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Le directoire & le confeil du département viennent de faire une grande perte dans la perfonne de Defmeuniers, cet ancien député conftituant, fameux par le. code municipal qu'il rédigea pour Paris, dont il étoit Fun des repréfentans, & qui conviendroit fi bien à la police de Conftantinople. Voici la lettre d'envoi de fa démiffion, qu'il adrefla à fon digne préfident, le fieur la Rochefoucault.

« M. le préfident, je crois avoir prouvé, durant quarante mois, que mon zèle ne fe laiffe point affoiblir par la haine ou les cris des mauvais citoyens; mais en con-r fidérant notre pofition, je dois examiner de quelle: manière je puis encore fervir la chofe publique. Dans les circonstances actuelles, je fuis convaincu que ce n'est ni au directoire, ni au confeil du département, & j'ai P'honneur de vous envoyer ma démiffion.

» C'eft avec une profonde douleur que je me fépare de mes collègues. A l'exception des infenfés, des brigands & des factieux, l'eftime de toute la France leur eft acquife; & moi, qui ai vu de près leur droiture. & leur conftance inaltérable pour le maintien de la conftitution & le bonheur de leurs concitoyens, je leur ai voué un éternel attachement. Signé, Desmeuniers ».

En voici le vrai fens. Durant près de quatre années, j'ai fu mériter & braver la haine & les cris des bons citoyens; mais confidérant qu'il n'y a plus moyen d'y tenir, attendu que le peuple y voit trop clair & fe montre d'humeur à ne luiffer en place aucun faux patriote; convaincu qu'il eft une fomme d'iniquités au-delà de laquelle il n'eft plus permis d'aller fans trop fe rif quer, je crois qu'il eft temps de quitter prudemment un pofte qui n'eft plus tenable pour moi, & j'ai l'honneur de vous envoyer ma démiffion.

C'eft avec une profonde douleur que je me fépare de mes honorables collègues. Nous étions fi bien appareillés, fi bien faits l'un pour l'autre, à l'exception pourtant de ce Rhoederer (1), affez infenfé pour excepter

(1) N'eft-ce qu'en fa qualité de procureur du dépar tement, que ce M. Rhoederer a inftallé lui-même au château des Tuileries les juges de paix chargés de l'affaire du 20 juin?

No. 158. Tome 13.

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Pétion & Manuel de la profcription prononcée par nous contre les factieux & les brigands. Tous les honnêtes gens, dont M. Lafayette invoque le témoignage, font pour nous; leur eftime dans toute la France, c'est-à-dire depuis l'état-major du héros marquis jufqu'aux habitués du château des Tuileries, nous eft acquife; & moi, qui ai vu de près leur perfévérance à toute épreuve pour le maintien du defpotifme conftitutionnel, & l'aviliffement des citoyens trop attachés aux droits de l'homme, j'ai voué à ces meffieurs un éternel attachement; mais je fervirai mieux la lifte civile dans la retraite, & fous le manteau du mystère, qu'au directoire & au confeil du département, où je fuis trop en évidence, Pourvu que je gagne un peu mieux ma vie qu'à faire des traductions, qu'importe à ceux qui me paient que je fois adminiftrateur ou fimple particulier? Je vais examiner s'il n'eft pas un pofte où je puisse être encore plus utile à mes protecteurs au château, que je ne l'ai été jufqu'alors. Je fens que je fuis né pour un théâtre plus vafte qu'une place dans le directoire de Paris en un mot, que mes collégues foient bien perfuadés que fi je me fépare d'eux, ce n'eft pas pour abjurer leurs principes; ils me trouveront toujours quand il s'agira de mater un peuple jaloux de fa liberté, comme au moment qu'il l'a conquife, & attaché à fes magiftrats en raifon de la préférence qu'ils lui donnent fur le fervice de la cour. Je ferai toujours tout à vous; mais fouffrez que je ne m'expofe pas trop au reffentiment du public, qui tôt ou tard fauroit m'atteindre, & me punir, en un jour, de quarante mois d'incivifme & de faux zèle.

