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voilà quels sont encore aujourd'hui les remparts de la liberté nationale! Infidelles à leurs devoirs, même à leurs promesses, et à l'engagement qu'ils ont contracté par leurs propres décrets, les représentans du peuple français n'ont point encore organisé un tribunal national, et ils ont consacré à statuer sur des débats privés et des prétentions ridicules le triple des séances qu'ils auroient pu et dù consacrer à juger les criminels de lèse-nation (1).

Nous ne serions pas moins coupables qu'eux, si nous laissions échapper quelqu'occasion de les rappeller à des obligations sacrées, et d'avertir la nation des atteintes portées à sa liberté, à ca

sureté.

Ainsi nous lui dénonçons les deux jugemens que vient de rendre le Châtelet: par l'un il décharge des accusations intentées contre eux, Bezenval, Barentin, Broglie, Puiségur, d'Autichamp; par l'au tre, il ordonne l'élargissement du sieur Augeard,

(1) Sans me départir des principes par lesquels il est établi dans cet ouvrage que l'assemblée nationale est juge nécessaire des crimes de lèse-nation, j'observe que rien n'est plus facile que de créer un grand juré. L'assemblée peut élire parmi ses membres cent vingt jurés de toutes les provinces indistinctement. Ce nombre servit réparti en trois colonnes. L'accusé auroit la faculté d'en récuser une toute entière. Sur les deux autres, il pourroit récuser la moitié des membres. L'une prononceroit le jugement préparatoire qu'il y a lieu d'instruire contre l'accusé (indictement); l'autre procéderoit à l'instruction et au jugement. Quand les jurés auroient prononcé le verdic, c'est-à-dire, déclaré que l'accusé est coupable ou non coupable de tel fait, il'importeroit peu quels magistrats appliqueroient la peine au délit, parce que leur juge.ment est forcé, et leur ministère pour ainsi dire passif.

Cette manière de former un tribunal national n'est pas, au reste, la seule qui se présente à l'imagination, et celle-ci peut encore être améliorée.

détenu à l'abbaye Saint-Germain, pour un délit que nous avons déjà fait connoître.

C'est une chose bien remarquable que, dans tous les jugemens que cette commission a rendus, elle ne s'est pas une seule fois rencontrée avec l'opinion publique, elle ne s'est pas une seule fois montrée digne de la confiance que l'assemblée nationale lui a si légèrement accordée.

Le sieur Augeard avoit été dénoncé comme ayant formé le projet d'enlever le roi de Paris, de l'emmener à Metz, et de faire naître une guerre civile. Voici ce que porte le plan que le sieur Augeard avoit rédigé par écrit: on en doit la connoissance, non pas à l'instruction publique, mais à une querelle privée d'un membre du comité des inquisiteurs de l'hôtel-de-ville, avec l'avocat du sieur Augeard

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« Il n'y avoit qu'un seul parti à prendre (1) pour sauver la royauté, c'étoit de faire marcher le roi sur Metz, à la tête de son armée accompagné des princes du sang; de convoquer en même-temps sa noblesse, et de transférer sur le champ le parlement à Troyes, la chambre des comptes à Châlons et la cour des aides à Rheims; d'ordonner en méme-temps à tous ses bons et fidelles sujets de sortir d'une ville aussi CRIMINELLE. Le roi se seroit trouvé à la tête d'une armée de quarante mille gentilshommes, qui se seroient trouvés honorés, ou de remettre ce prince sur son tróne, ou de s'ensévelir avec lui sous les ruines de la monarchie. Cette conduita étoit infiniment plus noble, que de faire venir le roi à Paris accepter la cocARDE DES RÉVOLTÉS ».

Voilà, selon le sieur Augeard, secrétaire des commandemens de la reine ce qu'il auroit fallu faire après avoir manqué la conjuration formée contre

(1) Après l'insurrection qui suivit le départ de M. Necker.

la nation au mois de juillet. Voici ensuite ce qu'il y avoit à faire après le 6 octobre.

<< Dans les circonstances actuelles, il ne reste rien autre chose à faire, que de paroître très-satisfait de sa position, d'être très-populaire, très-affable; de filer ainsi le temps pendant quatre à cinq mois; d'avoir l'air d'avoir beaucoup de confiance dans ses gens d'affaire, et de n'en avoir aucune, et, pendant ce temps, d'employer une seule personne; mais la bien choisir, pour conférer à M.... de B.... sur les moyens et les mesures les plus convenables pour suivre la route indiquée à l'évêque de Chalons, et exécuter ensuite ce qui a été dit ci-dessus, lors du départ du maréchal de Broglie ».

