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premier ministre des finances, et dont nous avons rendu compte (1).

Le comité prouva fort bien, qu'au lieu de 294 million de secours que demandoit M. NecKer, il ne falloit chercher que 132 millions, montant des besoins réels, déduction faite des ressources certaines. Il n'y avoit donc pas une contradiction entre ces deux affirmations; mais, partaat de la supposition gratuite que le comité avoit voulu le calomier, le ministre a publié ses observations, où j'ai puisé la tirade rapportée plus haut.

« Si l'on adopte, dit-il, l'opinion du comité, on regrettera trop tard de n'avoir voulu donner aucun secours à l'administation ». Qu'est-ce donc que les emprunts de 30 et de 80 millions? Qu'est-ce donc que la contrbation patriotique ? Qu'est-ce donc que l'assignat donné à la caisse d'escompte, pour faciliter la circulation de ses billets, et la mettre en état de payer à bureau ouvert au premier juilLet; ce qu'elle ne fera pas, ce que l'assembiet nationale n'eût point regardé comme possible, si elle n'eût été entraînée par le prodigieux ascendant du ministre adoré ? Qu'est-ce donc, enfin que le remplacement de la gabelle, et les moyens pris pour assurer le plus prompt versement de la Contribution dans la caise publique? Refus də secours première calomnie.

« On regrettera trop tard d'avoir craint d'en partager les périls ». Il y a deux sortes de périls: ceux qui dépendent des malheurs, des circonstances, tels que la non-perception des impôts, les pertes sur les taxes; mais ces périls, non-seulement l'assemblée nationale les partage, mais aussi chaque Français, tout aussi bien que le premier ministre. L'autre espèce de périls dépend de la

auvaise gestion, d'un emploi des fonds contre leur destination, d'un accaparement d'argent pour

(1) N°. 35, age 11.

des projets non connus de la nation; et ceux-là, l'assemblée ne pourroit ler partag essans se rendre coupable, sans s'avilir. Supposition d'un relus de partager les vrais périls des finances: seconde calomnie.

«On regrettera trop tard de l'avoir affoiblie continuellement, en la laissant combattre seule contre les obstacles ». De l'avoir affoiblie! Eh! comment? En lui prodiguant de confiance tout ce qu'elle a demandé, emprunts, anticipations, assignats. En la laissant combattre seule! Eh! pourquoi donc ce comité des finances est-il institué? Pourquoi, dans ce comité, en a t-on formé un particulier de douze membres? Pour conférer avec le ministre ; et si ce ministre n'a fait que per d'usage de ce comité, n'est-il pas évident que ce reproche n'a d'autre objet que de présenter l'as semblée nationale sous l'aspect ridicule d'une bande de matelots qui dirigent les voiles sans consulter le pilote? Supposition d'une conduite sans principes troisième calomnie.

Pilote adoré! Où vouliez-vous conduire l'assemblée nationale, en vous associant, de son gré, quelques uns de ses membres que vous auriez choisis, dans la manutention du trésor public? Si elle revenoit sur son décret, eile s'exposoit au mépris, aux sai ca mes, aux calon.nies; et sa dissolution étoit facile. Si elle y persistoit, vous vous ménagiez un moyen de la hurter de tout le poids de votre réputation, et de lui imputer des malheurs de finances qui n'auroient été préparés que contre elle.

Dans le projet communiqué à l'assemblée nationale par M. Bailly, il est question de ne retirer que 150 millions des billets de la caisse, et de la laisser subsister pour 10 millions de surplus, quoiqu'il fûæ possible aurément, avec 100 millions d'assignats, de cautériser parfaitemei.t cette plale: ce projet vous a été communiqué, ou vous le connoissez. Pourquoi donc ne vous élevez-vous pas conte

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cette double émission de deux différens papiermonnoies, dont l'un ne peut que nuire à l'autre, et dont le moins sûr des deux, les effets de caisse dont l'émission n'est pas limitée, a déjà accablé l'état ? Pourquoi donc, tout en vous, jusques à votre silence, protége-t-il la caisse d'escompte, lorsque vous ne pouvez plus lui donner d'extension par

vos mémoires?

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Pourquoi tenir en arrière, dans vos derniers calculs 400 mille livres sur la fabrication des monnoies? Pourquoi donc ne compter pour rien ce qui reste à remplir de l'emprunt de 80 millions, et en proposer un autre dans le cours de l'année? Pourquoi donc proposer de retarder le payement des rentes? Pourquoi spéculer sur la détresse des rentiers, en leur proposant un payement avec un beu d'argent, des effets placés dans l'emprunt de 80 millions, lesquels devoient être brûlés pour éteindre d'autant la dette nationale? Est-ce que la détresse des fugitifs vous toucheroit assez pour leur faire un trésor à part, en argent ou en ressources? Est-ce qu'il y a des dépenses faites ou à faire que vous n'osez avouer?

Ministre adoré, il faut que ce compte de 1781, à la véracité duquel vous avez hypothéqué si solemnellement votre honneur, que ce déficit que vous avez garanti par votre signature, que cet état de situation du trésor royal, que vous avez annoncé comme exigeant de grands secours, soient exposés au grand jour de la vérité. Ah! c'est alors que vous pourrez vous jouer des critiques des journalistes, dont vous parlez avec tant de despection!

