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Une chaife à porteur fut apperçue dans le cortége, & tout, de fuite des cris de vive Manuel, vive Pétion; à Orléans Lafayette & le département ! Mais ce n'étoit pas le procureur.de la commune; il ne pouvoit le trouver au champ de la fédération, avant d'avoir fait entendre à la barre de l'affemblée nationale le courageux difcours qu'il y prononça quelques jours après le 14 juillet. C'étoit M. Couthon, l'un de nos plus eftimables repréfentans, & qui n'a point le cœur & le cerveau paralyfés comme les jambes. A ce nom le public s'écria Eh bien! vive Couthon! vivent nos bons députés !

Ainfi fe paffa le troifième anniverfaire du 14 juillet. Vu les circonftances, la furveille du jour où la patrie, fut déclarée être en danger, & en la présence des principaux auteurs de ce danger, dans un concours de monde auffi prodigieux, & qui, ce femble, devroit être fufceptible d'enthoufiafme, nous avouerons n'avoir pas trouvé ce degré d'énergie que nous aurions défiré rencontrer chez une nation qui fe propofe de faire les destinées de l'Europe. Nous attendions davantage de la journée du 14 juillet 1792; nous y avons vu une fête belle, paisible fraternelle, mais qui ne fut caractérisée par aucun grand trait capable d'en impofer aux ennemis nombreux de notre liberté.

Suite des obfervations fur le danger de la patrie.

Quelque grands que foient les dangers de la. patrie, quelque nombreuse que foit la coalition des en- i nemis de la liberté, ce péril n'eft rien en comparaison des immenfes reffources que la nation trouvera toujours dans fa population, fes lumières & fon énergie. La queftion à trairer dans cet inftant n'eft pas celle de favoir fi la France peut être libre; mais fi elle veut l'être, fi elle le deviendra, & comment? Oui, la France veut être, libre; oui, elle deviendra libre, & elle le deviendra par fa propre force & fa propre volonté.

La France veut-elle être libre? Cette première question eft fi facile à réfoudre, elle eft fi fimple, elle fe réduit à des données fi évidentes, que, pour l'élever, il a fallu toute la mauvaise foi des écrivains de la contre-révolu- ., tion la Gazette univerfelle & fes dignes accolytes le Mercure de France & la Gazette de Paris, prétendent

que le vœu national eft pour le vero abfolu, la lifte civile, les deux chambres, la monarchie tempérée, c'est-' à-dire, l'ariftocratie des nobles & le defpotifme d'un feul. Ces vils & coupables écrivains foutiennent que ce vœu eft fortement émis par des adreffes à l'affemblée hationale & au roi, telles que celles de Lafayete, du département de la Somme, de celui de l'Aifne, de la Mofelle, du canton d'Abbeville, des citoyens de Strafbourg, des gardes nationaux de Varennes, &c. Ils font dans leurs feuilles empoifonnées le recueil, l'énumération, le rapprochement & l'amplification de toutes ces pièces mendiées, extorquées, chèrement payées; on les publie enfuite dans des libelles ad hoc que l'on diftribue gratis dans toutes les rues; & l'on en conclut que les jacobins, les fédérés, tous les amis de la liberté font des factieux, des agitateurs qui dépravent l'opinion publique, & qui ne font nullement les organes de la volonté du peuple..

Il n'est que trop vrai que les déclamations des journaux de la cour avoient fait une certaine impreffion fur Pefprit de beaucoup de gens: nous voudrions bien, difoient-ils, que le peuple de Paris fût vengé des calomnies que renferme la dernière proclamation du roi; nous voudrions bien que ce roi, qui nous fait tant de mal, fût enfin mis à la raifon; nous voudrions que la nation ceffât une bonne fois d'être le jouet des intrigans & de Louis XVI lui-même; mais fi la nation ne le veut pas, fi elle fe diffimule tous ces outrages, fi l'opinion publique n'est pas prononcée, fi plus de la moitié des départemens, des districts, des cantons, des gardes nationales font pour le roi; que voulez vous faire? La volonté de la majorité ne fait-elle pas la loi? & pouvonsnous vouloir la liberté, alors que le peuple ne la veut. pas? Oui, nous avons entendu répéter ce difcours jufqu'à fatiété, nous en avons gémi; mais ne pouvant nous réfoudre à croire que le peuple français fût defcendu tout-à-coup à ce degré d'abaissement, nous avons eu le courage de lire en entier ce prétendu expofé du vœu national fur les événemens du 20 juin ; & dans 83 départemens, dans 4 à. 5 cents diftricts, dans 44 mille municipalités, parmi 25 millions de Français, nous avons compté 28 adreffes & 300 fignatures. Voilà la base fur laquelle des écrivains fans pudeur établiffent leur monf

trueux fyftême de fervitude & de diffamation : voilà le, témoignage qu'ils oppofent à la voix de plus de deux millions de patriotes qui ont écrit, affiché, publié de toutes les manières, le cri de leur indignation contre les attentats fans nombre de la cour, du roi & des géné raux, fes complices.

