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labilité, prérogative abfurde qui, en détournant de deffus ta tête le glaive de la loi, ne te mettroit pourtant pas à l'abri du poignard d'un Brutus; réduis au quait ta lifte civile, traitement fcandaleux fous le règne de l'égalité, & qui attire autour de ta perfonne tant de vils parafites, tant de flatteurs perfides, prêts à tout, pourvu que tu les paies; dénonce auffi à la haute-cour nationale ces confeillers pervers qui t'ont applani la route du crime; ne nous cache rien; nous te ferons grace de tout.

Nous te laiffons la fin de cette journée & la fuivante, pour réfléchir au parti que nous te propofons; mais fache que c'est le feul qui te refte à moins que te jugeant toi-même le premier incapable de perfévérer dans le bien, tu ne confentes à defcendre du trône & à vivre dans une douce obfcurité, pour laquelle tu étois né. Nous ferons reconnoiffans de ce procédé ; une retraite honorable te fera affurée pour ta vie & pour celle de tes

enfans.

Tu fouris avec dédain à ce difcours libre, parce que peut-être en ce moment tu as fur toi la copie du manifefte de tous les potentats de l'Europe, ligués contre nous pour foutenir ta caufe. Louis, Lavauguyon, tôn pédagogue, t'a-t-il jamais parlé de la ligue de Cambray? Te rappelles-tu d'avoir lu dans l'hiftoire qu'au commencement (1) du feizième fiècle la république de Venise, feule de fon parti, réfifta, pendant huit années confécutives, aux efforts combinés de l'empereur, des rois de France & d'Arragon du pape & de tous les princes d'Italie? Il lui en coûta une portion de fon domaine mais elle conferva fon indépendance & fa fouveraineté ; fes ennemis puiflans & nombreux, épuifés d'hommes & de finances, apprirent à leurs dépens & à leur honte à refpecter déformais un peuple jaloux de fes droits.

Louis! pars, toute à l'heure fi tu veux. Loin de te retenir au milieu de nous, nous t'offrons une efcorte jufqu'à lafrontière. Va rejoindre à Worms le neveu de ta femme & fon voifin le roi de Pruffe, qui n'attendent que toi pour entrer en France; mais dis-leur de notre part que fi Venise ofa bien toute feule fe mefurer avec

(1) La ligue de Cambray fut terminée en 1516.

tous les princes de l'Europe, & put fe foutenir pendant huit années contre une coalition aufi formidable pour elle, le peuple français doit voir fans inquiétude les rois de Hongrie & de Pruffe, & d'Efpagne & de Sardaigne, & la Sémiramis du Nord, & le grand duc de Tolcane, & le fouverain pontife, comme auffi la Hollande, & même l'Angleterre, faire avancer un demi millon d'efclaves foudoyés pour forcer vingt-cinq millions d'hommes libres à reconnoître la fouveraineté d'un feulfur tous; dis-leur que, fuffions-nous fans tactique & fans généraux, nous les attendons avec fécurité; & qu'après la révolution de 1789, ce que nous pouvons defirer le plus ardemment, c'eft de voir réunis fur nos frontières les ennemis les plus puiffans de la liberté, afin de délivrer le monde de tous fes tyrans à la fois. Après le bonheur fuprême d'être libres, peut-il fe présenter quelque chofe qui nous foit plus agréable que l'occafion de brifer d'un feul coup, & à nous feuls, les fers de tous les autres peuples?

Louis! fi tu acceptes de l'emploi dans cette ligue impie, nous t'en prévenons; d'après les loix de la juftice & de la guerre, n'efpère pas en être quitte pour ta déchéance au trône des Français.

La Fayette.

