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plus, elle a admis à fa barre celui-là même dont l'uni forme, dont les fignes extérieurs atteftoient publiquement l'attentat à la loi, comme s'il eût fuffi d'être hardiment fcélérat pour lui en impofer!

Général d'armée contre toutes les loix de fon pays, Lafayette fe rendit à Metz pour y prendre la place de fon digne coufin Bouillé à cet inftant Metz redevint le centre de toutes les confpirations; & deux fois pendant l'hiver le roi y fut attendu & annoncé publiquement. Lafayette s'en cachoit fi peu, que le jour même que le comité de furveillance eut la mal-adreffe de publier la feconde fuite, il avoit fait louer chez les tapiffiers de Metz cent lits qu'on devoit un foir tranfporter dans le ci-devant hôtel de l'intendance, & qui ont été contremandés inceffamment après l'arrivée d'un courrier extraor dinaire dépêché par le fieur Narbonne. Nous atteftons la vérité de ce fait.

Le renversement de ce projet, favorifé par Lafayette, n'a fait qu'augmenter pour lui la bienveillance du maître; & le même homme qui avoit artificieufement provoqué la fuppreffion des titres de nobleffe, ainfi que des attributs gothiques des différens ordres, fe laiffa complaifamment barder d'un ruban rouge femblable à celui dont la conftitution a gratifié le roi. Au lieu de maire de Paris, voilà donc Latayette devenu gouverneur de Metz, géné ral de l'armée du centre, & cordon rouge. Nous allons voir à quel but vont le conduire ces nobles & fublimes diltinctions. D'abord il effaya de corrompre les Jacobins de Metz, enfuite il les pourfuivit à force ouverte & puis il força les meilleurs citoyens de cette fociété de quitter un théâtre que fon ambition vouloit lui faire occuper feul il ne refta parmi les fociétaires de Metz que trois patriotes qui lui réfiftèrent à force ouverte ; les menaces publiques & les perfécutions indirectes ayant impofé filence à la majorité de la fociété, & contraint à fuir

le refte.

Pendant le temps qui précéda la déclaration de guerre, Lafayette entretint des correfpondances très-fuivies avec Coblentz, d'une part, & le Brabant de l'autre. Nous favons les noms des émiffaires qui le fervoient chez les émigrés, & ce n'eft que d'après le rapport de tous les

efpions qu'il fe décida enfin à venir à Paris propofer directement au confeil du roi, & indirectement à l'af femblée nationale, de déclarer la guerre offenfive au roi de Hongrie & de Bohême.

Quels avoient été les prétendus motifs de Lafayette pour faire déclarer la guerre offenfive? Les voici tous. 1°. La certitude que l'armée étoit très-complète & très-bien approvifionnée; 2°. la certitude d'une infurrection prochaine de tout le Brabant; 3°. la néceffité d'une grande invasion dans cette contrée; 4°. la confiance que l'empire & l'armée devoient avoir dans le ministère d'alors : tel étoit le langage de Lafayette au mois d'avril dernier : cr, les faits ont-ils répondu à fes promefles? Il a fait chaffer ce même miniflère qu'il combloit d'éloges; au lieu de faire une invafion, il s'eft tenu conftamment fur la défenfive; au lieu de favorifer l'infurrection du Brabant, il la contrarie par tous les moyens qui font en fon pouvoir, tantôt en jetant des avant-gardes dans ce malheureux pays, en faifant crier aux habitans: Vive les Français, en fe repliant enfuite pour les faire punir de cette bienveillance par les Autrichiens mêmes; tantôt en les calomniant, les décourageant; tantôt en faifant livrer leurs paifibles toits à la fureur des flammes.... Mais n’anticipons pas fur les faits; les caufes de cet incendie ont befoin d'être développées, & ce fouvenir eft fi douloureux, cette image excite une indignation fi profonde, qu'elle ne laifferoit pas le calme néceffaire à la lecture d'une difcuffion raisonnée.

