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L'assemblée ordonne la lecture des pièces; elles fort toutes importantes; mais les plus intéressantes font, 1°. un ordre signé des deux frères du roi, qui désignent M. le comte de Saillant pour leur chargé d'affaires dans le Vi

varais.

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2°. Un ordre dont voici l'extrait : « Les princes, frères du roi, n'ont jamais cessé d'être occupés de la confédération intéressante de Jalès; ils ont envoyé à M. le comte de Saillant l'ordre de fournir des armes aux confédérés & d'emprunter jusqu'à la concurrence de 300,000 liv. Les princes s'occupent auffi efficacement de secourir la ville d'Arles; ils feront partir aussi-tôt qu'il se pourra, pour l'Espagne, un prince du sang, qui reviendra ensuite commander dans le midi. Les princes feront valoir, auprès dn roi, les bons services des confédérés.

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3°. Une liste des confédérés qui se sont rassemblés en comité central à Jalès.

4°. Une lettre adressée à M. Saillant. En voici un extrait. « Les nouvelles du jour sont bonnes; l'opinion gagne à Paris; de tout côtés on offre des secours au roi. Le seul département de Somme a promis des bataillons ».

5°. Une lettre des frères du roi à M. Saillant. Ils lui ordonnent de contenir les confédérés, & de ne les laisser éclater qu'à la première nouvelle certaine du débarquement des troupes espagnoles. Ils lui commandent d'aller à Arles tempérer l'ardeur des contre-révolutionnaires, & leur promettre des secours.

L'audace & les efforts coupables des ministres du roi font encore un des anneaux de cette longue chaîne de contre-révolution qu'on forge depuis fi long-temps.... Dans huit jours, il n'y aura peut-être plus de ministres du roi. Louis XVI vient d'eslayer l'opinion publique à ce sujet; il a fait circuler dans Paris qu'il avoit replacé MM. Roland, Clavières & Servant; qu'il leur avoit donné trois autres Jacobins pour collègues; mais les braves fédérés n'ont pas donné dans ce leurre, & ils se sont écriés unanimement qu'ils n'étoient pas venus à Paris pour voir faire des mi niftres. Nous croyons même que MM. Servant, Roland & Clavières seroient trop sages pour accepter de nouveau ces places.

Ce qui a peut-être retardé le plus la marche de la révolution, c'est la trahison combinée de presque tous les chefs

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de notre armée, qui ont évidemment refusé de vaincre, qui ont infignement trahi les Brabançons, & qui dans des es carmouches stériles ont déjà fait périr plusieurs milliers de nos frères. Sans parler ni du camp de Rancennes, ni de la retraite de Bouvignes, ni du combat de Florennes, ni de la défaite de Maubeuge, ni de l'incendie de Courtray, ni de l'abandon de M. Dumourier, &c., nous dirons que le nouveau changement qui vient de s'opérer dans l'armée est un trait de lumière qui ne doit plus laisser de doute à perfonne. L'armée du Rhin n'est composée que de vingt-quatre à trente mille hommes; cette armée est en présence de cent cinquante mille ennemis. M. de Biron passe pour un excellent officier & jouit de la confiance publique, & c'est à M. de Biron qu'on donne le commandement de cette armée pour le perdre. L'état-major de l'armée du centre n'est composé que de vils intrigans, de coupe - jarrets, de satellites de Lafayette, & l'on y fait passer Luckner, homme foible, pour qu'il foit absolument à la difcrétion des ames-damnées de l'ennemi de toute espèce de liberté. De son côté, ce dernier passe à l'armée du Nord, pour deux raisons également importantes; la première, pour neutralifer le patriotisme de MM. Valence, Labourdonnaye, Chartres & Beauharnois, officiers-généraux eftimés; la seconde, pour être sûr que l'armée destinée à délivrer le Brabant ne fera pas son invasion; encore ce changement est-il accompagné d'une circonstance qui le rend bien plus évidemment coupable; c'est que contre toutes les loix militaires, Lafayette s'est fait donner, par fon valet Lajard, l'ordre, ou, si l'on veut, la permission de conserver ceux des corps de son armée qui lui feront le plus de plaisir; c'est-à-dire, ceux qui font entiérement dévoués à ses caprices & à sa vengeance.