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Vendredi 20, tous les membres conposant le directoire du département ont donné leur démiffion, à l'exception de MM. la rochefoucauld, Talleyrant & Thion de la Chaume.

On ne s'eft pas contenté de dire des meffes pour le repos de l'ame de l'officier général Gouvion. L'affemblée nationale a cru devoir faire écrire, par fon président, au père du défunt, une lettre de condoléance, que nous ne tranfcrirons pas ici; elle ne fait pas affez d'honneur au difcernement de nos députés. Nous nous arrêterons davantage à la réponse de Gouvion le père.

Si on n'y trouvoit que l'expreffion de l'amour paternel, nous refpecterions la douleur d'un vieillard qui perd

deux de fes enfans; mais ce n'eft pas ce fentiment fi naturel, fi touchant, qui domine ici. M. Gouvion paroît beaucoup moins affecté du trépas immaturé de fon fils, que des outrages prétendus faits à fon roi; il a prefque dit à fon maître. Il est déjà tout confolé, en obfervant que ce fecond fils qu'il a perdu, ainfi que l'autre mort Nancy, & ceux qui lui reftent, aimoient autant que lui, d'un amour fincère, le roi, dont il a toujours regardé les véritables intérêts comme infeparables de ceux de l'état. Le pauvre M. Gouvion le père n'est guère au courant de ce qui fe paffe. Comme Siméon, il mourra fatisfait fi à fon dernier jour, écrit-il, il apprend que fon roi VERTUEUX, gouvernant avec des loix fages, librement faites & confenties, a recouvré le bonheur dont il eft fi digne de jouir.

Et dans un poft-fcriptum:

« M. le préfident, doublement affecté de mes propres "maux & de ceux caufés à la France par des factieux » pour qui rien n'eft facré, ne foy ez pas furpris fi mon » ftyle fe reffent de la pénible fituation où je me

» trouve ».

Pour nous, nous n'en fommes pas du tout furpris. Il eft vifible que les véritables factieux dont Louis XVI eft le roi, & Lafayette le général, empoisonnent les fources les plus pures de leurs lâches délations, & mettent le couteau à la main d'une partie des citoyens contre l'autre. Depuis que Mirabeau, au lit de mort,eut sonné le tocfin contre les factieux, c'eft-à-dire contre les patriotes qui l'avoient apprécié de fon vivant, on a faifi toutes les occafions de les rendre odieux, en leur attribuant tous les malheurs de l'empire. Donne-t-on une épée au brave Pie, on lui fait dire, en la recevant, qu'il s'en fervira pour combattre les ennemis du dehors & contenir les factieux du dedans. On fait figner à Luckner une lettre par laquelle il fe joint de cœur & d'efprit à Lafayette contre les faétieux. L'affemblée croit devoir écrire quelques lignes de confolation à M. Gou vion père. Il répond qu'il est tout réfigné, puifque fon fils tendre & chéri n'afpiroit qu'à délivrer la France des facieux qui la déchirent; puifqu'à fon exemple tout ce qui porte le nom de Gouvion partage la haine & le mépris qu'il a toujours porté aux mechans qui troublent l'harmonie fi defirable entre la nation & fon chef.

Qui ne voit qu'une lettre de ce ftyle a été dictée

comme pour fervir, en tant que de befoin, de pièce juftificative à la contre-révolution royale? Ce font des autorités qu'on mendie de côté & d'autre, & qu'on ramaffe pour attirer au royalifme les citoyens fans prin cipes, qui hésitent encore entre la déclaration des droits & la conftitution.