Que devoit faire Lafayette au camp de Givet? Il devoit s'emparer de Dinan, Bouvines Namur, Hui, Liége. Quels exploits a-t-il fubftitués à ceux-là? Des efcarmouches, où il a eu la conftante perfidie d'exposer de petits détachemens français au feu & à la rage d'un ennemi toujours plus fort en nombre, & que les nôtres n'ont vaincu que par l'avantage de l'ardeur & de l'amour de la liberté. Depuis quinze jours Gouvion avoit appris à le connoître; il lui avoit fait des remontrances un peu dures, & Gouvion, commandant un avant-pofte, a été abandonné par son général, & emporté à la vie, avant qu'il eût pu rendre le public confident de fes anciennes erreurs.

Tout préfage que l'histoire de la présente guerre ne sera

qu'une

!

qu'une hiftoire d'horreurs & de trahifons. Naguère en core, la perspective d'un armement général en Europe nous paroilloit éloignée, & voilà qu'aujourd'hui nous ne pouvons plus former de doutes fur un auffi grand événement. De nouvelles légions defcendent du fond de la Valachie, de l'Autriche & de la Bohême; le vifionnaire defpote de Berlin eft lui-même à la tête d'une armée nombreuse; tous les électeurs d'Allemagne ont pris part au concert des puiflances dirigées par l'Autriche, l'au tocrate du Nord fournit fon contingent de troupes; la Sardaigne eft en état de guerre autant qu'elle peut l'être ; Espagne, quoi qu'on en dife, a plus de cent mille hommes fur pied; le gouvernement d'Angleterre & la Stathouderienne font les banquiers de la ligue; les émi grés font réunis au nombre de trente mille à peu près; les cantons ariftocratiques de la Suiffe font auffi des le yées; Louis XVI entretient une autre armée dans Paris, & notamment à l'Ecole Militaire, & avant quinze jours la France ne peut manquer d'être cernée, menacée par une armée de quatre à cinq cent mille hommes.... Et que font nos généraux? Que fait le roi? Que font fes miniftres? Que font tous les administrateurs de l'empire?

Français nos dangers font grands, mais ne perdons pas de vue que tous les peuples qui ont combattu pour la caufe de la liberté ont fait des prodiges qui étonnent encore l'univers. Darius avoit fubjugué une partie de la Grèce; il vouloit fubjuguer l'Attique; ce foin fut confié à Datis & Artaphernes, généraux perfans. Le roi leur avoit donné une armée de cinq cent mille hommes & ne doutant point du fuccès de l'entreprife, il leur avoit fait fournir un grand nombre de chaînes pour at tacher les prifonniers. Datis & Artaphernes, qui ne calculoient la force des peuples & des armées que sur. l'étendue du territoire & le nombre d'hommes de guerre, se contentèrent de choisir une élite de cent mille foldats dans cette armée innombrable, & crurent qu'avec cette troupe choifie, ils n'auroient pas de peine à réduire une poignée de républicains, dont l'armée pouvoit tout au plus fe monter à dix-huit mille hommes; mais les Athéniens calculoient autrement; ils n'employèrent eux-mêmes qu'une partie de leurs forces, & c'est avec une armée No. 156, Tome 13.

