le châtelet des décrets de prise de corps contre les membres les plus distingués du bon parti, afin de les présenter au peuple sous le jour le plus odieux, et de jeter, par leur mort, la terreur chez tous les patriotes. L'exécution de ce plan se suivoit par-tout avec une ardeur, un secret, une tenue capables de leur en faire espérer la réussite. A Lille, quatre régimens formant la garnison, avoient été mis en guerre ouverte entr'eux, par les soins des sieurs de Livarot et Noyelles. On apprit ici, avec autant de douleur que d'alarme, que les régimens de la Couronne et de Royal-des-Vaisseaux, provoqués par les chasseurs de Normandie et de Colonel-Général, avoient fait feu les uns sur les autres, par pelotons, dans tous les quartiers de Lille, pendant la journée du 8 avril; qu'ils s'étoient rangés en bataille vers le soir, sur deux places différentes, s'attendant réciproquement, pour engager une action générale; que les chasseurs de Normandie et Colonel-Général s'étoient réfugiés dans la citadelle avec de Livarot, qui avoit sur le champ expédié l'ordre aux deux autres régimens de sortir de la ville ; enfin, que la garde nationale s'étoit emparée des portes, afin de conserver deux régimens dont le patriotisme n'étoit pas douteux. Cet événement, qu'il étoit possible de prévoir et de prévenir, d'après la dénonciation que nous avions faite ci-devant des manoeuvres employées pour jeter le désordre dans la garnison de Lille (1), fit briller de joie les visages des aristocrates, et réchauffa leur audace. Dès que cette nouvelle est suffisamment répandue, M. Necker écrit à l'assemblée nationale, pour lui demander d'être autorisé de faire un emprunt. de 40 millions à la caisse d'escompte, pour sub (1) Vide n°. 36, page 20. venir au service d'avril et de mai. le ministre adoré vouloit un refus sec, qui lui donnât un prétexte pour interrompre le cours du payement de l'armée, et pour suspendre, tout d'un coup, le jeu de la machine politique. En même temps les aristocrates jetoient sur le pavé tous les domestiques dont ils pouvoient absolument se passer, et même ceux qui leur étoient nécessaires; ils refusoient de payer leurs dettes les plus légitimes, en se jouant, par une fausse commiseration, des ouvriers ou des fournisseurs, leurs créanciers. D'exécrables libelles étoient de nouveau, ou mis au jour, ou réimprimés et distribués publiquement à un peuple avide de tout savoir, et que l'on croit facile à égarer. Enfin, et pour mettre en jeu le quatrième ressort, le châtelet procédoit à une information sur l'affaire, depuis silong temps négligés, du 6 octobre; et ce qui surprendra, sans doute, c'étoit Mirabeau le vicomte et ses adhérens, dont on recevoit les dépositions. Tel étoit l'état des choses, lorsqu'un député, aussi indiscret que bien-intentionné, proposa, pour arrêter les lâches calomnies dont on noircissoit l'assemblée nationale, au sujet de la religion, de décréter que le culte catholique seroit le culte national. Le danger d'une telle motion n'étoit pas seulement dans ses propres vices, mais encore dans les circonstances où elle étoit présentée; non seu lement elle tendoit à faire décréter par l'assemblée ce qui n'est pas dans son pouvoir, ce qui est au-dessus de son pouvoir, mais elle pouvoit met. tre le fer à la main à des catholiques peu éclairés, contre leurs frères, qui n'ont pas une croyance aussi orthodoxe. On venoit d'afficher dans le Languedoc ce placard incendiaire. « L'infàme assemblée nationale vient de mettre le comble à ses forfaits, en nommant un protestant pour la présider ». Et ce placard avoit été soutenu par l'assassinat de quatre à cinq protestans, afin de joindre l'exemple au précepte. La motion de dom Gerle, et le parti que l'assemblée nationale prendroit à cet égard, pouvoient donc être de la plus dangereuse conséquence. Les aristocrates de l'assemblée nationale et leurs adhérens, crurent ce moment favorable pour faire éclater leur complot, pour jeter le trouble dans toute la France, pour commencer une scission qui pût bientôt être suivie de la dissolution de l'assemblée nationale. Les diverses branches du plan de contre révolution n'étoient pourtant pas encore assez fortes. La mésintelligence n'avoit point éclaté dans les garnisons de Douai, de Metz, de Strasbourg, et autres; la demande des 40 millions à emprunter à la caisse d'escompte étoit renvoyée au comité des finances; le peuple souffroit sans se plaindre; on espéroit dans les prochains arrangemens de finances dont on s'occupoit; la procédure du châtelet n'étoit pas en état d'être décrétée: mais les contre-révolutionnaires ne doutoient pas que la chaleur d'une querelle de religion ne