Et l'insolence de ce d'Aftry, qui vient, comme Lafayette, menacer le corps législatif, & lui dire qu'il refuse d'obéir au décret qui éloigne de Paris toutes les compagnies de gardes suisses..... Cela nous prouve seulement que les cantons aristocratiques de la Suisse, dont le sieur d'Affry étoit l'interprète, ne veulent pas reconnoître la fouveraineté de la nation française, & qu'ils n'admettent de loi entre eux & la France que celle résultant des traités signés par les rois. Or, que signifie cette petite fanfaronade helvétique? Rien; nous n'avons jamais compté le canton de Berne parmi nos alliés depuis que nous sommes libres; nous dirons seulement que l'assemblée nationale auroit dû refuser d'entendre l'audacieux d'Affry, qui en même temps qu'il outrageoit la souveraineté française, calomnioit indignement la majorité du régiment des gardes suisses, puisqu'il supposoit que la totalité de ces braves helvétiens préféroit faire au château le service d'anti-chambre, à se battre en campagne contre la maison d'Autriche, l'ennemie toujours naturelle, toujours implacable de ceux qui font réstés fidèles à la mémoire de Guillaume Tell.

La cour avoit encore essayé de perdre Pétion, & de répandre le trouble dans Paris, par la manière dont elle a fait fortir les trois régimens qui y étoient en garnison. Ces trois corps avoient une grande quantité de postes qui leur étoient assignés, notamment celui des poudres, du port au bled, & de la prison de l'Abbaye. Eh bien! mardià 7 heures du soir tous ces postes furent désertés, sans que le ministre de la guerre, ou le commandant de la division de ligne en eût fait prévenir le maire; & ce n'est peut-être qu'à la furveillance exacte de la section des Quatre-Nations, même au hasard des rencontres, que Paris doit la tranquillité de cette nuit; car fans cette section rien n'empêchoit que les prisonniers sortissent, & que de concert avec d'autres brigands ils n'allassent eux-mêmes s'emparer des postes délaissés.

Quant aux intrigues & aux manœuvres que l'on emploie pour séduire ou perdre le général Luckner, il ne faut que se rappeler qu'il a dit lui-même, qu'il n'évoit venu à Paris que pour y rétablir l'ordre. Lui général d'une armée destinée à combattre une ennemi étranger, venir sans aucune réquisition pour rétablir l'ordre dans le centre de l'empire! S'il n'y a pas là de la séduction, il y a du délire; car nous ne faurions nous perfuader qu'il y eût un crime raisonné de sa part. Du reste, que le lecteur examine sa dernière lettre à l'assemblée nationale, & qu'après cela il donne un coup d'œil sur la confeffion que faifoit Luckner au comité des douze, dans l'instant même où le secrétaire donnoit lecture de sa lettre au corps législatif, & Luckner, & Lafayette, & tous les intrigans par lui mis en avant feront jugés.

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Paris, le 17 juillet 1792, l'an 4 de la liberte.

« Le compte que je dois, comme général d'armée françeise, ne rendre qu'au roi, son chef fuprême, & au ministre chargé de me transmettre légalement ses ordres, se trouve soit dans la cor, respondance du ministre avec moi, dont l'assemblée a demandé la communication, soit dans les registres de mon état-major, qui, en ce moment, ne font pas sous ma main. Tous ces objets purement militaires ont une grande connexité avec les opérations fubféquentes de la campagne, sur lesquelles la prudence & mon devoir me commandent le secret. C'est à l'assemblée nationale à examiner ce qui, dans la direction de la guerre, est absolument étranger à ses fonctions, & ce que la constitution lui permet de connoître par des interpellations faites au ministre de la guerre.

