles avec dépit : votre mari, votre mari, mefdames, n'y étoit pas.

Dans le même temps, à l'autre bout du fallon, il fe paffoit une fcène un peu plus gaie. Une autre fentinelle relevoit l'expreffion brigands appliquée aux Marseillois dans le difcours des plaignans bleflés; l'un d'eux ne l'étoit pas affez pour qu'il ne pût répondre au factionnaire: fi tu n'étois pas en faction, je te f.... de mon fabre dans le ventre. La fentinelle indignée tiroit déjà fon fabre pour lui répliquer, mais il fe contenta de lui donner rudement de fon pied dans le derrière. Des épaulettes accoururent, & firent évader le grenadier. Six à fept cents habillés de noir leurs croix de Saint-Louis dans leurs poches ou à leurs mains, entrèrent fur ces entre faites, & paffèrent la nuit ́ au château. Nous fommes informés qu'à la première occa¬ fion favorable, cette milice domeftique fe vêtiroit des uniformes nationaux dont en ce moment on a fait une commande confidérable; on nous a prévenus aufli qu'on travaille fans relâche à quantité d'habits noirs, revers & paremens verds; tout cela fe fait pour le compte du château.

Cependant la générale fe faifoit entendre dans plufieurs quartiers de Paris, & principalement fur les fections dex Filles Saint-Thomas, des Petits-Pères & des Tuileries, fans ordre de fupérieurs. Des détachemens fe croifoient dans les rues, traînant avec eux du canon. Le bataillon des Quatre Nations nè fut pas des derniers à envoyer du fecours que les magiftrats n'avoient point requis, attendu qu'il n'y avoit plus de danger. Vincent cominandoit ce détachement; il le fait paffer fur le Carroufel; auffi-tôt les portes de la cour des Princes s'ouvrent, on entre, & l'on fait halte: ils étoient pour le moins 200 hommes, la plus

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