múrit toutà coup leurs dispositions. Les aristocrates ecclésiastiques s'assemblèrent lundi soir dans l'église des Capucins Saint-Honoré, avec Cazalès, d'Eprémesnil, Virieu, Montlausier, Mirabeau le vicomte, et autres mauvais citoyens, à qui il ne manquoit, pour les mettre de niveau à ce que tous les siècles ont produit d'hommes pervers, que de couvrir leurs infanes projets du voile de la religion. Là, Montlausier prononça un discours dans lequel il établit le plan qu'on devoit suivre dans la séance du lendemain demander que la religion catholique fùt déclarée religion nationale exclusive; que les biens du clergé fussent uniquement consacrés à l'entretien de cet établissenient national; et, dans le cas où ce parti seroit rejeté par les patriotes, faire une protestation contre le dé oret, et la porter au roi, pour la lui faire sanc tionner. Là, Maury osa dire que si le roi avoit la pusillanimité de ne pas sanctionner leur protestation, il faudroit la faire imprimer sur le champ, et la répandre dans les rues, afin de faire connoitre au peuple qu'il étoit gouverné par un imbécille de roi qui ne maintenoit pas le culte de ses pères. Là, les patriotes de l'assemblée nationale furent traités, par ceux même qui avoient déposé le matin au châtelet, ou qui devoient déposer le lendemain, d'assassins, de régicides, de brigands qui avoient voulu tuer la reine. Là, fut faite et signée la protestation, ou décla ration de foi des aristocrates; là, ils prirent la résolution de se rendre à l'assemblée le lendemain > armés, et habillés de manière à pouvoir se présenter chez le roi, dans le cas où il faudroit faire usage de la protestation. Dans le même moment, l'on apprenoit que les deux régimens qui s'étoient retirés dans la cita delle de Lille reconnoissoient l'erreur où les avoient jetés les manoeuvres scélérates de leurs chefs; qu'ils avoient écrit à la municipalité de Lille, et au ministre de la guerre, pour déclarer qu'ils avoient arrêté et constitué prisonnier dans la citadelle le sieur de Livarot; qu'ils professoient hautement qu'il auroit déjà expié ses crimes, si sa mort ne devoit pas être l'ouvrage des loix; que les soldats qui avoient été blessés avoient déclaré en mourant que l'on avoit affiché dans leurs quartiers ces mots : Notre roi est prisonnier à Paris; allons le délivrer; qu'on leur avoit distribué de l'argent ; qu'on avoit payé la dépense qu'ils faisoient dans les cabarets, etc. Le repentir des chasseurs de Lorraine et du régiment de Colonel - Général; la facilité avec laquelle ils s'étoient apperçus qu'on les avoit trompés; enfin, la vigoureuse précaution qu'ils avoient prise contre le traitre Livarot, anéanissoient les coupables espérances que les aristo crates avoient conçues de la garnison de Lille, et devoient glacer d'effroi les brigands titrés qui, dans les autres garnisons, devoient jouer le rôle de Livarot. Ce fut une raison de plus pour les aristocrates de précipiter leur coup. Cependant, le conciliabule tenu aux Capucins avoit jeté l'alarme dans la ville; et déjà le district des Cordeliers avoit délibéré que les citoyens non enrôlés reprendroient les armes, et se tiendroient prêts à seconder la garde nationale. Le commandant général avoit fait donner des ordres pour que les gardes fussent doublées. Le peuple s'étoit rassemblé en groupe en divers lieux, et bientôt il fut instruit que le clergé se proposoit d'abuser le lendemain de sa piété et de sa bonne foi, pour rendre inutile le célèbre décret du 2 novembre, pour conserver les biens dont il jouit, afin d'empêcher les assignats, et de forcer la banqueroute. On vit alors quelle différence il y a d'un peuple sage et éclairé à un peuple ignorant et fanatique. Le mot de religion, qui eût causé tant de malheurs il y a quelques siècles, qui fait, dans ce moment même, des ravages si affreux dans le Brabant, ne causa au peuple d'autre douleur que celle de le voir indignement profané par le plus vil intérêt. La disposition des esprits étoit telle, avant que l'assemblée eût prononcé à cet égard, qu'il eût plutôt été besoin de calmer le peuple que de l'éclairer sur une question qu'il saisis soit sous tous ses rapports. Une affluence prodigieuse eut lieu le mardi autour de la salle de l'assemblée, et au palais royal. L'impatience étoit extrême, le silence profond, et l'inquiétude universelle. Les aristocrates espions sortirent plusieurs fois pour examiner la contenance du peuple : elle ne leur présageoit rien de favorable à leurs desseins. Quelques propos sur le danger que couroit la religion furent inutilement hasardés; on y répondit par cet argument plus vrai que poliment exprimé. « Ces calotins et ces |