Les quatre à cinq mois sont filés. Les personnes, pour qui le plan étoit évidemment mis par écrit, se sont montrées plus populaires que jamais pendant ces quatre à cinq mois; elles ont paru avoir beaucoup de confiance en leurs gens d'affaire; reste à savoir si elles en ont eu, et si une personne bien choisie n'a pas conféré avec M... de B... sur les moyens de faire sortir le roi de la criminelle ville de Paris, pour se mettre à la tête de quarante mille gentilshommes, et pour s'ensévelir sous les ruines de la monarchie, etc. etc. etc.

Ce qui n'est pas équivoque du moins, c'est que le châtelet vient de rendre la liberté au sieur Ẩugeard, précisément après les quatre à cinq mois

filés, afin que, s'il y a lieu à l'exécution du complot, il n'y manque pas même le concours de celui qui l'avoit créé.

Que l'on veuille bien comparer maintenant le projet pour lequel le marquis de Faveras a été pendu, avec celui du sieur Augeard; que l'on pêse la nature des preuves acquises contre ces deux accusés, et l'on frémira sur la différence inconcevable qui se trouve dans les deux jugemens qui les concernent.

Le marquis de Faveras avoit projetté de con

duire le roi à Péronne; M. Augeard, de le faire marcher sur Metz. M. de Faveras vouloit avoir 1200 hommes de cavalerie, et un corps de 20,000 mécontens prêts à suivre le roi. Le sieur Augeard vouloit faire convoquer la noblesse pour former une armée de 40,000 hommes. Le marquis de Faveras étoit accusé d'avoir voulu dissoudre l'assemblée nationale, en excitant une guerre civile. Le sieur Augeard exprimoit le même projet, en disant que les gentilshommes remettroient le roi sur le trône, ou s'enséveliroient sous les ruines de la monarchie.

Le marquis de Faveras avoit parlé de son projet aux sieurs Morel, Turcati, et à un banquier Hollandois. M. Augeard avoit dicté son plan à son secrétaire; il avoit indiqué à l'évêque de Châlons la route que le roi devoit suivre pour aller à Metz.

Il y a donc dans ces deux accusations une parité effrayante. Passons aux preuves: il y en a de deux sortes en général; les preuves vocales et littérales. On n'a trouvé, contre le marquis de Faveras, que des preuves vocales, fondées sur quatre dépositions, entre lesquelles on ne peut pas se dissimuler qu'il y a des contradictions majeures. Il y a, contre le sieur Augeard, une preuve littérale ; savoir un mémoire dont il s'avoue l'auteur, dont il est prouvé qu'il est l'auteur; et ce mémoire dans lequel il n'y a pas de contradictions, mais qui est très - cohérent, très - conséquent, est appuyé par la déposition du sieur Seguin, dénonciateur du sieur Augeard, qui est aussi digne de foi que le sieur Morel.

On sait qu'il est possible que les preuves vocales soient fausses. Tant de choses peuvent faire errer ou mentir des témoins qui déposent. Mais il est impossible qu'une preuve littérale ne soit pas sûre, toutes les fois que la pièce qui contient cette preuve n'est pas arguée de faux. Le crime du siear

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Augeard est donc beaucoup mieux prouvé que celui du sieur Faveras.

Eh! que seroit ce donc si, au lieu de faire arrêter sur le champ le sieur Augeard, sur la dénonciation du sieur Seguin, on eût renvoyé ce lui-ci auprès de lui pour suivre l'opération, et que sa vigilance eût été excitée, comme celle du sieur Morel, per la perspective d'une place d'officier dans la garde nationale (1) ? Les preuves vocales seroient sans doute réunies à la preuv● littérale; mais il n'en est pas besoin.

Mais le marquis de Faveras étoit un faiseur d'affaires, un faiseur de plans, parmi lesquels il y en avoit un pourtant qui avoit pour objet la régénération des finances de l'état, et pour l'exécution duquel il est prouvé qu'il avoit fait des démarches auprès de l'assemblée nationale. Il n'étoit, quoiqu'aristocrate, qu'un pauvre hère, assez misérable pour s'être fait mouchard de la cour, moyennant cent louis; et il est pendu.

M. Augeard est fermier général, il est secrétaire des commandemens de la reine; et il obtient son élargissement. Ainsi, cette maxime est vraie, depuis la révolution comme auparavant :

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugemens de cour vous rendront blanc eu noir.
LA FONTAINE.

(1) Vide N°. 31, page 34, le certificat donné par M. de la Fayette au sieur Morel. Ii a été présenté en notre bureau par le siear Morel lui-même, avec quelques observations sur le mémoire du sieur de Faveras. Un fait évidemment démontré à l'avantage du sieur Morel, c'est qu'il n'a pu être induit à dénoncer l'accusé par les 24,000 livres promises par l'hôtel-de-ville aux dénonciateurs, puisque c'est au 21 septembre, époque fixée par le certificat, qu'il fit la dénonciation, et que c'est plus d'un mois après, dans le cours d'octobre, que hotel de-ville promit une somme aux dénonciateurs.

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