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1790.

Dénonciation du Comité de Constitution à la Nation et à ses présentans, relativement à l'organisation du pouvoir judiciaire.

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L est en politique, comme en morale, des principes d'une telle évidence qu'il est impossible de croire à la probité de ceux qui les violent. L'indiN°. 37.

* A

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gnation que ces personnages inspirent ne peut que s'accroître, lorsqu'on voit qu'ils ont connu ces principes, et qu'ils s'en sont volontairement écartés.

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Ets s'ils compromettent par-là l'honneur ou la vie d'un million de citoyens s'ils mettent en danger la liberté publique ! s'ils tendent la main à toutes les aristocraties, à tous les genres de despotisme, pour les ramener sur la France! Ne seroit-ce pas un devoir pour ceux qui se sont dévoués à la chose publique, ne seroit-il pas de l'intérêt de tous ceux qui y tiennent par quelques rapports, de les dénoncer, de les poursuivre, non pas avec les ménagemens que l'on doit à des hommes qui se trompent, mais avec cette vigueur qui seule peut déconcerter les hommes qui veulent tromper?

Ce ne fut pas sous cette couleur que nous présentames les membres du comité de constitution, lorsqu'ils publièrent la première partie de leur plan d'organisation du pouvoir judiciaire. Nous applaudimes même à quelques-unes de leurs vues, parce que la suppression de tous les tribunaux actuels, la facilité et la promptitude de l'adminis tration de la justice, sont en effet quelques-unes des bases de leur travail; ils annoncèrent, à la vérité dès lors, le systême qu'ils soutiennent aujourd'hui, celui de retarder l'établissement des jurés. Nous ne jetâmes sur cet article que quelques réflexions simples (1), parce que les motif's du comité, pour retarder l'établissement des jurés, étant pitoyables, nous pensâmes qu'il reviendroit facilement aux principes, et parce qu'il étoit possible qu'il y revint en effet dans la seconde partie du plan, qui n'étoit pas encore publiée.

Ce plan existe aujourd'hui dans son entier, et c'est le moment de le discuter à fond, puisque l'assemblée nationale s'en occupe. Mais, en mon

(1) Vide N°. 24, page 19.

trant les vices d'un plan, on contracte presque l'obligation d'en proposer un autre ; et un pareil travail excéderoit les bornes de cet ouvrage.

C'est donc de l'établissement des jurés seulement que nous pouvons nous occuper; et encore ne nous est-il possible de les envisager que sous un seul point de vue, leur rapport avec la constitution.

Le comité propose, dans la seconde partie de son plan, de renvoyer l'établissement des jurés jusqu'en 1792. Il donne certaines règles, d'après lesquelles on travailleroit à un réglement qui rendroit la procédure par jurés praticable par tout le royaume, à cette époque.

Il est des membres de l'assemblée nationale qui doivent proposer d'établir sur le champ la procédure par jurés; mais ils regardent seulement ce p'an comme meilleur que celui du comité, et non comme un article de nécessité absolue dans la constitution.

Je n'entends pas me dispenser de rendre hommage aux vues de ceux qui demanderont l'établis ment actuel des jurés; mais ils sont encore loin du but.

Il faut établir les jurés sur le champ, parce que, sans la procédure par jurés, il ne peut y avoir de constitution libre; parce que les articles sur la procédure par jurés sont des articles constitutionnels, et que cette base de l'ordre judiciaire est partie intégrante de la constitution.

Si je prouve cette assertion, il faudra conclure que l'établissement des jurés ne peut être ni différé ni renvoyé à la prochaine législature, à moins que l'on ne veuille que la constitution ne soit faite à deux fois, et de morceaux rapportés, à moins qu'on ne veuille s'exposer à la voir anéantir, avant que la législature prochaine ait posé la clef de la voûte par l'établissement des jurés.

Pour savoir si un article est constitutionnel ou ne l'est pas, il faut voir si, ce point étant supposé ne pas exister dans la constitution, la liberté pu

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blique et individuelle peuvent être maintenues, ou si elles seroient anéanties. Si la liberté publique et individuelle peuvent exister sans cet article, il n'est pas constitutionnel; car une constitution n'est autre chose que l'ensemble des moyens par lesquels des hommes réunis en société peuvent maintenir leur liberté individuelle et collec tive.

Cette vérité est si évidente, que l'assemblée nationale en a fait un des principaux points de la

déclaration des droits.

Art. 16. «Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution libre ».

Or, il est impossible que la garantie des droits des individus, ni ceux même de la nation, soient assurés sans l'établissement des jurés.

La liberté nationale ne peut se maintenir que parce que chaque citoyen lutte de toutes forces, pour la défendre contre les entreprises du pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif n'a que deux moyens pour asservir une nation; la force armée dirigée contre tous, ou contre les individus; et son adresse, son influence pour accabler les individus avec les formes de la loi.

Il n'est guère, à craindre que le pouvoir exécutif employe la force armée contre tous; trop de risques accompagnent ce moyen, qui suppose presque toujours une partie de la nation armée contre l'autre.

il est plus probable que le pouvoir exécutif useroit de la violence contre les particuliers: et l'habitude des lettres-de-cachet, des ordres d'exil, est trop enracinée dans le gouvernement, pour que ses agens la perdent tout d'un coup.

Mais supposons que le pouvoir éxécutif ne dût jamais se servir d'ordres arbitraires, seroit-il moins dangereux, s'il pouvoit faire périr ou emprisonner, par les formes judiciaires, les citoyens courageux

qui défendroient la cause publique par leur courage ou par leurs écrits?

Ce danger est tellement imminent, qu'un article de la constitution a déjà séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif: mais qu'importe que le pouvoir exécutif exerce par lui-même le pouvoir judiciaire, ou qu'il ait une telle influence sur ceux qui l'exercent, qu'il puisse en diriger les coups à son gré? Cette dernière manière est même plus favorable au despotisme, puisqu'il peut égorger ses victimes sans qu'on le voye frapper, et sans exciter le peuple à défendre sa liberté par le spectacle même de ses attentats.

C'est enfin pour obvier à ce dernier moyen d'abuser du pouvoir, que l'on propose de faire élire les juges par le peuple. Mais cette ressource est insuffisante: d'abord, la préférence que le ministère accordera à ceux qui lui seront présentés pour remplir les places, les lui attachera nécessairement; ensuite, il lui sera facile de les corrompre. Les moyens de séduction que le gouvernement a en main sont si vastes! les faveurs, l'argent, les honneurs, les espérances, la crainte, les places, les pensions, tout lui assure qu'il disposera de la voix du plus grand nombre des juges, dès qu'il aura seulement un jour pour tendre ces filets autour d'eux.

C'est pour prévenir oet abus que quelques peuples libres se sont eux mêmes constitués juge; mais cette constitution réunissoit le pouvoir judiciaire au législatif; et dès lors, il arrivoit que des loix générales étoient faites pour des cas particuliers; que les pouvoirs n'étoient pas séparés, et que la constitution n'étoit pas libre.

Il a donc fallu créer une constitution qui n'eût aucun de ces inconvéniens, qui mit un accusé à l'abri des fureurs d'un peuple tumutueux, des attentats d'un prince vindicatif ou ambitieux, et ses juges, de toute espèce de séduction.

Telle est l'institution des jurés. Les Grees, les

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