Le defpotifme trouve-t-il plus de défenfeurs dans la capitale, Non. Le directoire du département, quelques brigands falariés par la cour, & ayant à leur tête un fieur Guillaume, député à l'assemblée conftituante; voilà les partfans du roi dans Paris.

L'arniés, tant calomniée par Lafayette, n'offre rien de plus effrayant. Une foule de lettres particulières appren nent comment ce Lafayette a outragé les braves fol-, dats de la liberté, comment il les a, trompés, comment il leur a furpris des fignatures, comment l'envoi, de toutes les lettres écrites de fon camp à Paris, & ré-, ciproquement de Paris à l'armée, a été fufpendu pendant 17 jours,

Nous n'en rapporterons qu'une qui, en même temps. qu'elle donne la meture du patriotifme & du difcernement des troupes, prouve le peu d'afcendant de Lafayette fur ce, qu'il appelle fon arinée, & les mauyais traitemens qu'il· fait efluyer à deflein à cette même armée.

Du camp de Charleville, le 13 juillet 1792. Monfieur, nous fommes partis depuis huit jours de Maubeuge ; nous fommes fur la route de Sedan, & ne favons pas où nous allons. Notre bataillon a beaucoup fouffert, ainsi que d'autres régimens, de la fatigue que nous avons eue: ces jours paffés d'abord on a très-foin de nous charger de deux pains de trois livres à chaque veille de partir, avec une poche ou marmite ou hache, &c., le fac, le fufil, la giberne, le fabre; ce qui fait en totalité aut moins 30 livres pelant que l'on a fur le dos: Ce qu'il y a de pire, c'eft que le pain que l'on nous donne eft fi moifi qu'il eft impoffible de le manger. Nous nous fommes plaints plufieurs fois, mais nos plaintes font inntiles en un mot, nous avons beaucoup de peine, & je crois qu'en pareille cccafion on peut accufer les généraux d'infouciance ou de régligence. Dans la journée du 11 de ce mois, il eft mort deux foldats par la fatigue, & plufieurs volontaires qui font malades; pour

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moi, fi je n'avois pas eu l'adreffe de mettre mon fac sur les voitures il n'eût pas été en mon pouvoir de faire cinq lieues par la chaleur qu'il faifoit; & fi l'on nous faifoit mettre en marche à deux heures du matin, au lieu de fix, la fatigue feroit beaucoup moins grande;. mais c'eft de quoi ceux qui commandent ne s'embarrassent guère, je peux vous affurer aufli que les foldats murmurent beaucoup, & aimeroient mieux fe trouver dix fois exposés au combat par jour que d'éprouver pareille fatigue. Rien d'intéreffant à vous marquer pour le préfent, & vous prie de me croire votre très-fincère camarade, C.......

Enfin , pour bien connoître & l'efprit de l'armée & la trahifon de la plupart de fes chefs, & l'infamie de tous ceux qui fe déclarent les amis, les protecteurs du roi il faut lire la dernière lettre de M. Dumourier à l'affemblée nationale, & l'on y verra clairement que l'intention de la cour & de fes agens n'a jamais été, n'est encore que de facrifier nos braves foldats, de dégarnir nos frontières, & au lieu de faire une invafion dans le pays ennemi, de faire en forte que la France elle-même foit envahie par les Autrichiens.

Au camp de Moulde le 15 juillet 1792, Pan 4 de la liberté.

« Monfieur le préfident, comme j'ignore s'il existe un ministre de la guerre, comme de deux généraux d'armée, l'un eft en route pour la Mofelle, ou à Paris, l'autre eft prefque fur la même route. Comme me trouvant commandant par interim, je crois devoir vous rendre compte, ainsi qu'au pouvoir exécutif, des faits qu'on peut ou groflir ou diminuer; comme enfin on a l'air de regarder les frontières des Pays-Bas comme indiaérentes, parce que du fyftéme offensif on eft tombé dans un système défensif absolu, fous le prétexte que toutes les forces de nos ennemis font paflées fur les bords du Rhin, de la Meufe & de la Mofelle; comme enfin il fe trouve qu'avec deux armeés redoutables & fe croifant à une vingtaine de lieues d'ici, il ne fe trouve pas même fur la frontière de quoi exercer une défenfive honorable, je crois devoir rendre à l'affemblée nationale le même compte que j'envoie à M. Lafayette, qu'on m'a annoncé comme général en chef depuis la mer jufqu'à La Meuse.

