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PAPIERS DE LA BASTILLE.

Suite de l'horrible conspiration découverte en juil◄ let 1768; par le Prévot de Beaumont, prisonnier pendant 22 ans.

Je sais que le duc de Choiseul, qui connoissoit ce pacte de Laverdy, et ne le dénonça jamais, conspiroit aussi contre son maître et contre l'état; qu'il ravageoit, conjointement avec sa famille, toute la Lorraine, sa patrie; et l'Alsace, par le même monopole de Laverdy, jaloux apparemment des succès et des richesses du nouveau marquis de Gambais.

Laverdy étoit président de son pacte; et, pour l'exé cution d'une telle entreprise, qui n'eût jamais pu se former, si la police cût été fidelle à la poursuivre et à la dénoncer, if avoit établi pour son procureur-général le scélérat de son temps le plus raffiné qui fût en France, et son procureur-général étoit Sartine.

A quelle fin donc ce pacte abominable, que nuls autres que des ministres ne pourroient concevoir ni tenter? A quel but? Il faut le dire.

Pour provoquer, établir et fomenter, par le plus violent monopole, non-seulement la disette et la cherté au plus haut degré de possibilité; mais encore exciter de temps en temps les famines générales dans tout le royaume, sans considération des pauvres, ni des riches. Ces famines, qui n'ont que trop malheureusement existé en 1740, 1741, 1752, 1767, 1768, 1769, 1775, 1776, 1778, dans le midi seulement de la France, 1788, 1789, sont, avec le luxe, les impôts excessifs, l'impéritic du ministère, l'émigration des finances, l'abandon du commerce, la négligence de l'agriculture, la principale cause, faute de punir ces traîtres et de les surveiller, du déluge de maux qui nous accablent aujourd'hui.

Le second bail de la France, sur lequel ce troisième de Laverdy a été fait et copié, prit naissance sous Machault, qui avoit pour agens secrets les nommés Bouffé et Dufourny, qu'il qualifioit de négocians.

Le quatrième bail, qui a dû se renouvelier en 1777, le 12 juillet, à l'expiration de celui de Laverdy, a eu successivement différens chefs, dont le principal étoit No. 32. E

le gascon despote comte de Vergennes; le procureur général d'exécution étcit fe nommé le Noir, que je dénomme le démon négritien; l'agent généralissime, représentant Thonnête Malissey, étoit le nommé le Leu marchand épicier, avec d'autres membres du précédent bail, comme Ray de Chaumont qui vit encore. Mais les choses ont changé à la mort de Vergennes.

Toujours est-il vrai que le cinquième hail auroit été renouvellé le 12 juillet 1789, sans les révolutions subites qui ont éclaté dans ce même mois, et qu'il se renou-. velleroit encore plus tard sous de nouvelles formes, si l'on ne prenoit pas de justes mesures pour prévenir cfficacement tous les maux possibles. De tous les temps, on a vu les calamités publiques naitre du ministère de la police, des parlemens et des intrigues de la cour; mais les révolutions instruisent autant qu'une longue suite. d'expériences, et il faut espérer que les événemens passés nous garantiront pour l'avenir.

Voilà le pacte Laverdien que j'ai découvert en 1768. Je ne le rapporte que de mémoire, pour en avoir fait. cinq copies sur l'une des quatre expéditions. Sartine me les à toutes fait enlcyer par le commissaire Mutel. Il m'en reteit encore une dans mes papiers portés à la Bastille en meme-temps que j'y fus cnglout le 17 novembre 1768. Mais Sartine, en me faisant transférer au donjon de Vincennes, le 6 octobre 1769, par une fausse lettrede cachet, signée Phélippcaux, de la main de Duval fiis, son secrétaire, s'empara de cette dernière copic, et de la malle qui contenoit, avec tous mes papiers, l'araignée de cour que je composai à la Bastille.

