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la cabale et l'intrigue menoient à tout, et le vrai courage à rien.

Mes services; les services du maréchal de Ségur! Encore pourroit-on avoir été un guerrier très-utile dans une époque, et un ministre prévaricateur dans une autre les services ne prouvent donc rien.

Mes blessures; il faut s'entendre. Le sicur de Ségur a perdu un bras à l'armée; mais il y a cent invalides à l'hôtel royal qui ont aussi peidu un bras, et cela par un effet du hasard : là tactique actuelle laisse peu de placé au courage personnel. Une blessure ne prouve donc autre chose, sinon que celui qui l'a reçue étoit à son poste. Or, quand je vois que cent invalides, qui étoient à leur poste, comme le sieur de Ségur, n'ont obtenu de l'état que le simple nécessaire, et qu'il avoit 98,000 livres de traitement, je ne conçois pas comment on ose se faire un titre de ses blessures, pour se prétendre à l'abri d'une inculpation méritée(1).

Et l'estime de l'armée; le sieur de Ségur passe condamnation sur celle de ses concitoyens, sur celle du corps de la nation; cependant il ne peut invoquer celle de l'armée que comme militaire: c'est celle de la nation dont il auroit besoin, comme ministre; il ne l'a pas aussi ne s'en prévaut-il point. Il est de bonne foi.

« Mais je vois dans les journaux un ouvrage intitulé lé livre rouge, et signé, à mon grand étonnement, par les membres du comité des pensions, quoique le roi ni l'assemblée nationale n'en ayent ni ordonné ni permis l'impression ».

Style ministériel, style de visir ! Et falloit-il,

(1) Un plaisant a dit « que ce bras emporté prouvoit au plus que le maréchal de Ségur n'avoit pas pris è deux mains dans le trésor-royal. Sans adopter le ton de cette mauvaise plaisanterie, je ne puis m'empêcher de convenir qu'elle renferme une excellente raison.

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pour imprimer ce livre, d'autre titre que de l'avoir
entre ses mains? Non-seulement le comité des
pensions, mais tout particulier, à qui ce livre
seroit parvenu par une voie quelconque, devoit
le faire imprimer. Le céler, c'étoit trahir la cause
publique. Il n'appartient ni à l'assemblée natio-
nale ni au roi; il appartient à la nation; et de
quelque manière qu'on lui ait fait parvenir, on a
fait une belle action.

<< N'étant point compris dans les dépenses de co livre, ni pour moi, ni pour les miens, je ne devois point m'attendre à y être injurieusement cité par des hommes qui devroient me respecter ».

Aussi n'avez-vous pas été cité, mais désigné par des faits auxquels vous n'eussiez pu vous reconnoître, s'ils n'eussent formé un tableau frappant. Des hommes qui devroient me respecter; il n'y a que l'extravagance de cette phrase qui puisse l'excuser. Un ministre, c'est-à-dire, un commis du pouvoir exécutif; et quel commis? Un homme qui, sans pudeur comme sans conscience, osoit prendre dans le trésor public! Il veut être respecté par une section de l'assemblée nationale, par des représentans de la nation françoise!

«Ma vie entière répondra seule à ces indécentes imputations ». C'est une bien foible ré ponse; celle du comité vaut un peu mieux, comme on va le voir.

« Les parens qu'on m'accuse d'avoir enrichis sont dix pauvres gentilshomines servant le roi, et la plupart privés du nécessaire. Tout autre ministre auroit trouvé juste de venir à leur secours. Ces officiers ont partagé entr'eux 6000 liv. de pension; le public jugera si cette grace est

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excessive ».

Pour toute réponse, le comité a imprimé les pièces justificatives de son assertion. Or, on voit d'abord, au nombre de ces officiers militaires au service du roi, quatre DEMOISELLES de Ségur

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Montazeau, ayant chacune 500 livres de pension. Quels officiers!

« Quant au reproche d'avoir, de mon autorité, donné à un onzième parent une pension, c'est une calomnie ».

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Réponse du comité. « Du 23 avril 1785, M. de Ségur Montazeau, père, demande, en faveur de Jean de Ségur, son quatrième fils, sous-lieutenant au régiment de Brie, depuis le 10 mars 1783, una pension de 500 liv., semblable à celle que ses frères ont obtenue sur le trésor royal, le 17 mars 1785.

BON POUR 500 LIV. DE PENSION, écrit de la main. du marechal DE SEGUR.

Pour ampliation, signé MELIN. Ce n'est pas tout. Le comité n'avoit pas fait mention de deux autres articles. Ce sont deux pensions de quatre mille livres, accordées par le maréchal de Ségur à MM. ses fils, sans le bon du roi, le 23 octobre 1785, sur la pension dont jouissoit la comtesse de Ségur, leur aïeule ; et M. le duc héréditaire ose dire, dans sa lettre, qu'il n'a que 2800 livres. de pension! Il est vrai qu'il nientionne celle-ci comme reçue du roi; il ne tient l'autre que de son père.

