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les Français commencent à sentir le danger d'avoir un Pompée, c'est que l'abbé Fauchet s'est vu dans le besoin de justifier la motion dont nous venons de parler, par une autre qu'il a imprimée. Si cette dernière motion n'est pas aussi dangereuse que l'autre dans son objet apparent, elle l'est peut-être davantage dans ses accessoires.

La possibilité d'une grande opération militairenationale, en cas de besoin, l'a seule déterminé, ditil, à faire sa première motion; comme si un danger possible, une opération éventuelle, pouvoient autoriser un peuple, déjà forcé par l'étendue de l'état de s'assujettir à la royauté, à se créer un Anti-roi, et à compromettre ainsi à chaque minute la tranquillité publique.

M. l'abbé Fauchet prétend que le pouvoir civil-municipal seroit un frein suffisant pour maintenir dans Fordre celui qui auroit le commandement général des gardes-nationales; mais ignore-t-il que le pouvoir civil, divisé par chaque municipalité, n'auroit presque point d'influence sur un homme commandant dans tout le royaume? N'a-t-il pas vu, dans plusieurs districts de Paris, les officiers militaires se soustraire au pouvoir civil, pour servir l'aristocratie d'un état-major, et prendre des délibérations, non-seulement hors de l'assemblée civile, mais contraires à celles de l'assemblée ? Ignore t-il que le pouvoir civil seroit absolument impuissant, lorsqu'un général se trouveroit tout à la fois le commandant et l'idole des gardes nationales? Et si les vertus de M. de la Fayette l'ont rassuré sur l'usage d'une autorité si étendue, n'a-t-il pas dû prévoir qu'il auroit pour successeur des Scylla, des Pompée, des César?

Oui sans doute, toutes ces réflexions se sont présentées à l'abbé Fauchet; car il s'est borné à demander qu'il fut fait une adresse aux gardes nationales affiliées à celles de Paris, pour que M. de la Fayette fût déclaré premier frère d'armes de l'affiliation. Si cette demande, qui ne menoit à rien,

n'étoit pas un prétexte pris pour justifier sa pre. mière motion, elle paroîtroit en être un pour pu blier, sur la personne de M. de la Fayette, une profession de foi par laquelle l'apôtre de la liberté française n'a pas craint d'effaroucher la modestie de notre général.

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<< Non, dit il, je ne suis pas un flatteur de M. le commandant, je le dirai hautement dans cette assemblée et en sa présence. J'ai partagé d'abord avec la capitale et la France entière l'admiration qu'inspiroient son dévouement et son zèle pour la liberté de la patrie. Je le voyois habituellement à la ville; mes pensées étudioient ses pensées; j'observois son génie; je suis descendu un moment jusqu'à l'inquiétude. Je suis ensuite resté assez long-temps dans un doute méthodique ; et c'est maintenant d'après des observations attentives et sévères que je prononce ma croyance sur son compte, et que je deviens l'écho du monde entier, en affirmant que c'est une ame loyale, un héros, un grand homme.... ». En sa présence!

Sont-ce là les soutiens de ma triste patrie!

M. l'abbé Fauchet a demandé ensuite que M. le maire de Paris fût déclaré premier municipe de l'affiliation. On ne concevra certainement point ce qu'un pareil titre pouvoit ajouter de gloire, d'importance ou d'autorité, à la place de maire de Paris; mais il falloit aussi un prétexte à M. l'abbé Fauchet, pour publier ses pensées sur M. Bailly. Il lui paroissoit à propos que le peuple entendit, de la bouche de l'apôtre de la liberté, ces étonnantes paroles : « Les qualités sublimes de M. Bailly brilleront d'un nouvel éclat, dès que les fonctions de sa place, que lui confirme d'avance le vœu public, seront définitivement fixées ».

Que lui confirme d'avance le vœu public! Laissez le vœu public se former de lui-même. Ne dites

point qu'il existe, lorsqu'il n'existe pas, afin qu'il se forme selon vos vues, selon vos désirs ; n'ôtez pas au peuple, par vos prophéties, la faculté et la volonté de réfléchir sur le choix qu'il va faire; ne l'accablez pas de l'ascendant que Vous donne votre vertu, votre patriotisme; et sachez que c'est attenter à la liberté du peuple que de vouloir diriger ses suffrages sur un individu.

Affaire des Noirs.

On pense bien que la discussion des motions, au moins inutiles de l'abbé Fauchet, a dû faire perdre beaucoup de temps aux commissaires nommés pour dresser un plan municipal; cependant ils se sont occupés de plusieurs autres objets, qui ne sont pas moins éloignés du but auquel ils doivent atteindre. Le sieur de Joly, avocat aux conseils, mandataire d'un district, et lieutenant de maire à un des départemens, et avocat des gens de couleur, a présenté une pétition à l'assemblée, pour qu'elle appuyât de tout son crédit la demande qu'ils ont faite de l'admission de leurs députés à l'assemblée nationale.