C'est uniquement pour ce pacte, et de peur que je ne le dénonçasse, que les conjurés ligués m'ont tenu en captivité durant vingt-deux ans dans cinq prisons, sans qu'on m'ait jamais reproché, cncore moins prouvé le moindre délit, pour autoriser une détention aussi longue; tant de persécutions inouies que je passe sous silence, tant d'abus de l'autorité, tant de fausses lettres-de-cachet, tant d'excès, tant de cruautés, tant d'opprobres, tant d'attentats de tous les genres.

On poursuit aujourd'hui, on punit, sans forme de procès, les auteurs de la dernière conjuration, et on laisse tranquilles chez eux ceux des précédentes qui sont infiniment plus coupables, infiniment plus riches, infiniment plus heureux de leurs forfaits et de leurs prévari

sations. Pourquoi cette atroce injustice? Croit-on done que Machault, Laverdy, Boutin, Langloais, Trudaine de Montigny, Boullongne, Choiseul, Vergennes, Sartine, le Noir, Albert, Borot, Amelot, Cromot du Bourg, Jumilhac et Rougemont, geoliers de la Bastille et de Vincennes; Breteuil, Calonne, Laurent de Villedeuil et de Crosne, n'aient pas été autant traîtres aux rois leurs maîtres, qu'à la nation? Certes, les crimes de ces scélérats n'eurent presque point de bornes dans leur exécution. Mais que l'on ne s'y trompe pas, la dernière com, motion, ou pour mieux dire la dernière conjuration n'est qu'une suite de celles que je dénonce, et qui ont commencé en 1729; leurs sourds ravages ont provoqué les famines plus ou moins générales que je déclare causes des mortalités, des misères innombrables dans le royaume depuis cette époque de 1729. Ne seroit-il pas plus judicieux à la nation assemblée d'avérer les forfaits, de faire arrêter ceux de ces traîtres qui vivent encore, de les cnfermer le reste de leurs jours au donjon de Vincennes, où ils ont enséveli tant de victimes, et de confisquer leurs biens, tant au profit des panvies que pour indemniser ceux qu'ils ont persécutés, pillés, volés comme moi ?

Si la dernière révolution n'eût pas cu lieu, je n'au-' rois jamais pu sortir de prison, tant j'étois recommandé à mes geoliers inquisiteurs; mais le ministère ayant été heureusement purgé, je me suis adressé à M. le comte de Saint-Priest, qui m'a sur le champ élargi. Combien de malheureux peut-être gémissent encore dans les cinquante-sept prisons-pensions, dites maisons de santé, que la police ministérielle a sourdement établies dans les faubourgs de Paris, sous sa direction et son inquisition, à l'insu du roi et du gouvernement! M. Bailly, qui veut pendant trois ans exercer la mairie l'intendance de Paris et la police, trois places qui exigeroient chacune trois tétes, pour les remplir dignement, auroit dû re garder comme un de ses premiers devoirs l'obligation de les visiter et de les faire ouvrir.

Les accaparemens de bleds en verd et sur pied se faisoient sous l'exécution du pacte Laverdien, comme cu sec sous le dernier bail. Les déclarations de quelques curés sur ce fait n'étonneroient pas la nation assemblée, si mes dénonciations bien plus importantes lui eussent pa parvenir. Je les ai recommencées en différentes années dix à douze fois; mais toutes étant toujours tombées

Ea

entre les mains des scélérats ministres et Heutenans de police que je viens de nommer, pas une seule n'a été connue du roi ni de la nation, parce que toutes ces pagodes ministrales se sont toujours fait un jeu de trahir le roi et l'état en tous points, et de régner scules des→ potiquement sous le nom de leur maître, donnant toujours leurs volontés pour les siennes contre ses plus grands intérêts.