Bons citoyens! vous le voyez ! la cour ne pouvant vous écrafer tout de fuite, commence par vous calomnier, afin de juftifier d'avance les atrocités qu'elle vous prépare, de concert avec tous vos ennemis. L'affemblée nationale même, trop de fois inconféquente, applaudit le foir à vos adreffes patriotiques, & le lendemain ho nore de fes regrets la perte des officiers qui vous trai tent de factieux. Il est évident qu'on eft convenu d'ap peler de ce nom tous ceux qui ont voulu la révolution, qui l'ont faite, & qui veulent la maintenir; mais,' en même-temps il eft clair auffi que ceux qui ont voulu & qui veulent toujours la révolution, forment la trèsgrande majorité de la nation :refte à favoir fi la coft avec fes prêtres, fes nobles, fes officiers & fa lifte & vile, viendra à bout de nous remettre fous fon ancien joug, après nous avoir fait paffer fous celui de toute l'atifocratie de l'Europe armée contre nous. Il eft certain que la guerre qu'on nous apporte dans toute fon horreur nous fera funefte, malgré notre majorité, parce que cette majorité, trop confiante, trop loyale, & pas affez unie, ne repouffera jamais l'ennemi d'un feul & même effort. On nous divife, on nous trompe, on nous joue; nous le favons, & nous le fouffrons! Bientôt, fans doute, on va nous réduire à n'avoir d'autre efpérance que dans notre défespoir.

Eh bien puiffe ce moment affreux arriver aujourd'hui même plutôt que demain. Oui, voilà notre vou; c'est le feul qu'il nous reste à vous faire, citoyens! après vous avoir avertis tant de fois; & puiffe ce vœu être rempli tout-à-l'heure! Oui! nous vous le diffimulerions en vain; il n'y a plus de falut pour la patrie que dans fon désespoir; lui feul peut nous unir & nous rendre invincibles contre toute la terre armée pour nous anéantir; lui feul peut diffiper en une journée toutes ces colonnes d'esclaves armés contre nous, & terminer enfin une révolution dont les lenteurs nous épuifolent. C'est le cri de la nature, c'eft la dernière arme de l'opprimé qui fe voit trahi. C'eft le défefpoir qui affranchit les mon

tagnes hélvétiques du joug de la maison d'Autriche, c'est lui, lui feul, qui affranchira tout à fait la France du joug de la dynaftie des Bourbons c'est le défelpoir qui conduifit les Suiffes droit à la liberté; c'eft lui, lui feul, qui nous reportera à la déclaration pure & fimple des droits de l'homme & du citoyen.

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Dans notre numéro dernier, nous avons cité des faits qui prouvent que les prêtres, propres à tout, font les agens les plus actifs de la contre-révolution fi ardem ment défirée elle fe feroit effectuée déjà depuis long temps par leur feul miniftère, fi le peuple d'aujourd'hui avoit en eux la même confiance que le peuple. d'autre fois. Ils commettent encore tous les jours de faintes horreurs dans les villes, & fur-tout dans les campagnes; mais la maffe de la nation n'étant plus fufceptible d'être fanatifée au degré qu'il leur faut, ils ne peuvent plus que retarder le moment d'une chute complète dont ils ne fe releveront jamais. Il est vrai quegla cour eft pour eux la planche du naufrage. Dans Paris, par-tont, (difent les adminiftrateurs de la police dans leur lettre au comité de furveillance) ce n'est que conciliabules ou af femblées fecrètes de prêtres réfractaires & d'autres ennemis de la conftitution. Ce font des prêtres qui foufflent dans le château des Tuileries & entretiennent cette rage fourde contre les patriotes, qui doit éclater bientôt; ce font des prêtres aumôniers de la cour & autres, qui appellent la guerre civile de tout côté, & qui cé lebreront, quand ils le pourront faire fans trop fe tifquer eux-mêmes, des condes vépres: ficiliennes (1) plus horribles que les premières. C'est un abbé Lenfant, jadis jéfuite, qui dirige la confcience de fa majefté très chrétienne, & qui y verfe tous les poifons; c'est de pontife actuel de Rome qui a fait le cadeau de cette

(1) Maffacre de tous les Français qui se trouvèrent en Sicile, en l'année 1282, & qui eut pour premier fignal le premier coup de cloches des vêpres de Pâques. C'est un prêtre, cordelier de fon métier, qui fut le principal agent de cette épouvantable boucherie d'hommes. I eut huit mille perfonnes massacrées en deux heures.

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