Cette démarche étoit concertée avec le sieur Brissot, se disant de Warville, mandataire provisoire à la Ville, frère terrible du comité des recherches, président de la société des amis des noirs, et de plus, journaliste. Cet honorable membre a, comme on voit, embrassé plusieurs moyens à la fois, pour parvenir à la célébrité et à la fortune. Il préconise, comme journaliste, tout ce qu'il fait on fait faire comme président des amis des noirs. Comme chef des frères inquisiteurs, il épouvante quiconque seroit tenté de lui prouver qu'il n'est, comme journaliste, qu'un pédant bouffi de ses petits ouvrages et de ses petits voyages. Recom pilant aujourd'hui ce qu'il avoit compilé avant la révolution, pour faire croire qu'il étoit grand poLitique, ruant impitoyablement quiconque ose dire

que le comité des recherches est une institution execrable, et ceux qui l'exercent des citoyens méprisables (1); imprimant, braillant que l'assemblée nationale se déshonoreroit, si elle n'adoptoit pas ce que la société des amis des noirs a décrété, voulant à tout prix être un des coryphées des enragés, qui n'ont pas plus besoin de lui pour faire la constitution, que les noirs pour devenir libres; le Brissot ne cessera pas de reniuer, de motionner, d'intri guailler (2), qu'il n'ait vu cinq à six enfans du Congo assis dans une assen blée nationale de France.

Aussi dès que l'avocat des Noirs, qui, s'ils sont cpaables d'être membres du corps législatif, n'ont pas besoin d'avocat, eut fait sa pétition, le Brissot dit qu'il étoit de l'équité, de l'humanité, de la politique et de l'honneur de la commune de Paris, d'appuyer les gens de couleur.

Les représentans de la commune de Paris auroient pú répondre à MM. Brissot et Joly, que la cause des Noirs n'avoit pas besoin d'appui auprès de l'assemblée nationale; qu'il ne convenoit pas plus aux représentans de la commune de Paris qu'à ceux de Montmartre de se déclarer l'appui de qui que ce fut près de l'assemblée nationale, qui ne doit faire

(1) Qu'a fait le comité des recherches? Il a perdu des innocens; par exemple, le jeune Delcrost: il a favorisé des coupables; par exemple, le sieur de Besenval, contre lequel il n'a fait instruire qu'une procédure simulée, etc. Ce n'est pas sans répugnance que nous occupons nos lectenrs de parcils êtres.

(2) On peut se rappeller ces charmans vers de Phedre:

Est ard lionum quadam Rona natio
Trepide concursans, occupata in otio,
Cratis anhelans, multa agendo nihil agens,

Sibi molesta, et aliis odiosissima.

PHED. Fab. 5, liv. 2.

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acception ni de personnes ni de commune; que, prêter appui aux gens de couleur, ce n'étoit rien faire pour eux, puisque l'assemblée nationale est trop sage pour ne pas leur accorder ce qui est juste aussi-tôt qu'elle le pourra, et s'attirer gratuitement la haine des communes maritimes qui craignent la ruine de leurs établissemens dans les colonies; que la vraie politique consistoit à conserver entre toutes les communes cet esprit d'union sans lequel l'établissement de notre constitution seroit impos sible, et que la liberté des Français étoit le premier objet dont il falloit s'occuper.

Enfin on auroit pu répondre à MM. Brissot et de Joly que l'assemblée nationale, occupée depuis long-temps de notre constitution et de nos finances, n'avoit pas dù s'occuper des questions étrangères à la liberté française; que la députation des colons. blancs n'est que provisoire; que son admission ent moins pour objet de reconnoître les colonies pour provinces françaises, que de prouver au ministère que la nation pouvoit admettre des députations qu'il n'avoit pas convoquées;que la nature et la raison s'opposent à ce qu'un pays séparé de la France par 1800 lieues de mer, puisse en être une province; que si nos colonies ne peuvent pas être provinces de la France, elles ne peuvent pas en être sujettes, parce qu'il est absurde qu'un peuple soit gouverné par un autre ; qu'il faut donc nécessairement en faire un état allié (1); et qu'il seroit souverainement injuste que la France s'avisat de faire des loix à ses alliés, et pour ce qui ne concerne qu'eux.

Soit qu'on ait opposé ces raisons, ou toutes autres, à MM. Brissot et de Joly, ce dernier s'est décidé quesà retirer sa pétition lorsqu'il a vu demander la tion préalable; et c'est ainsi que ces messieurs s'oc cupent du plan de municipalité.

(1) Fide No. 16, page 18.

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