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de dix mille hommes, y compris les fecours de Sparte & de Platée, que Miltiade, général athénien, présenta la bataille fur le célèbre rivage de Marathon. Cette bataille fut moins longue que fanglante; les barbares perdirent prefque tous leurs officiers & fix mille de leurs meilleurs foldats; le refte de l'armée fut repouffé avec vi gueur fur les côtes de l'Afie. Dix ans après, Xerxès Åls & fucceffeur de Darius, tenta de rétablir ce qu'il appelloit la gloire des armées perfannes. Cet infolent defpote raffembla une armée que des hiftoriens dignes de foi portent à plus de 2 millions d'hommes, à quoi ils ajoutent un nombre égal de femmes, d'eunuques & d'efclaves, pour tranfporter les bagages & les provifions de cette armée, la plus nombreufe qu'on ait jamais raffemblée fur aucune partie du globe. Les troupes de Xerxès campèrent dans les vaftes plaines de Thrace, où le defpote attendoit & recevoit le tribut de plufieurs peuplades pufillanimes de la Grèce; quelques autres prirent la généreuse réfolution de mourir ou de conferver leur liberté : les rixes particulières ceffèrent, toute rivalité difparut, & il fe fit une alliance folennelle contre l'ennemi étranger. On connoît la magnanimité de Léonidas & la valeur des Spartiates, qui défendirent, avec lui le paffage des Termopiles; on connoît les détails du combat naval d'Artemife, où la flotte perfanne fut entiérement défaite; on fait qu'Athènes même devint la proie des barbares: mais la prife d'Athènes n'avoit pas fubjugué les Athéniens; ces fiers amis de la liberté avoient emmené leurs femmes & leurs enfans dans Salamine; ils les y défendirent, & dès l'année fuivante ils fe mirent en état de livrèr en un jour deux batailles décifives, l'une fur terre, l'autre fur mer, dans lefquelles ils remportèrent un triomphe complet, massacrèrent les Perfans, en délivrèrent à jamais la Grèce, & préparèrent à leur vaillante nation les routes qui l'ont conduite à l'immortalité.

Et nous, qui ne fommes pas défunis comme les Grecs, nous dont les quatre-vingt-trois départemens ne forment pas quatre-vingt-trois états mais un feul divifé en fections, nous qui avons autant de lumières, autant de courage, autant d'amour de la liberté que les Spartiates & les Athéniens, nous dont la caufe eft plus belle encore, puisque c'est celle-là seule de l'égalité, nous dont

les reffources font immenfes en comparaifon de celles de la Grèce, nous qui n'avons pas 2 millions d'hommes mais feulement 4 ou 500 mille à combattre ; nous pourrions douter un inftant de la victoire! Il n'y a qu'un lache qui puiffe le croire. Nos forces nous affurent le fuccès; mais la trahison peut nous faire effuyer des revers. Léonidas & fes compagnons ne feroient pas morts au détroit, les murs d'Athènes ne feroient pas tombés au pouvoir des ennemis fans l'infâme trahifon d'Epialtes; nous en avons plus d'un dans nos armées, & fi nous les fouffrons plus long-temps, comme les Grecs nous n'acheterons la liberté qu'au prix du fang de nos meilleurs citoyens, & de la dévaftation de nos villes & de nos campagnes.

Le chef des traîtres c'eft la Fayette, qui depuis quelque temps déploie une infolence dont l'hiftoire des anciens confpirateurs n'offre aucun exemple. Déjà sa première dénonciation à l'affemblée nationale avoit étonné tous ceux qui ne font pas les complices; mais fa présence dans le fénat, mais la lettre qu'il écrivit en partant de Paris, font des faits fi extraordinaires que la poftérité ne les croira pas. Lorsque la Fayette accufa les Jacobins, lorfqu'il accufa les fociétés populaires en général, il perdit à l'inftant les fruits d'une laborieufe confpiration de trois années. Tous les ambitieux qui ont afpire à la tyrannie ont d'abord cherché à fe créer des partis. Catilina avoit choifi le fien parmi les débauchés, les gens perdus de dettes & de crimes; Mahomet s'étoit attaché les fanatiques & les fuperftitieux; Pifistrate avoit careffé l'ambition d'une certaine nobleffe toujours avide d'honneurs ; Paufanias avoit cru pouvoir faire de fes compagnons d'armes les fujets de leur général; enfin tous les chefs de faction ont toujours eu foin de s'entourer d'hommes mus par quelques-unes de ces grandes paffions qui enfantent ou les grands vices ou les grandes vertus. La religion, l'ambition, la néceffité, l'admiration, la vengeance ont donné des tyrans à l'Arabie, à Rome, à lạ Grèce. La Fayette a voulu fuivre une autre route. Denué de cet afcendant du génie qui en impofe aux hommes paffionnés, il choifit fon parti dans tous les partis: royalistes modérés, républicains modérés, aristocrates modérés , bourgeois modérés, peuple modéré, voilà les hommes dont la Fayette avoit compofé fa clientelle ; mais

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