« Je répondrai à la demande qui m'est faite par le décret, que nous devous désirer une grande augmentation de force, une grande réunion de moyens, qu'elle semble nous être promise par les protestations du zèle civique & d'enthousiasme qui souvent retentissent dans le sein de l'assemblée, mais que jusqu'à présent ces brillantes efpérances se sont peu réalisées, & que l'armée est encore incomplète, peu nombreuse & nullement recrutée; que si l'assemblée perdoit un moment pour la renforcer par tous les décrets qui peuvent dépendre d'elle, & d'après les considérations que lui soumet l'expérience, nos forces seroient dans une immense disproportion avec celles de l'ennemi.

« Pour vérifier ces tristes vérités que je dois à l'assemblée nationale, & que la non-publicité m'a permis de développer au roi avec moins de réserve, je désirerois vivement que l'assemblée pût trouver un moyen constitutionnel pour s'en convaincre par elle-. même, & je laisse à sa sagesse le soin de choisir ce moyen. Je saisirai l'occasion que l'assemblée nationale m'a offerte de lui présenter l'hommage de mon respect pour les autorités constituées. Elle me trouvera toujours ce que j'ai toujours été: ennemi des factions, étranger aux intrigues, inviolablement attaché à la constitution & au roi que je défendrai de tous mes moyens, & profondément convaincu que l'union des bons citoyens, dont les généraux leur donnent & ne cesseront de leur donner l'exemple, peut seule fauver la France.

Je suis avec respect, &c. Signé, le maréchal de France, général d'armée, LUCKNER.

Or, voici mot à mot ce que disoit le général Luckner à la commiffion des douze.

Dans le moment même où on lisoit à l'assemblée la lettre alarmante de Luckner, il étoit lui-même à la commission, & y parloit fur un ton bien différent, bien plus confolant; il demandoit, il est vrai, comme dans sa lettre, une augmentation de troupes, mais il donnoit la plus haute idée de ses foldats, des gardes nationaux, des troupes de ligne; tout . ce qui est sous-officier ou soldat, disoit-il, est soumis à la plus exacte discipline, & plein d'ardeur. La plus grande punition qu'on puisse infliger est la menace de renvoyer dans leurs départemens ceux qui se conduisent mal.

Il annonce que tous les approvisionnemens sont dans le meilleur état et en abondance, malgré bien des pillages ressemblans à ceux de l'ancien régime, malgré les commiffaires des guerres, qu'il croit ne mériter aucune confiance. Il a tenu plusieurs propos qui marquent peu d'estime pour les talens militaires de Lafayette; il a dit, entre autres, que dans d'autres mains dix mille hommes suffiroient pour se maintenir parfaitement dans la position où il est, mais qu'il en faut quinze mille à Lafayette; enfin il témoigne à l'assemblée nationale la plus grande confiance. Ce général, qui se livre dans la conversation avec la franchise d'un brave militaire, ayant été requis d'expliquer la contradiction qui fe trouvoit entre sa conversation & fa correspondance, a répondu qu'il ne savoit pas faire les phrases, et que c'étoit Mathieu Montmorency qui avoit fait la lettre. Dans tout le cours de cette longue conversation, où se trouvoient MM. Gorguerau, Dumas, &c., M. Dumas a souvent cherché à interrompre le maréchal, & à l'empêcher de se livrer à une franchise qui démasquoit trop ouvertement Pintrigue.

On voit que Luckner n'est pas un traître, & qu'auffi-tôt que les grands changemens qui vont arriver dans l'admimistration du pouvoir exécutif & dans l'état-major de l'armée seront effectués, il sera possible de tirer bon parti de cet homme qui se battra bien, & qui ne trahira plus dès qu'il ne sera plus entouré que de véritables patriotes. Nous avons donc raison de dire que par-tout le remède étoit à côté du mal; notre position est telle, qu'elle n'a plus rien d'effrayant: la France fera libre, mais elle ne peut le devenir par des moyens ordinaires; cependant elle le le deviendra. Comment le deviendra-t-elle? Par Pinsurrection.

Le

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