Nous ne parlerons pas de la naiffance de M. Mottier marquis de Lafayette; tout le monde fait qu'un fang noble, très-noble, très-digne d'être noble, circule dans fes veines. Quel que foit le plus ou le moins d'ancienneté de cette famille, M. le marquis fe croit un des premiers gentilshommes du monde, & nous n'aurons pas l'injustice de lui refufer ce titre. Nous ne parlerons pas non plus de fon éducation; Lafayette fe fouvient bien luimême que les vices de fon enfance & plus particuliè rement de fon adolefcence, lui avoient déjà attiré le mépris & prefque la frayeur de fes innocens camarades; nous pallerons également fous filence & le temps qu'il a vécu à la cour, & les circonftances de fon entrée dans la famille Noailles, & fes grands exploits d'Amérique ; nous lui ferons même grace de tous les attentats, de tous les crimes dont il s'eft couvert pendant qu'il a com

mandé la garde nationale de Paris; nous ne dirons pas que des 44 mille commandans de garde nationale qui ont été nommés à l'époque de l'infurrection, Lafayette eft le feul qui ait fouillé ce nom en demandant au roi la permiffion de prendre les armes contre lui. Nous ne nous arrêterons pas davantage à la journée du 5 octobre, à fes perfécutions contre les écrivains patriotes, aux dépenses énormes de fa première dictature, à la journée de Vincennes, à la foirée des poignards, au départ de Saint-Cloud, à l'affreufe boucherie du champ de Mars, &c. &c. &c. nous ne voulons prendre Lafayette qu'au fortir de l'affemblée conftituante, & examiner quelle fut fa conduite à compter de cette époque.

Qu'étoit Lafayette, commandant de la garde nationale parifienne? Maréchal des camps & armées du roi. Que fut Lafayette après la fuppreffion de la fouveraine dictature de Paris? Le général des armées du roi. Ce fut donc le roi qui le récompenfa des fervices par lui rendus en qualité de chef, c'est-à-dire, de prétendu chef de l'infurrection française. Chargé des bienfaits de fon maître, comblé des honneurs de l'efclavage, le fatrape Mottier quitta un moment la cour du grand roi, & voulut imiter les hommes des républiques en affectant de fe retirer dans fes terres. Singe mal-adroit du grand Cincinnatus, Lafayette fait publier qu'il eft à la charrue, & qu'il a pour jamais quitté le théâtre des événemens politiques; mais quelle différence entre le perfonnage confulaire de Rome & lui! Quintius-Cincinnatus cultivoit réellement de fes propres mains, il cultivoit cinq arpens de terre formant tout fon domaine; & quand les envoyés du fénat vinrent lui apprendre que les pères confcrits l'avoient nommé dictateur ce ne fut qu'avec peine, & par un facrifice pénible, que le Romain confentit à fe éparer de fa femme & de fa métairie, Eft-ce là Lafayette? Non. Cette fimplicité n'entra jamais dans fon cœur; s'il a quitté Paris au mois d'octobre, c'est que fa place avoit été fupprimée par un décret du législateur; & Join de fe borner, ainfi que Cincinnatus à la poffeffion & à la culture de cinq arpens de terre, Lafayette s'eft retiré au milieu d'un vafte domaine qui auroit fatisfait l'ambition de vingt fénateurs romains! Encore s'il eût borné là fes défirs! Mais non, fa retraite à la campagne

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ne fut qu'une feinte groffière; & s'il eft vrai que les envoyés du fénat de Rome eurent befoin d'avoir recours à l'éloquence pour arracher Quintius à fa charrue, il est également vrai que, du fond de fa retraite, l'hypocrite imitateur de ce grand homme entretenoit au sein de la capitale un foyer de troubles & d'agitation qui ne tendoit uniquement qu'à l'en faire fortir. Combien les bataillons de garde nationale ne furent-ils pas travaillés pour obtenir d'eux de nouveaux tributs d'idolatrie & de fervitude! On fe rappelle cette épée, gage de l'abjection d'une partie de la garde nationale parifienne, cette épée d'or, chargée d'infcriptions dégoûtantes, cette épée qu'une députation nombreufe des bataillons de Paris alla porter au général dáns le fond de l'Auvergne : or, cette démarche ne pouvoit être que le fruit d'une intrigue calculée ; car, difons-le à l'honneur de l'espèce humaine, les hommes ne font pas naturellement vils, ils ne fe dégradent que par l'appât d'un bien trompeur, & par les incitations de ceux qui ont intérêt de les avilir.