Le sieur de Crosne, dit-on, n'étoit point un homme de tête, mais un homme de bien, qui ne faisoit pas le monopole des grains, et ne s'immisçoit pas dans les conjurations des princes et des ministres; et, s'il géroitla police sans faire beaucoup de bien, il ne faisoit du moins pas beaucoup de mal. Ce ne seroit pas assez de ne pas faire beaucoup de mal dans l'administration de la police, il y faut faire beaucoup de bien, et détruire tous les abus qui y règnent de temps immémorial; il l'entendoit si mal, il étoit si borné, qu'il suivoit en tous points les traces de ses scélérats prédécesseurs, (Sartine et le Noir),qui l'avoient tenue durant trente ans. C'étoient d'anciens commis de leur choix, et la compagnie des inspecteurs, tenant le sale tripot de la police ordurière, qui le conseilloient et le menoient comme un vil automate. Comment donc cût-il pu faire du bien, et n'eût-il pas, au contraire, fait beaucoup de mal dans un département dont presque toutes les branches sont à réformer, dans une admnistration qui ne montre que des vices, dont les suppôts sont les brigands les plus fameux et les plus intéressés à faire perpétuer ces vices détertables? Le sieur de Crosne, qui a prêté serment de fidélité en entrant en place,. aussi-bien que les ministres Breteuil et Laurent de Villedeuil, n'est donc pas comme eux un insigne traître, en violant avec eux son serment, en ne dénonçant ni les anciennes conjurations, ni celle qui a été sur le point d'éclater contre la capitale et contre la France entière le 14 juillet dernier? Dira-t-on qu'il ne la connoissoit pas mieux que ces deux créatures des conjurés? Cela est impossible. Il étoit principalement préposé pour rechercher, dénoncer et poursuivre ces hauts crimes de lèse-nation; et, s'il étoit vraiment fidelle, nulle conspiration, nul complot, nulle entreprise, nulle machination, n'auroit jamais pu se former us ses yeux sans la découvrir. On le peut d'autant moins

excuser, qu'il a, dans son infàme tripot, enrôlé des légions d'espions pour lesquels il tire tous les ans plusieurs millions du trésor royal pour les salarier et les entretenir contre la liberté publique. Qu'il dise donc qu'il ne connoissoit pas les anciennes conjurations que je viens de développer, lui à qui je les ai dénoncées bien des fois par écrit; lui qui soutient ses prédécesseurs et les auteurs de ces ligues infernales; lui qui ne me retenoit en prison, au Pétit-Berey, que pour m'empêcher de le dénoncer lui-même avec eux au public; lui qui, par son abominable inquisition, s'emparoit de tous mes écrits, et les retenoit amoncelés dans l'un de ses bureaux; lui qui, désespérant de m'engager à trahir, comme lui, mon souverain et la nation, me taxoit de démence, parce que, m'ayant fait transférer dans une maison de force qui recevoit des fous et des folles, tâchoit de m'assimiler à eux. Puissé-je être confronté à Sartine, le Noir, Malesherbes, Albert, Amelot, Borot, guide - âne de Malesherbes; Duval, secrétaire de Sartine, et Albert; Robinet, premier commis d'Amelot; Breteuil et Royer de Surbois; Laurent de Ville deuil et de Crosne, je les confondrai tous de nouveau, et les convaincrai de leurs trahisons sans exemple.

La suite à l'ordinaire prochain.

Réponse à la lettre de M. l'abbé FAUCHET, insé rée No. 29 des Révolutions de Paris.

M. l'Abbé, par le tableau le plus fidelle, le plus vrai et le plus abrégé possible dans une lettre, je vais mettre le public à même de juger qui des habitans de l'Amérique, que vous traitez d'antropophages, ou des abbés, méritent plus ce nom.

Il y a des siècles que l'hypocrisie et le fanatisme vous faisoient vivre grassement, et avec vous tout ce qui s'appelle clergé, en trompant les hommes que l'on tenoit dans l'ignorance, et vous couvrant du voile le plus sacré, celui de ia religion.

Vous insultez aujourd'hui d'honnêtes citoyens, que Vous ne connoissez pas pour faire des phrases; et vous oulez, ainsi que M. de Condorcet, qui se dit l'ami des

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