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ou si l'agiotage cherche à se reproduire sous les dehors du zèle pour le bien public, des hommes vertueux, mais ignorans, bons, mais imprudens, pourront en être dupes; ils prendront des poisons pour des remèdes, et ils ne reconnoîtront leur erreur qu'aux douleurs aiguës qu'ils leur cau

seront.

Mais des hommes éclairés, prudens, réfléchis, des législateurs sauront discerner le noble sentiment de l'amour de la patrie, de la vile passion de l'or ; ils sauront éviter des démarches qui prouveroient qu'ils se sont laissés tromper; car la confiance publique tient autant à l'opinion que l'on a des lumières, que des vertus de l'assemblée nationale.

Si le décret qu'elle a rendu sur l'achat proposé par la municipalité de Paris étoit définitif, et qu'elle eût cru y trouver une ressource contre nos besoins actuels, je me garderois de proposer aucune réflexion sur ce projet ; je me bornerois à faire des vœux pour qu'il réussit ; j'y concourrois même de tous mes moyens. Mais puisqu'après avoir dit, dans un décret, qui n'a pour objet que d'ouvrir une négociation entre un comité de ses membres et le bureau de la ville de Paris, puisqu'après avoir mis dans son décret, rendu contre les plus justes réclamations, qu'elle approuvoit les bases du plan de la municipalité de Paris, elle a rayé cette assertion à la lecture du procès-verbal, rien ne doit m'empêcher de publier des réflexions qui pourront n'être pas inutiles aux commissaires de l'assemblée nationale, même quand ils ne les adopteroient pas.

Le plan d'achat de la municipalité est imprimé sous le titre de Compte rendu à l'assemblée nationale par les députés du bureau de la ville de Paris, le 10 mars 1790. Ces députés sont MM. Bailly, maire; Boullemer de la Martinière, procureursyndic; Célérier, architecte, lieutenant de maire;

le Couteulx de la Noraye, lieutenant de maire; Canuel, conseiller-assesseur.

Il est de règle que l'auteur d'un projet ou d'une motion est de la députation qui est cha gée d'en faire part; sans doute que l'auteur ou les auteurs de ce projet étoient dans celles-ci. On ne peut guère croire que M. le maire, M. le procureur-syndic, ayent pu s'en occuper. On pourroit donc dire que la partie du plan qui concerne la vente des maisons est de M. Célérier, architecte ; et celle des finances, de M. le Couteux de la Noraye. Selon la voix publique, le sieur Puissant, qui n'étoit pas de la députation, a aussi beaucoup contribué à ce chef d'oeuvre..

Quoi qu'il en soit, le bureau de ville a décidé quelles étoient les maisons religieuses du même ordre qui devoient être supprimées à Paris d'après le décret du 5 février dernier.

Selon le vœu du bureau de la ville, dans l'ordre des Bénédictins, Saint-Martin-des-Champs seroit conservé pour en faire un collége.

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Dans celui de Saint Dominique, les couvens des rues Saint Jacques et Saint-Honoré seroient supprimés; celui de la rue du Bacq seroit con

servé.

Les grands et petits Augustins seront réunis aux Petits-Pères de la place des Victoires.

On supprimera les Carmes de la rue des Billettes et de la place Maubert, pour les réunir aux Carmes-Déchaux, malgré les légères différences des réformes.

Les Capucins de la rue Saint-Honoré et du Marais seront réunis à ceux de la Chaussée-d'Antin et de Meudon.

Saint-Germain-des-Prés seroit conservé à raison des monumens qu'il renferme.

Les Prémontrés de la Croix-Rouge seront réunis à ceux de la rue Haute Feuille. Les Minimes aux Bons Hommes de Chaillot;

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les

les Récollets à Picpus; les Feuillans de la ruẹ Saint-Honoré à ceux de la rue d'Enfer.

L'Assomption iroit occuper une des maisons religieuses supprimées,

Les Chartreux seroient transférés à la campagne; les Théatins ne répugneroient pas à leur sécularisation.

Le total des maisons à supprimer se monte, selon ce plan, à 27 maisons, qui peuvent être aliénées sur le champ, outre tous les terreins qui ne font pas partie des lieux claustraux des maisons conservées; tels que la maison abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, l'emplacement de la foire, les maisons en location qui en dépendent, et même les jardins, lorsque leur étendue permettra de les réduire.

Le bureau de la ville demande que l'assemblée nationale vende ces objets à la municipalité de Paris, à concurrence de 200 millions. La municipalité verseroit, pour prix de la vente, à la caisse de Textraordinaire, 150 millions en quinze obligations de 10 millions payables d'année en année,

Pour satisfaire aux premières obligations, en attendant la vente de ces objets, la municipalité feroit un emprunt du tiers de leur valeur, et par püvilége sur ces biens.