Le 12, M. le maréchal Luckner m'a laiffé commandant une divifion de fon armée, composée de fix bataillons de gardes natio nales, de deux efcadrons de cavalerie, & d'un régiment de chaffeurs à cheval, avec laquelle je dois partit le 20 pourme redre à Metz. Il m'a laillé en même-temps le commandement de toutes les troupes de l'armée du Nord jufqu'à l'armée de M.-Artur Dillon, lieutenantgénéral, qui doit commander l'armée du Nord, fous les ordres de M. Lafayette. Sous ce double rapport, je me trouve dans deux

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poftións très-différentes. Comme lieutenant-général de l'armée du maréchal Luckner, je ne dois m'occuper que de mes fix bataillons & de mon prochain départ; comme commandant de l'armée du Nord, quoique pour un enterim très-court, je dois veiller fur la tranquillité du pays.

A mon arivée dans cette armée, M. le maréchal de Luckner m'a donné le commandement de fon aile gauche, & par conféquent du camp de Maulde & de tous es poftes intermédiaites entre Lille & le camp de Famars. J'ai reprefenté plufieurs fois, & dernièrement aux deux généraux réunis, que cette gauche étoit trop foible, que le pofte d'Orchies ne pouvoit pas tenir contre un coup de pain, que Saint-Amant étoit dans le même cas, que le camp de Maukie Croit très-bien choifi pour un corps de fept ou huit, mille hommes, mais qu'il étoit très imprudent de l'occuper avec deux ou trois mille; cela pouvoit être fupportable tant qu'on occupoit le camp de Famars avec quinze mille hommes, mais on devoit s'attendre que dès que ce camp feroit levé, réduit à trois mille bommes infufifans pour foutenir même cette pofition éloignée de quatre lieues du camp de Maulde, l'un de ces camps, peut-être tous les deux feroient attaqués & repliés, de même que les foibles poftes d'Orchies & de Saint-Amant; ce que j'avois prévu & prér mécité eft arrivé. Le maréchal Luckner étoit parti le 12. Le, 14, jour de la fédération, les Autrichiens ont fait une petite infulte evant du camp de Famars, pour attirer mon attention fur ce foible camp; mais en même-temps ils ont porté leurs principales forces fur Orchies. J'avois vifité cette petite ville trois jours avant d'être appelé a Valenciennes; j'y avois mené un ingénieur, & j'avois donné des ordres pour la mettre à l'abri de l'infulte. Sa garnifon étoit compofée d'un détachement de foixante hommes du régiment ci-devant Beaujolois, commandé par M. Defmarets; un bataillon de la Somme, de 500 hommes, de 30 dragons & de deux pièces de canon: cette ville eft affez grande; elle à des murs cré velés; un double foflé & de longs faubourgs. Comme on n'avoit pas eu le talent de la mettre en état de défenfe, les Autrichiens, au nombre de plus de 6000, avec plufieurs pièces de canon & des obutz, fe font avancés à la faveur des bleds, & l'ont attaquée brufquement à deux heures du matin : nos braves foldats ont fou tenu une attaque de cinq heures à trois poftes différens avec un courage & un fang-froid admirables; ils fe font battus de rues en rues, & ont fait une retraite très-honorable fur Saint-Amant, n'ayant perdu que huit hommes, dont quatre volontaires de la Somme, & quatre citoyens mailacrés dans leurs maifons: ils ont été forcés d'abandonner une pièce de canon; les Autrichiens ont laiffé vingt-un morts, & ont emmené onze chariots de bleffés.

A fent heures du matin, les ennemis ont évacué Orchies que le général Menaffé, commandant à Douay a fait occuper par 400 kommes de fa garnifon. Ce matin à neuf heures j'en ai eu l'avis a Valenciennes j'ai regardé ce fuccès comme l'avant - courreur G'une attaque du camp de Maulde. Il s'agilloit de rétablir la communication de Lille & de Douay avec Valenciennes, de reprendre Orchies, de foutenir Saint-Amant & Marchiennes, & fur-tout d'empêcher l'enlèvement du camp de Maulde, que j'apprenois par des avis que je garde, devoir être attaqué par la gauche, & en même temps coupé par fes derrières.

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