Sachez pourtant, ô ministre adoré ! qu'il y a tel journaliste, dont les jeunes ans, l'éducation et les principes peuvent valoir ceux d'un commis banquier, et qui, au prix de votre fortune et de vos talens, ne voudroit ni de votre gloire ni de votre conscience.

PAPIERS

PAPIERS DE LA BASTILLE.

Je soussigné, certifie avoir remis moi-même à M. Prudhomme les pièces originales de la conspiration et de ma captivité développées dans mon mémoire, étant libre depuis quatre mois par les bontés de M. le comte de Saint-Friest, et que foi doit être ajoutée à celles-là seu

ment.

LE PRÉVOT DE BEAUMONT.

A Paris, ce 21 février 1790.

Suite de l'horrible conspiration découverte en juil let 1768 par le Prévót de Beaumont, prisonnier pendant 22 ans.

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Le prétendu officier du baron de Breteuil, homme de cinq pieds, âgé de trente à trente-trois ans, téte ronde, visage court et plat, le teint pâle, lit l'inscription de mon paquet, et dit qu'il faut y mettre un ca→ chet. Je n'ai ni feu, ni cire, ni cachet, et il m'a fallu le fermer avec de la colle; mais on ne peut l'ou vrir sans déchirer l'enveloppe, par les mesures que j'ai prises, et on ne peut le refuser en l'état qu'il est. bien! dit-il, je vais brûler de la cire: voilà le cachet du ministre; apposez-le sur votre paquet, à l'ouverture du guichet. Vous êtes donc premier commis du ministre ? Cela vous prouve, monsieur, que je suis en place, et que je suis envoyé. Connoissez-vous le blazon?

Eh

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- Non. Mais ce cachet, n'étant pas nécessaire, me donnoit trop de défiance pour me laisser surprendre. Et en effet; if avoit apparemment dit tout bas à son gros estaffier de s'approcher du guichet, et de tâcher de mesaisir le poignet pendant que je poserois le cachet. L'estaffier manque son coup; je jette le paquet cacheté à l'officier en lui reprochant d'avoir le dessein de m'enSur cela, ouvrons la porte, lever de force et de nuit. dit-il; exécutons nos ordres. (Ces ordres, suivant ce qu'on m'a rapporté, étoient de me conduire au MontSaint-Michel, ou à Pierre-en-Cise, dans sa chaise de poste; et une grande récompense étoit promise à SurN 38.

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bois par Sartine, Vergennes et le baron de Breteuil ) -Oui-dà, lui répondis-je, il vous es coûtera gros, si vous ouvrez ou approchez contre ma défense; tout est préparé pour vous recevoir : je suis chez le roi, prisonnier d'état, conséquemment sous sa protection; vous venez de nuit troubler mon repos et ma tranquillité; je n'aurai pas à répondre de ce qui vous arrivera: mes confrères sont avertis de veiller et de se tenir sur leurs gardes : ils entendront Je bruit, et vous ne pourrez excuser vos attentats. —La porte s'ouvre; mon porte-clefs se tient derrière, et tous les assaillans se cachent dans le fond de la salle. Je suis bien armé leurs flambeaux m'éclairent ; et n'ayant pas de lumière chez moi, personne ne peut m'approcher que je ne le salue de près. On garde leng-temps le silence, et l'on examine."

Pour entrer chez moi il falloit descendre entre mes deux portes un degré, ensuite en monter deux autres, et franchir mon lit de quatre pieds de hauteur au-dessus du second degré qui fermoir l'ouverture de ma porte dans toute sa largeur, outre que deux chaises, couvertes de carreaux de briques, défendoient encore l'enrée à droite et à gauche. Le fier-à-bras qui avoit tenté de me saisir le poignet, s'avançant jusqu'à la seconde porte, reçoit auussi-tôt une brique sur l'estomac, et n'en attend pas une autre pour se retirer. L'officier ordonne qu'on ferme ma porte, pour consulter et prendre d'autres mesures avec mes geoliers et les soldats. Alors on délibère de faire assaut par la porte et par la fenêtre de ma chambre et en même temps; mais l'inspecteur n'osant se montrer, les soldats refusent la plupart de s'exposer et de se faire blesser inutilement; ils ne se chargent que de tapager à ma porte et à ma fenêtre, croyant m'étourdir. A leur défaut, les valets de geole s'offrent de prêter main-forte pour avoir récompense. La porte s'ouvre par ordre de l'officier: quatre se présentent à la fois; mais deux se retirent blessés, et les deux autres déguerpissent. L'officier fait refermer la porte à demi et demande un fusil qu'on lui met en main, croyant me faire peur : il le présente, porte baillante, menaçant de faire feu, quoiqu'il ne parût pas chargé. Je saisis le bout du canon pour l'arracher; il est faussé par les efforts et la fermeture de la porte. L'officier le retire, et va consulter une troisième fois, pour livrer, à minuit, un troisième assaut. Viennent cette fois treis hommes

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