Tout ce que Lafayette a fait jufqu'au mois de novem bre 1791 n'eft, à parler vrai, que le prologue de cette tragédie, dont les fcènes, plus ou moins atroces, fe développent fucceffivement fous nos yeux. L'engoûment excite parmi la garde nationale parifienne avoit un but principal, c'étoit la place de maire de Paris. Après avoir mutilé la conftitution, après avoir réintégré le roi dans un pouvoir dont il étoit déchu, après avoir opéré ce double attentat par le fecours d'une foldatesque aveugle, Lafayette ambitionna l'écharpe municipale, il fe fit mettre fus les rangs en concurrence avec le vertueux Pétion, & ce fourbe obtint près de 4000 voix. Ah! cet instant a décidé du fort des Français. Si l'or & l'intrigue euffent pu porter Lafayette à cette magiftrature, c'en étoit fait de la liberté. La cour & le cabinet des Tuileries, & le comité autrichien, l'hôtel de la mairie, & peut-être la maison commune n'euffent fait qu'un. Lafayette maire eût exécuté par lui-même tout ce qu'il faifoit ordonner par l'automate Bailly; il n'y auroit eu ni tranquillité, ní sûreté pour les patriotes, vingt fois le fang eût coulé dans les murs de Paris, le drapeau fatal eût été déployé vingt fois, & vingt fois les infolens contre-révolutionnaires, protégés par le magiftrat du peuple, euffent pre

pofé au corps législatif le fyftême déteftable des deux chambres, fi la minorité de ce corps, enhardie & protégée par l'auteur du fyftême, ne l'eût fait décréter dès la première fois. Parifiens! vous connoiffez les anciennes liaifons de Dandré, du perfide Dandré avec le général Lafayette; vous avez vu ce Dandré pouffer à fon comble la fureur des accaparemens; vous avez fenti, vous fentez encore tous les effets de l'avidité des accapareurs. Eh bien! répondez-nous, qu'euffiez-vous fait, quel eût été votre fort fi Lafayette, fi l'ami de Dandré, du chef de tous les fpéculateurs avides, fi Lafayette eût eu dans fes mains le drapeau martial pour protéger les gains & & les crimes de fon ami? Par le malheur des temps, vous payez les vivres à un haut prix; mais Lafayette maire eût amené la famine; & fi Pétion ne l'avoit emporté fur lui, ou la capitale de la France feroit aujourd'hui déferte, ou les malheureux habitans s'entr'égor geroient pour s'arracher des mains un miférable morceau de pain noir.

la

Graces aux cieux ! Lafayette a échoué dans fa brigue, & pour cette fois enfin le féducteur n'a recueilli que honte de voir fuccomber le vice à côté de la vertu. Dès-lors il n'a plus gardé de mefare. Semblable à quelques tribuns ambitieux, qui n'affe&toient des manières populaires que pour flatter le peuple & capter fes fuffrages, & qui fe proftituoient publiquement au fénat, dès que le peuple les avoit déçus, Lafayette jeta le masque de la popularité, & fe déclara fans aucun ménagement pour la cour: la conftitution même ne lui fervit pas de barrière, car, malgré qu'un article défende expreflément aux membres de l'affemblée conftituante d'accepter des commiffions du roi dans l'intervalle de deux ans ; malgré qu'une place de commandant d'armée, chofe trèsdiftinéte du grade de lieutenant général, ne foit qu'une commiffion du roi, malgré que cet article conftitutionnel fuflife pour faire mettre en état d'accufation & le miniftre qui a figné la commiffion & l'individu qui l'a acceptée; Lafayette, au mépris des loix, des loix que luimême avoit fait rendre, Lafayette a ofé accepter une place de général d'armée; & l'affemblée nationale, toute aveugle dans ce temps-là, a fouffert fous fes yeux une telle violation des principes conftitutionnels elle a fait

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