Or, ces mots, écrits de la main du maréchal de Ségur, étant de fa't de sa main, et non de celle du roi, il suit que c'est avec vérité que le comité a dit que le sieur de Ségur avoit accordé, de son autorité, une pension à un onzième parent.

Les sieurs ci devant comte et vicomte de Ségur se sont permis d'adresser une lettre peu ménagée au comité des pensions, qui a assez méprisé cette lettre, et ceux qui l'avoient écrite, pour la faire imprimer.

dans

On y voit le même esprit d'aristocratie que la lettre du père. Ses enfans le représentent comme un vieux maréchal, ce qu'on leur accorde, et comme un ministre intègre, ce qu'on ne peut leur accorder, d'après les pièces publiées par le comité. C'est, selon les sieurs de Ségur fils, « un acte de mal

veillance qué d'avoir instruit le public de la demande d'un duché héréditaire; rien n'est plus inutile au bien public que la connoissance d'une telle demande; rien n'est plus absurde que de citer à la tête d'un registre de dépense une grace qui n'auroit rien coûté à l'état ».

On voit bien à ce ton d'amertume, qu'ils sont honteux de voir le public instruit qu'ils ont échoué dans cette demande. On ne sauroit nier qu'il ne soit très-utile au bien public de savoir que rien ne suffisoit aux louveteaux ministériels, et qu'il ne soit très-vrai que cette demande auroit entraîné une dépense; un duc héréditaire, de fraîche création, qui n'héritoit que d'un patrimoine médiocre, auroit bientôt sollicité et obtenu des pensions pour se soutenir convenablement à son rang. Ce prétexte est employé dans un nombre prodigieux de brevets de pension.

Le sieur de Ségur, aîné, apprend ensuite au comité qu'il a été ministre du roi en Russie; que le hasard a couronné ses travaux ; qu'il a conclu un traité de commerce qu'on cherchoit vainement à faire depuis quarante ans; qu'à son retour en France on a diminué son traitement de 20,000 livres ; qu'l n'a eu pour ses services, comme colonel, en Amérique, que 2800 livres de pension. Il en conclut qu'il n'est point à charge au trésor public, et que le comité a eu tort de prétendre que le maréchal de Ségur a enrichi sa famille.

Le comité a dit et a prouvé que le maréchal avoit pensionné onze de ses parens ou parentes; qu'il avoit, lui, 98,000 livres de pension; qu'en même temps il demandoit un duché héréditaire; plus, un traitement égal à celui de M. de Sartine, c'està-dire, 200,000 livres pour arranger ses affaires ; plus, une pension de 60,000 livres; plus, une reversibilité de 15,000 livres pour M. le futur duc héréditaire, et pour son frère. Or, les faits sont prouvés jusqu'à l'évidence, et par la lettre des sieurs de Ségur fils, et par un écrit intitulé: Note pour

le roi, sur laquelle il fut accordé seulement pour lors 30,000 livres de pension; mais le comité a dû découvrir qu'il y eut une somme de 100,000 livres et une gratification de 30,000 livres, qui furent aussi données au sieur de Ségur; il reste donc que foi entière est due à l'avertissement qui précède le livre rouge, et que les lettres des Ségur ne sont que l'effet d'un délire aristocratique.

Des patriotes auroient désiré que l'assemblée nationale eût châtié les Ségur, pour les injures et l'irrévérence dont ils sont coupables envers le comité des pensions; mais ce comité a déclaré que sa seule réponse seroit toujours l'impression des pièces sur lesquelles il auroit avancé un fait. C'est assurément le parti qui convient à la dignité des représentans de la nation; mais les amis de la liberté ne doivent point laisser les Ségur jouir d'une entière impunité; ils doivent, s'il est possible, faire accroître le mépris de la nation pour des gens de cette sorte; je dis le faire accroître, car je ne présume point assez mal de la nation, pour croire qu'elle ne méprise pas depuis long-temps les créatures d'un Bezenval (1).

Discours de M. Burke.

Les aristocrates font grand étalage d'un discours prononcé par M. Burke, le 9 février, dans la chainbre des communes de Londres. Ils l'ont fait traduire et imprimer; ils y ont mis un titre et une introduction à leur façon, et ils le montrent avec une joie scélérate aux patriotes qu'ils veulent cor

(1) C'est le baron de Bezenval qui a fait le sieur de Ségur ministre et maréchal, et qui est l'auteur de la grandeur si peu concevable de cette famille. Or, il semble que quand on est parvenu, par la protection d'un Bezenval, on ne devroit, chercher qu'à se faire oublier.

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