Les obligations de 10 millions seroient divisées par le caissier de l'extraordinaire, en coupons de 1000 livres, de 600 livres, de 400 livres, de 309 livres et de 200 livres, ces coupons porteroient le nom d'effets municipaux, et les municipalités de provinces, qui acheteroient des biens ecclésiastiques, pourroient produire des effets de même

nature.

Il seroit attaché un intérêt de 4 pour cent à chaque obligation; cet intérêt, par forme de prime, seroit alloué à une des quinze obligations qui seroit tirée au sort. Chaque obligation étant sous-divisée en cinq sections, selon la nature des billets, un second sort décideroit laquelle section gagneroit No. 36. B

la prime, et produiroit ainsi au porteur d'un billet de la section gagnante, une prime égale au quart de la valeur du billet.

Quant aux 50 millions restant du prix d'achat, la ville n'en feroit compte qu'à la fin de l'opération. Elle compteroit même, de clerc à maitre, du produit total de l'opération; et, après avoir défalqué les 150 millions et les frais, elle se réserveroit un seizième du produit total, pour être employé à des travaux publics, dont le premier seroit la construction d'un palais pour l'assemblée

nationale.

Cette idée d'architecte fut convertie par M. Bailly, député à l'assemblée nationale, lors de la discussion du plan en secours donnés au peuple de Paris, qui ne vit que d'aumones. Rappeller à l'assemblée nationale l'idée du peuple souffiant, c'étoit assurer le succès des propositions de la municipalité.

Oui, l'image seule des souffrances d'un brave peuple qui a tout sacrifié à la cause de la liberté, a séduit, a entraîné l'assemblée nationale jusqu'à adopter un projet absurde dans tous ses points.

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Je demande d'abord quel est le principal avantage de ce plan; selon M. Thouret, dont l'opinion a entrainé tous les suffrages, il exproprie le clergé; et par-là on donne de la confiance aux assignats; chimère, illusion, folie! la municipalité elle-même ne demande qu'une vente fictive. Or, qu'est-ce qu'une vente fictive faite à un corps moral pour un prix eventuel? Il n'y a qu'une vente réelle, un prix réel et employé à l'extinction de la dette nationale; une occupation réelle et de fait par les acquéreurs, qui puisse faire naltre la confiance, si le décret qui déclare les biens à la disposition de la nation n'a pas suffi. Eh quoi! la nation auroit besoin du crédit des municipalités,ou aimeroit mieux acquérir d'une municipalité que de la nation!

Quelle est la vraie cause de la défiance? C'est que la constitution n'est pas achevée, c'est que l'on craint né contre-révolution, c'est que les aristocrates di

sent hautement que cela ne tiendra c'est qu'ils font des préparatifs hostiles, c'est que les vrais patriotes sont persécutés, réduits au silence par les soi-disans patriotes; et que de tous ces indices le capitaliste conclut qu'il ne doit pas acquérir. Il entrevoir la possibilité du retour à l'ancien ordre de choses, il conclut de l'insolence des aristocrates et de l'oppression des chauds patriotes, que ceux même qui paroissent servir la révolution, pourroient, avant peu, remettre le clergé en possession de tous ses biens, et le dépouiller, lui, quoiqu'acquéreur de bonne foi et par le titre le plus authentiqne. On voit dès-lors ce qu'il faut faire pour rassurer, pour inviter les acquéreurs : créer un vrai tribunal national, couper aux aristocrates tout moyen de nuire, et sur-tout achever la constitution.

Le premier objet est donc absolument manqué dans ce plan; ceux qui n'auroient point acheté de la nation, n'acheteront point des municipalités, et si les municipalités ne vendent point, le clergé ne sera pas exproprié, car les municipalités ne sont que la nation considérée dans ses sections.

Il y a dans un contrat deux parties à considérer, le vendeur et l'acheteur. Il faut, pour la validité de l'acte, que l'un puisse vendre, et que l'autre puisse acheter. La nation peut vendre les biens du clergé ; mais, d'après son propre décret, ces biens sont à la disposition de la nation, avec le concours de chaque province où les biens sont situés. Ici, ce sera donc la ville de Paris, qui, sous le nom de la nation, se vendra à elle-même les biens qui sont situés dans son arrondissement.

D'une autre part, la municipalité qui acquerra, n'est qu'un corps moral, qui n'a ni peut avoir de propriété. Les municipalités ne font que représenter les communes, quant à l'administration publique; or, d'après le projet et le décret, ce sera la municipalité et non la commune de Paris qui fera l'acquisition.

Si la commune acquéroit pour revendre, il y au

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